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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 17 janvier 2012 à 15h00
Application de l'article 68 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au plan strict, le débat que nous avons aujourd'hui ne porte pas sur le statut pénal du Président de la République, en tout cas pas sur son statut actuel. Les arguments que j'ai défendus le 20 décembre dernier dans cet hémicycle, en faveur d'une réforme en profondeur de ce statut, demeurent donc évidemment valables.

L'objet du présent projet est uniquement de préciser les termes – qui sont pourtant déjà très détaillés – de l'article 68 de la Constitution, et les marges de manoeuvre du législateur organique sont assez contraintes dans la détermination de la procédure.

On l'a souligné, sont en effet d'ores et déjà imposés par la Constitution des conditions de délai, des conditions relatives au fonctionnement de la Haute Cour et même des conditions relatives aux votes.

Nous sommes aujourd'hui appelés à discuter d'un texte que je juge, à titre personnel, respectueux de la procédure de destitution qu'a adoptée le constituant, même si je rappelle que, le 19 février 2007, lors du Congrès qui avait apporté cette vingt et unième modification à notre Constitution, le groupe auquel j'ai aujourd'hui l'honneur d'appartenir s'était abstenu, parce qu'il ne validait évidemment pas la manière dont la proposition avait été faite.

Ce projet de loi organique prévoit tout d'abord une procédure rapide et strictement encadrée, afin de préserver le bon fonctionnement des institutions, qui laisse d'ailleurs le dernier mot au suffrage universel. Cela apparaît utile dans la mesure où l'on ne prévoit pas, comme aux États-Unis, le remplacement automatique du Président mais de nouvelles élections.

Ensuite, la procédure a vocation à être exceptionnelle puisqu'elle ne vise que des hypothèses qui le sont également. Les conséquences seront lourdes puisqu'elle pourra aboutir à destituer un homme ou une femme, élu par le peuple souverain.

En fait, cette procédure n'est une mise en cause ni de la responsabilité civile ou pénale du chef de l'État ni de sa responsabilité politique.

Rappelons que, pour le constituant, la procédure de destitution imaginée ne constitue pas une condamnation de l'homme ou de la femme, mais une mesure de protection de la fonction dont celui-ci ou celle-ci a mis la dignité en cause. C'est la différence fondamentale avec le modèle américain. Elle laisse aux membres du Parlement la responsabilité de définir ce qu'est un « manquement manifestement incompatible » avec la fonction présidentielle.

La destitution n'est donc pas une peine mais davantage un mécanisme de protection de la dignité de la fonction ou, pour reprendre une formule du rapport Avril, « la consécration d'une responsabilité institutionnelle ».

Au demeurant, même avant 2007, la Constitution contenait déjà un mécanisme d'empêchement. Il figurait – il figure toujours – dans l'article 7 qui prévoit que, « saisi par le Gouvernement, le Conseil constitutionnel constate l'empêchement du Président, statuant à la majorité de ses membres ».

Je suis surpris que, au cours des débats de 2007, personne ne l'ait évoqué puisqu'il me semble que, d'un point de vue formel, cette procédure rendait inutile tout autre forme d'empêchement. Et, à la réflexion, on peut même estimer qu'elle justifie la solution retenue par le constituant : autant il est raisonnable de faire constater objectivement l'état d'empêchement par une juridiction, autant l'appréciation d'une situation politique doit relever de la représentation nationale.

En troisième lieu, je constate que ce projet de loi recoupe presque totalement le texte adopté par le Sénat le 18 novembre 2011. Nos collègues sénateurs, à l'initiative de François Patriat, lassés d'attendre un projet gouvernemental, avaient en effet lancé, en octobre 2009, une démarche incitative afin de pallier la carence du Gouvernement.

Elle fut dans un premier temps repoussée à l'initiative de l'UMP, alors encore majoritaire au Palais du Luxembourg – c'était en janvier 2010. À la faveur du basculement du Sénat à gauche, le texte a pu être à nouveau étudié par la commission des lois le 8 novembre 2011, puis être adopté par la nouvelle majorité le 18 novembre 2011.

Nous aurions pu plaider la discussion du texte, tant il est vrai que, dans la Constitution, aucun des articles n'établit de hiérarchie entre les projets et les propositions de loi. Ces deux textes sont également respectables et source de droit. Par conséquent, lorsqu'il existe un projet et une proposition traitant du même sujet, rien n'impose que l'on examine d'abord le projet, surtout quand la proposition est antérieure. Mais, ne voulant pas entrer dans un débat artificiel, nous acceptons de nous placer sur le terrain choisi par le Gouvernement.

En dernier lieu, il était tout de même temps que nous débattions de ce texte puisque, de manière assez étonnante, à la suite de l'adoption, le 10 janvier dernier, du projet de loi organique portant application de l'article 11 de la Constitution, la réforme constitutionnelle entamée le 23 juillet 2008 a été parfaite avant la réforme engagée le 23 février 2007.

C'est en effet une curiosité que d'avoir dans la loi fondamentale une disposition qui, faute de dispositions communes aux deux assemblées, ne peut être mise en oeuvre, même si elle vise, en pratique, des situations de crise mettant en cause le chef de l'État qui ne se sont jamais présentées sous la Ve République.

On peut parler de coquille vide, notamment depuis que l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice n'est plus applicable, même si elle n'a pas été formellement abrogée. D'ailleurs, l'Assemblée et le Sénat ont supprimé de leurs règlements respectifs les articles relatifs à la Haute Cour de justice tout en faisant référence à la Haute Cour.

Cependant – et ce n'est pas sans conséquences –, l'article 157 du règlement de l'Assemblée prévoit que lorsque la loi organique aura été adoptée, cet article pourra être complété par les précisions nécessaires – elles le seront et j'en dirai un mot dans un instant.

Il est donc temps, dix ans après l'annonce de la réforme du statut pénal du chef de l'État présentée par Jacques Chirac, alors en campagne électorale, comme une « urgente nécessité », de la combler et il était temps que nous y imprimions notre marque.

Les modalités proposées s'inspirent, et c'est heureux, des propositions élaborées par un comité nommé en 2002 et présidé par l'éminent professeur Pierre Avril. Que l'on me permette de passer rapidement en revue trois d'entre elles.

D'abord, l'initiative nécessite l'appui d'un dixième des membres d'une assemblée. Il s'agit d'une reprise de la disposition des articles 158 du règlement de l'Assemblée et 86 du règlement du Sénat qui, dans leurs versions antérieures à 2009, prévoyaient qu'« aucune proposition de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de justice n'est recevable, si elle n'est signée par le dixième au moins des députés ou des sénateurs ».

Un tel seuil renforce le caractère solennel, car exceptionnel, de la procédure sans la rendre impossible et évite par là même que le Président de la République puisse être l'objet d'un harcèlement par un seul ou par un nombre non significatif de parlementaires. Je me félicite d'ailleurs – le rapporteur a eu l'amabilité de le rappeler – que la commission des lois ait adopté un amendement que j'avais déposé et qui prévoyait en sus que les signataires de ladite résolution ne puissent en signer plus d'une par mandat présidentiel. Cela interdira encore un peu plus à la procédure d'être ramenée au simple rang d'instrument du débat politique.

Ensuite, le droit d'amendement n'est pas autorisé. Si cette exclusion du droit d'amendement n'était pas absolument nécessaire, nous admettons l'idée qu'elle puisse présenter quelques avantages.

En premier lieu, elle assure que la procédure ne traîne pas en longueur et s'inscrit dans la logique d'une procédure qui n'a lieu d'être engagée que dans les hypothèses les plus graves. En effet, la résolution ne porte pas sur la qualification des faits, actes ou comportements imputables au Président de la République et dont on estime qu'ils rendent impossible la poursuite de son mandat : la résolution a pour objet de demander la convocation de la Haute Cour et doit être motivée. D'éventuels amendements ne pouvant porter que sur la motivation, on peut considérer que, si les parlementaires ne sont pas à même d'identifier clairement et du premier coup les raisons pour lesquelles la convocation de la Haute Cour s'impose, c'est qu'il n'y a pas lieu d'en formuler la demande.

En deuxième lieu, le dépôt d'amendements survenant en commission ou en séance publique, il y a fort à parier que leur discussion donnerait lieu à des débats délicats qui pourraient se révéler préjudiciables au bon fonctionnement des institutions.

En troisième lieu, il est possible de faire un parallèle avec l'exclusion du droit d'amendement dans le cadre des résolutions parlementaires de l'article 34-1 de la Constitution expressément énoncé par les articles 136 du règlement de l'Assemblée et 50 du règlement du Sénat.

Enfin, parce que nous sommes, dans le cas d'espèce, hors procédure législative, cette restriction apparaît compréhensible et donc acceptable.

Troisième modalité inspirée du comité Avril, la commission des lois se bornera à étudier la recevabilité de la procédure de résolution. Ce point est important et la position du rapporteur est pour beaucoup dans notre position positive, à ce stade, sur le texte. Il était en effet inenvisageable d'accepter la version du texte gouvernemental qui prévoyait un droit de veto de la commission des lois, c'est-à-dire, concrètement, le pouvoir donné à la majorité du moment de s'opposer à toute démarche non validée par l'exécutif.

Cette originalité ne figurait d'ailleurs ni dans le rapport Avril ni dans le rapport que vous aviez signé préalablement à la révision de février 2007. Elle était probablement empruntée au système américain qui prévoit, dans le mécanisme de l'impeachment, l'intervention préalable de la commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants.

Cette suggestion était somme toute assez révélatrice. Après nous avoir expliqué que la révision du 23 juillet 2008 contribuait à revaloriser l'Assemblée – opinion que nous avons toujours combattue –, la plupart des lois organiques se sont caractérisées par un durcissement préventif contre le Parlement et, en son sein, contre l'opposition.

Ce fut notamment – et de quelle manière – le cas dans la loi organique du 15 avril 2009 sur le droit d'amendement. Ce fut aussi le cas de la réforme de notre règlement en mai 2009 ou encore de la loi organique du 13 juillet 2010 sur les nominations présidentielles. Il est donc heureux que la commission des lois ait accepté de supprimer la possibilité pour la majorité d'annuler une procédure. Cette « facétie provocatrice », comme l'a nommée Pierre Avril quand nous l'avons interrogé, n'avait aucune raison d'exister.

Quatrième point, une commission ad hoc va recueillir les informations nécessaires aux travaux de la Haute Cour. Elle remplace une commission d'instruction qui, avant la révision constitutionnelle de 2007, était placée auprès de la Haute Cour. Compte tenu de l'abandon de la logique pénale, nous aurions été hostiles au choix d'un mécanisme juridictionnel d'instruction qui n'aurait pas correspondu au fait que la procédure ne vise pas à juger le Président de la République, mais à se prononcer sur la nécessité de sa destitution.

Il fallait absolument éviter la confusion que le constituant a rejeté entre, d'une part, la responsabilité juridique – qu'il reviendra, le cas échéant, aux juges de droit commun d'apprécier dans l'hypothèse où le Président serait destitué –, et, d'autre part, la responsabilité constitutionnelle – dont l'objet est seulement de déclarer, quelle que soit la nature des faits, comportements ou actes reprochés, que la fonction de chef d'État serait entachée si son titulaire n'était pas destitué.

La composition de cette commission ad hoc, telle qu'elle découle de nos débats en commission des lois, tout comme ses pouvoirs, nous semblent là encore correspondre à la solution préconisée par le comité Avril.

Je rappelle cependant notre voeu que le règlement de l'Assemblée puisse résoudre une question que le texte ne tranche pas : celle du mode de désignation du président et du rapporteur de cette commission. Il nous semble par conséquent logique de prévoir que l'une des deux revienne de droit à un représentant du groupe dont serait membre le premier signataire de la proposition.

Nous n'avons donc pas encore décidé de notre position finale sur ce texte, monsieur le garde des sceaux.

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