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Intervention de Éric Woerth

Réunion du 18 janvier 2012 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, rapporteur :

Examiner ce projet de loi à la suite de la présentation du rapport d'information sur la place de la France en Inde est logique dans la mesure où l'accord dont il vise à autoriser l'approbation porte sur un domaine de coopération franco-indien particulièrement prometteur, celui du nucléaire civil.

Le nucléaire civil constitue en effet l'un de volets du partenariat stratégique franco-indien lancé à la fin des années 1990. Nos deux pays ont perçu dès les années 1960 l'intérêt qu'ils avaient à coopérer dans ce domaine, mais les restrictions qui ont touché l'Inde à la suite de son essai nucléaire dit « pacifique » de 1974 et de son refus persistant de signer le traité de non-prolifération ont limité cette collaboration.

Pour faire face à l'explosion de ses besoins énergétiques, l'Inde a besoin d'augmenter rapidement sa capacité de production d'énergie, et les autorités ont décidé, en dépit de l'existence de mouvements d'opposition à ce choix, que le nucléaire devait occuper une place accrue dans son mix énergétique : il assure 3 % de sa production énergétique actuellement ; le gouvernement de New Delhi souhaite porter cette part à 20 % d'ici la fin de la décennie, pour une production énergétique qui devrait plus que doubler.

L'Inde a certes développé son propre programme nucléaire, à partir d'un réacteur d'origine canadienne utilisant de l'uranium naturel, mais elle a choisi de se tourner vers des partenaires extérieurs pour accélérer le développement de son parc nucléaire et bénéficier de transferts de technologies. Ces transferts, jusque-là interdits, ont été autorisés par le Groupe des fournisseurs nucléaires le 10 septembre 2008, notamment grâce à l'appui des Etats-Unis, dont la position à fortement évolué depuis la vive condamnation des essais nucléaires indiens de 1998, du Royaume-Uni et de la France qui ont défendu la demande indienne d'une dérogation. Cette autorisation est conditionnée au respect par l'Inde d'une série d'engagements relatifs à la séparation des installations nucléaires civiles et des installations militaires, à l'inspection par l'Agence internationale de l'énergie atomique d'une grande partie de ses réacteurs, au renforcement du contrôle de ses exportations nucléaires et à un moratoire sur les essais nucléaires.

Depuis lors, les principaux pays disposant d'une expertise reconnue en matière de nucléaire civil ont conclu avec l'Inde un accord de coopération dans ce domaine : la France a été la première à signer un tel accord-cadre, le 30 septembre 2008. Cet accord-cadre prévoyait la conclusion d'accords particuliers pour régler certaines questions. L'accord qui est l'objet du présent projet de loi est l'un d'eux : il pose les règles de répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire, ces accords devant être conclus par les organismes de recherches des deux Etats amenés à faire des travaux en commun.

Si les stipulations de l'accord sont directement inspirées de règles classiques de répartition de la propriété intellectuelle, c'est la négociation d'un tel accord qui est exceptionnelle. En effet, la France coopère avec de nombreux pays dans le domaine du nucléaire civil, et un article des accords-cadres qu'elle a conclus avec chacun d'eux suffit à régler cette question. Notre pays a choisi de négocier un accord spécifique avec l'Inde à cause de la conception particulière que l'Inde a de l'application du droit de la propriété intellectuelle à ce champ de recherches.

Bien que partie, comme la France, aux accords multilatéraux relatifs à la protection de la propriété intellectuelle, l'Inde en a une interprétation qui conduit à exclure les inventions du nucléaire civil du champ de la brevetabilité pour des raisons de sécurité. La législation indienne exclut ainsi de la brevetabilité en Inde tout ce qui a trait à l'énergie nucléaire, et impose l'obtention préalable de l'autorisation du gouvernement fédéral pour pouvoir déposer à l'étranger les résultats issus de recherches effectuées en Inde en matière nucléaire. Ces règles, qui ont été durcies en 2005 pour répondre au refus de levée de l'embargo international sur certaines matières, sont évidemment pénalisantes pour les organismes étrangers susceptibles de coopérer avec leurs homologues indiens.

Par l'accord signé le 6 décembre 2010, les parties s'y engagent en effet « à ne pas s'opposer à la recherche, par les participants, d'une protection des résultats dans les Etats autorisant une telle protection ». Concrètement, l'Etat indien s'engage ainsi à ne pas s'opposer à la protection à l'étranger (en France ou ailleurs, mais pas en Inde, donc) des résultats de recherches issus d'une coopération franco-indienne. Cette stipulation permettra ainsi de vider de sa substance l'obligation d'autorisation préalable de l'Etat posée par la loi indienne : l'autorisation devra être demandée, mais l'Etat indien s'engage à l'accorder.

Les autres stipulations de l'accord sont classiques. Elles reposent sur la distinction entre les « connaissances propres », c'est-à-dire les informations ou technologies détenues ou acquises antérieurement à l'entrée en vigueur de l'accord-cadre ou des accords d'application ou résultant de recherches indépendantes de celles menées dans le cadre de ces accords, et les « résultats communs », qui sont ceux issus d'un accord d'application. Les premiers restent la propriété de la partie qui les détient au départ de la coopération, mais l'accord fixe les règles selon lesquelles elles peuvent être partagées avec le partenaire, notamment les conditions financières de ce partage. Pour ce qui est des « résultats communs », l'accord fixe les grandes lignes de leur protection, leur répartition et leur utilisation, dont il renvoie le détail à un « règlement de copropriété » qui devra être élaboré par les parties.

Il est vrai que cet accord ne règle pas toutes les difficultés que rencontre la coopération franco-indienne dans le domaine du nucléaire : en particulier, les nouvelles règles indiennes en matière de responsabilité nucléaire civile gênent non seulement les industriels mais aussi les organismes de recherches qui vont continuer à ne pas travailler sur l'uranium pour éviter tout risque de mise en cause de leur responsabilité dans un cadre juridique où elle ne serait pas suffisamment limitée.

Néanmoins, l'entrée en vigueur de cet accord, que l'Inde a déjà ratifié, est très attendue par les acteurs français du nucléaire civil car elle permettra d'ouvrir une nouvelle étape de la coopération franco-indienne en facilitant le dépôt de brevets hors d'Inde sur les inventions à venir. Les stipulations de l'accord serviront en outre de cadre à la conclusion d'accords d'application entre les organismes de recherches sur les différents programmes de travaux communs.

C'est pourquoi je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.

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