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Intervention de Christian Eckert

Réunion du 4 novembre 2011 à 10h00
Projet de loi de finances pour 2012 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Eckert, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, pour l'accompagnement des mutations économiques et le développement de l'emploi et le financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage :

Madame la présidente, madame la ministre, ma chère collègue rapporteure spéciale, mes chers collègues rapporteurs pour avis, mes chers collègues, monsieur le président de la commission des affaires sociales, je rapporte la mission « Travail et emploi » depuis plusieurs années. J'en apprécie l'étude, car elle est au coeur des préoccupations des Français. Toutes les enquêtes d'opinion le montrent : l'emploi est placé en tête de leurs attentes.

Pour ma part, j'ai procédé à l'analyse plus détaillée du programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ».

Je me félicite de l'excellente coopération qui a pu s'établir avec ma collègue Chantal Brunel, nos travaux portant sur des programmes très proches. Nous avons pu procéder à des auditions communes et nous avons même déposé des amendements souvent convergents, si ce n'est identiques.

Le projet de loi de finances pour 2012 fait apparaître une baisse de 12 % en autorisations d'engagement et crédits de paiement des crédits du programme 103 par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiales pour 2011, soit une réduction de 600 millions d'euros. La mission « Travail et emploi » connaît la plus forte baisse du budget de l'État, suivie par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Le fait que ces deux missions soient ainsi frappées d'austérité semble montrer le désintérêt du Gouvernement pour nos concitoyens les plus touchés par la crise.

Les explications embarrassées du Gouvernement devant cet effondrement des crédits ne tiennent pas. La sortie de la crise mise si souvent en avant ne se constate pas sur le terrain. La fin du plan de relance invoquée n'est pas non plus un argument dans la mesure où une part significative des crédits du plan de relance étaient logés dans un autre programme, que rapportait notre collègue Arlette Grosskost. Les comparaisons qui sont faites ne tiennent absolument pas, d'autant que les crédits logés dans cet autre programme venaient parfois abonder les crédits des missions 102 et 103. Ne nous racontez pas de sornettes, c'est bien une baisse à périmètre constant que vous nous proposez, et vous ne pouvez expliquer cette baisse par la fin du plan de relance.

Pour ce programme, comme d'ailleurs pour l'ensemble de la mission, le Gouvernement semble en réalité avoir improvisé des coupes budgétaires en refusant de prendre la mesure de la crise économique et l'évolution préoccupante du marché du travail. Le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi a sensiblement augmenté au deuxième trimestre 2011 et les derniers chiffres publiés la semaine dernière suivent également cette tendance.

Face à cette accélération du chômage, j'en appelle à une relance d'urgence de l'effort budgétaire en faveur de l'emploi au cours de l'année 2012. N'oublions pas que la récession se profile et que cela va obliger le Gouvernement à revoir sa prévision de croissance pendant la navette parlementaire, ce qui se produit très rarement.

Les moyens consacrés à l'anticipation des mutations économiques, c'est-à-dire l'action n° 01 du programme, sont, année après année, rognés : le niveau atteint cette année est dérisoire, avec une baisse de 19 % des crédits. Je rappelle, sans ironie excessive, que ces instruments sont qualifiés « d'anticipation des effets économiques de la conjoncture ».

S'agissant du chômage partiel, que, par un curieux renversement de sémantique, vous appelez maintenant « activité partielle », les crédits sont en forte baisse, passant de 40 à 30 millions d'euros. L'exemple allemand si souvent mis en avant n'a pas été suivi.

Le budget poursuit le mouvement d'extinction des mesures d'âge, en dépit d'une conjoncture qui plaide pour une réhabilitation au moins temporaire de ces dispositifs. Ainsi, les crédits finançant les préretraites progressives diminuent de moitié. La réforme des retraites et l'explosion du chômage des seniors auraient nécessité une approche radicalement différente. L'action du programme intitulée « Développement de l'emploi » connaît la baisse la plus importante du programme : 49,6 %.

Cette baisse drastique des crédits de la mission, et en particulier du programme 103, résulte de la suppression dans la loi de finances initiale 2011 de plusieurs niches sociales et de l'arrivée à échéance de l'aide à l'embauche pour les très petites entreprises, une des premières mesures du plan de relance ; Chantal Brunel en a longuement parlé. À rebours de ces évolutions, le financement de l'exonération de cotisations patronales liée aux organismes d'intérêt général situés dans les zones de revitalisation rurale passe de 60,7 millions d'euros à 151 millions d'euros, sans qu'une explication soit donnée à cette hausse subite. J'attends, madame la ministre, que vous nous apportiez des précisions sur cette augmentation, qui avait d'ailleurs fait l'objet l'an dernier, tout le monde s'en souvient, de discussions approfondies.

Ma dernière remarque générale portera sur le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. L'article 63 du présent projet de loi propose un nouveau prélèvement du Gouvernement sur ce fonds, de 300 millions d'euros. Ce prélèvement – cette saignée –serait affecté à l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, pour le financement de la mise en oeuvre des titres professionnels du ministère de l'emploi à hauteur de 54 millions d'euros et pour le financement de ses activités de service public à hauteur de 21 millions d'euros ; à l'Agence de services et de paiements, pour le financement de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle, à hauteur de 200 millions d'euros – les crédits inscrits au titre de ce dispositif sont d'ailleurs nuls en 2012. Bref, le Gouvernement se repose sur ce fonds pour financer des dispositifs loin d'être négligeables en termes tant d'outils d'emploi que de montants financiers. Une dernière partie du prélèvement serait affectée à Pôle emploi pour le financement de l'allocation de formation des demandeurs d'emploi, à hauteur de 25 millions d'euros.

Ce mode de financement est inacceptable : ces fonds qui se multiplient, qui sont alimentés par des cotisations obligatoires qui s'apparentent à de l'impôt indirect, font l'objet de ponctions du Gouvernement, qui se sert de cet argent pour combler les insuffisances de crédits dans des missions qui sont pourtant les siennes. De surcroît, le Parlement n'a pas de moyen de contrôle sur l'utilisation réellement faite par le Gouvernement de ce type de prélèvement. La lisibilité, voire la constitutionnalité, de ce type de pratique ne responsabilise ni le législateur ni les partenaires sociaux, aussi bien dans la levée que dans l'utilisation de l'impôt. Ceci doit cesser, et particulièrement, cette année, avec l'article 63 du projet de loi de finances.

En ce qui concerne Pôle emploi, dont Chantal Brunel a parlé avec beaucoup d'humilité, si la subvention d'équilibre reste inchangée, elle n'empêchera pas cet opérateur d'être déficitaire en 2012, comme il l'a déjà été en 2011. J'ai étudié le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés de placement. Ceux-ci représentent une part croissante des dépenses d'intervention de Pôle emploi, supérieure à 10 %, notamment pour les actions de soutien renforcé à certains publics.

Les premiers éléments recueillis, issus de différentes études, internes ou externes à l'opérateur, indiquent des résultats inférieurs à ceux des agents de Pôle emploi, pour des coûts largement supérieurs. Je fais dans mon rapport spécial des recommandations fortes concernant le recours à ces OPP qui, je le dis sans ambages, profitent de systèmes incohérents de rémunération sans aucun résultat sur les taux d'insertion dans l'activité. Le fait que 50 % de la rémunération soient versés dès la prise en charge n'incite pas aux résultats. L'effet d'aubaine du secteur privé sur des fonds publics est évident.

Par ailleurs, les tailles des portefeuilles de chômeurs par agent restent anormalement élevées – ils sont plus du double de ceux annoncés par Mme Lagarde lors de la fusion, avec des écarts encore supérieurs dans certaines agences. Les résultats s'en ressentent, de même que la situation sociale au sein de l'entreprise, malgré des progrès sur les questions statutaires issus de la fusion. La crise, dont le pic n'est pas derrière nous contrairement aux propos tenus ici ou là, n'explique pas à elle seule que les agents de Pôle emploi se retrouvent parfois chargés de plus de deux cents personnes et qu'ils n'arrivent plus à remplir efficacement leur mission.

Quant aux contrats aidés, dont ma collègue a également parlé, je voudrais souligner les effets négatifs de la politique de stop and go, aussi bien sur le plan de la lisibilité budgétaire de l'État que sur l'absence de perspectives dans la durée, pour les publics comme pour les employeurs. Entre un ajustement des chiffres du chômage et une véritable politique de développement de l'insertion et de nouveaux métiers, il est temps de choisir.

Je présenterai quelques amendements de crédits pour corriger au mieux les errements du programme.

Je propose notamment de majorer les crédits de l'allocation équivalent retraite, en voie d'extinction faute d'avoir trouvé le moindre euro pour financer l'allocation transitoire de solidarité, pourtant annoncée avec tambour et trompette par les ministres. L'ATS ne répond d'ailleurs que partiellement à la fin sans cesse repoussée de l'AER, aujourd'hui actée. Ceci crée des situations insoutenables pour ceux qui ont les annuités mais pas l'âge de la retraite à taux plein, et le phénomène est amplifié par la réforme des retraites de M. Woerth et le recours à la trop maigre allocation de solidarité.

Enfin, je pense que la question des emplois à domicile mérite un nettoyage quant à la nature des services à la personne pris en compte. Je déposerai moi aussi un amendement dans le cadre des articles non rattachés pour exclure du champ de la réduction les abus dénoncés sur toutes les travées et que Mme Chantal Brunel a elle aussi relevés.

En respectant scrupuleusement, madame la présidente, mon temps de parole, je porte donc un jugement très sévère sur ce projet de budget pour la mission « Travail et emploi » qui n'est manifestement pas à la hauteur des besoins de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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