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Intervention de Jean-Claude Volot

Réunion du 26 octobre 2011 à 10h15
Commission des affaires économiques

Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance :

Je constate en effet l'intérêt que vous portez tous à la mission que je conduis. Cela ne peut que nous motiver, mes équipes et moi-même, à continuer à nous battre pour faire avancer les choses.

Quelques remarques préalables. En 1937, Churchill disait la chose suivante : « en Angleterre, tout est permis sauf ce qui est interdit ; en Allemagne, tout est interdit sauf ce qui est permis ; et en France, tout est permis même ce qui est interdit. » Vous avez là l'illustration d'une culture française qui, si l'État ne fait pas son travail, ne peut que perdurer et se développer dans le contexte actuel de mondialisation. Autre citation que j'apprécie, de Charles De Gaulle en 1941 : « l'État est le seul qui puisse se mettre au-dessus des intérêts particuliers, engager les réformes nécessaires et organiser le développement économique. » Vous voyez ici que ce dont nous parlons aujourd'hui sont de vieilles histoires, et que la responsabilité de la situation actuelle incombe à des hommes des deux bords, chefs d'entreprises comme responsables politiques. J'aime aussi la façon qu'avait un consultant d'expliquer la dérive de la situation actuelle, qu'il appelait le « syndrome de la grenouille » : si vous plongez la grenouille directement dans de l'eau à trente degrés, elle va sauter pour s'échapper ; mais si vous augmenter progressivement la température, alors elle se laissera mourir. Nous sommes en train de mourir car la dégradation se fait peu à peu depuis des années, et qu'on a demandé à l'État de se retirer. Je vous le dis d'autant plus sincèrement que je n'ai jamais caché mes opinions gaullistes ; mais je crois que quelles que soient nos opinions, nous devons tous nous retrouver autour de cette ligne : dénigrer le rôle de l'État serait allé droit à la catastrophe.

Je commence à répondre plus précisément à vos questions en abordant le sujet du cynisme des grands patrons. Je sors de mon rôle de médiateur en prenant ces positions et, en toute logique, le Président de la République pourrait me demander d'abandonner mes fonctions pour cela. Mais mon parti à moi, c'est l'État. Et je suis convaincu que vous avez raison de dire que les chefs d'entreprises doivent prendre conscience du cynisme de leur système et mettre en cohérence leur comportement individuel avec l'éthique sociale. La semaine dernière, j'avais un directeur d'achat d'un grand groupe à côté de moi, à l'occasion d'une table ronde, qui me disait qu'il ne pouvait plus accepter ce qu'on exigeait qu'il fasse et me demandait que la loi puisse lui permettre d'exercer son « droit de conscience » – cela montre bien le point où nous en sommes arrivés.

Concernant ensuite l'autorité de la concurrence, jusqu'à peu j'évitais d'y recourir. En effet, si nous réussissons dans la plupart des cas notre travail de médiation, c'est parce que nous en mettons les gens autour de la table et en appelons à leur bonne volonté, à leur bon sens, que nous leur demandons de se comporter comme ils se comportent lorsqu'ils rentrent chez eux le soir en bons pères de famille. Lorsque j'ai des réunions avec des chefs d'entreprises, je demande toujours aux directeurs financiers et juridiques de rester derrière : aujourd'hui, dans les entreprises, ce sont les directeurs financiers, dont le seul objectif est d'apporter aux actionnaires un retour sur investissement suffisant, qui ont le pouvoir, appuyés par leurs directeurs juridiques, qui écrivent des textes totalement léonins et illicites. À ce propos, je dois vous dire que nous avons regardé les conditions d'achat proposées par les entreprises qui ont signé la charte et aucunes n'y étaient conformes, mon directeur juridique pourra en témoigner. Mais ce que j'ai fini par comprendre en ce qui concerne les autorités de la concurrence, c'est qu'il faut passer directement par Bruxelles et entamer en parallèle des actions au niveau national ; entamer les procédures au seul niveau national conduit à des délais excessifs. Je signale d'ailleurs que nous avons lancé plusieurs actions à Bruxelles sur la base des irrégularités constatées sur le terrain.

Je commence aussi à imaginer, voire à être favorable, à ce que la pénalisation du droit des affaires. Je vais vous faire part de mon expérience, passée, d'entrepreneur : lorsque nous avons ouvert une usine aux États-Unis, l'inspecteur du travail est passé et a constaté que nous n'avions pas mis de panneau d'affichage social : il nous a dit qu'il repasserait le soir même avec le shérif pour vérifier que nous nous serions mis en conformité avec la loi et il est repassé avec le shérif. Il en va de même pour les contrôles fiscaux : si vous êtes convaincu lors d'un contrôle d'avoir fraudé, le soir même vous dormez en prison. Je suis un libéral mais je crois qu'un régime libéral ne peut fonctionner que si on respecte la loi. Et il y a quelque chose aujourd'hui en France qui ne va pas : si je prends cent euros dans la poche de Mme Vautrin, je vais me retrouver devant le juge, mais si je prends 3 millions d'euros dans la poche de mon sous-traitant, il ne m'arrivera rien. Comme le disait Voltaire, vous avez d'un côté la justice dure, et de l'autre la justice douce. Je signale d'ailleurs que la conférence permanente des tribunaux de commerce, au sujet desquels plusieurs d'entre vous ont posé des questions, soutient entièrement notre action ; et je rencontrerai bientôt les premiers présidents de cours d'appel qui nous soutiennent eux aussi. Qu'on soit de droite ou de gauche, il s'agira dans tous les cas d'un long travail. Comme l'a souligné Mme de La Raudière, il faut cependant faire attention. Vous avez noté la devise que je me suis fixé : primum non nocer, surtout ne pas nuire. Il faut pénaliser lorsque c'est nécessaire, mais il faut aussi faire comprendre. Et autant je trouve stupide qu'on pénalise certaines pratiques comme le délit de marchandage, qui date d'une loi de 1826 censée combattre l'esclavage, autant il existe aujourd'hui de vraies pratiques de brigandage qu'il faudrait réprimer.

M. Paul se demandait comment mettre un cynisme du système actuel. Je crois tout ce que je viens de dire apporterait une réponse ; et il nous faut travailler tous ensemble afin de faire progresser les choses. Je prends l'exemple de la propriété industrielle : j'ai vu récemment le responsable de l'intelligence économique, qui est en train d'élaborer un dispositif tout à fait intéressant permettant aux entreprises de marquer un document « confidentiel entreprises », qu'il sera interdit de diffuser sans peine de sanctions légales. Je crois aussi, comme M. Paul, que lorsque l'État aide une entreprise, celle-ci lui doit quelque chose en retour. Je cite un exemple que j'ai mentionné au responsable de l'intelligence économique lorsque je l'ai vu : une grande entreprise française, TDF, contrôlée en partie par l'État, n'a pas pris en considération l'offre d'un de ses sous-traitants pour des composants informatiques au motif que celle-ci ne pouvait lui livrer que 600 000 composants par an et non les 2 millions demandés, et s'est tourné vers une entreprise chinoise. Cette fois-ci, nous allons sans doute réussir à bloquer mais c'est absurde.

Moi je m'engage. C'est une facilité car je ne dépends de personne et ne dois rien à personne. Mais vous avez, vous aussi, une responsabilité : je dis que nous sommes en 1939, et cela doit rappeler des choses à beaucoup d'entre vous, gaullistes ou communistes.

Pour répondre à M. Dionis du Séjour, le taux de succès que nous avons s'explique par le fait que nous mettons les gens autour de la table. Une fois que les gens se mettent à discuter, ils deviennent raisonnables.

Je sais que certains d'entre vous voudraient faire de nouvelles lois sur le sujet. Je veux vous rappeler qu'on estime que pour une affaire économique qui passe devant le juge, ce sont mille affaires qui n'y passent pas. Le problème n'est pas de faire de nouvelles lois, mais de faire appliquer celles qui ne le sont pas. Il faut aussi que vous fassiez attention. Je prends un exemple : parfois, la propriété est transférée alors même que le produit n'a pas été payé ; cela conduit à des défaillances en chaînes que personne n'a anticipées.

J'insiste sur un point qui me tient à coeur. M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du Commerce extérieur, est venu me voir pour me demander comment faire en sorte que les sous-traitants exportent plus et montent en gamme en devenant équipementiers concepteurs. L'évolution des PME est notre grand enjeu. Je suis fier d'avoir été à l'origine, il y a sept ans, de la mise en place du dispositif ACAMAS, un projet d'analyse stratégique pour les PME moins orienté « marché » que les méthodes d'analyses utilisées par les cabinets de conseil, qui a donné d'excellents résultats. Je suis heureux de voir que l'ANIA, la fédération des industries agroalimentaire, s'apprête à rejoindre ce dispositif ; l'industrie électronique devrait suivre le mouvement. Nous avons de nombreux produits pour accompagner les entreprises qui veulent exporter, mais il faut faire mieux et aller chercher les entreprises « avec les dents », comme le permet ACAMAS, plutôt qu'attendre qu'elles viennent demander un soutien. Avec M. Christian Estrosi, nous avions demandé, lorsqu'il était ministre de l'industrie, que 300 millions d'euros soient dégagés dans le cadre du grand emprunt pour étendre le projet. Or les 300 millions d'euros se sont réduits à 69 millions, le reste ayant contribué à l'enveloppe d'un milliard d'euros de prêts participatifs. Ces prêts participatifs sont un vrai succès mais j'y vois aussi un effet pervers : c'est qu'ils permettent aux patrons français de PME de poursuivre leur tendance naturelle à diriger leur entreprise de manière isolée. Il faut absolument faire entrer dans ce type d'entreprises des administrateurs indépendants, diplômés, qui leur permettront de changer de dimension. Je vous demande de retrouver les 300 millions.

Je connais bien le cas du groupe Montupet, sur lequel Mme Coutelle m'a interrogé. La fonderie est aujourd'hui en pleine crise et les 200 entreprises qui continuent d'exister sont en quelque sorte des « miraculées ». Il y a en effet un véritable cataclysme en matière de sous-traitance dans ce secteur. Montupet nous avait interrogés sur trois sujets intéressant l'ensemble de la profession : la prise en compte des variations du prix de l'aluminium, la variation des conditions de garantie demandées par EDF à la délivrance du courant et, enfin, une clause léonine des conditions générales d'achat pratiquées par un grand donneur d'ordres. Nous avions réglé ces trois cas assez facilement et j'avais même demandé au président de Montupet de témoigner de l'efficacité de la médiation. Cela se passait en janvier dernier et j'étais alors loin d'imaginer comment la situation évoluerait alors qu'il s'agit d'une entreprise qui compte encore près de 2 000 salariés en France et dont 500 qui sont concernés directement par le drame que nous connaissons aujourd'hui.

Je veux rester dans mon rôle de Médiateur : notre obsession, en l'occurrence, c'est le nombre d'emplois concernés, que nous estimons, après un an et demi d'activité, à 844 000. Le rythme de progression des réclamations est aujourd'hui géométrique : il a doublé entre la première et la deuxième année d'exercice de la Médiation. Pour ce faire, nous avons besoin de conforter nos équipes.

En réponse à Mme Le Loch, nous avons bien un médiateur en Bretagne, qui s'appelle Michel Poitou ; par ailleurs, des présidents honoraires de tribunaux de commerce ont rejoint nos troupes pour conforter l'action des équipes de médiation. Tout cela s'opère au rythme des besoins régionaux ou nationaux. Nous sommes aujourd'hui non plus 25 mais 65 médiateurs, certains venant des DIRECCTE, d'autres étant des anciens chefs d'entreprise.

Concernant la Charte et les entreprises qui en sont signataires, Aéroports de Paris devrait prochainement y adhérer. Au sujet du secteur automobile, une charte spécifique avait été signée à l'initiative de M. Luc Chatel, alors secrétaire d'État en charge de l'industrie. Nous allons donc devoir aligner la charte PFA (plateforme de la filière automobile) sur la nôtre, qui est plus ambitieuse. En outre, cette charte PFA contenait tout un volet relatif à des engagements de progrès tels que l'augmentation de la compétitivité ou la baisse des prix.

Trois intervenants ont évoqué le sujet des pièces automobiles de rechange. Presque partout dans le reste du monde, le dispositif est libéral, dès lors que la qualité est suffisante. Pour ce qui me concerne, je me pose avant tout la question du nombre d'emplois que nous risquons de perdre chez nos grands constructeurs, à comparer à l'avantage que pourraient en retirer les consommateurs. Je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui de quel côté penche la balance.

Sur le sujet de la propriété industrielle, nous travaillons sur plusieurs pistes avec l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), la DGCIS, la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI). J'ai rencontré hier le responsable de l'intelligence économique qui a mis en place ce dispositif tout à fait intelligent du « confidentiel entreprise ». Un texte de loi devrait bientôt être examiné sur ce point : vous m'aideriez beaucoup en regardant de près ce sujet, en particulier le problème de la reconnaissance de la propriété intellectuelle d'une innovation pour un sous-traitant, ou encore pour un équipementier, un fournisseur de produits « catalogue ». La Médiation concerne toutes les entreprises françaises et pas uniquement les cas de sous-traitance, qui ne représentent que 40 % de nos actions ; à côté de cela, nous nous occupons également des relations commerciales, des prestations de services, du numérique (même s'il s'agit d'une nouvelle industrie, les problématiques sont identiques à celles que nous rencontrons dans d'autres secteurs).

L'un d'entre vous m'a interrogé pour savoir si les grands groupes avaient fini de délocaliser leurs activités. Mon sentiment est que nous sommes à la fin d'un cycle et qu'en l'occurrence l'État ne doit plus hésiter à exercer un rôle plus ferme en la matière.

M. Gagnaire a évoqué les Assises de la sous-traitance qui se sont tenues la semaine dernière à Lyon : en effet, les propos des fournisseurs se libèrent complètement et j'en suis très heureux car mes équipes et moi-même y sommes, je pense, sûrement pour quelque chose. Décrire la situation telle qu'elle existe constitue la première étape avant que des demandes de médiation ne soient formulées en vue de rééquilibrer les rapports de force dans les relations commerciales.

Le cas de Photowatt est tout à fait malheureux mais nous n'en avons pas été saisis ; je ne sais pas s'il est encore temps de faire quelque chose mais je veux bien m'y intéresser. J'en profite pour vous rappeler que notre taux de réussite, s'agissant de la méditation entre des entreprises privées, est de l'ordre de 86 %. À l'inverse, quand nous intervenons dans les relations entre l'État ou les collectivités territoriales et les entreprises privées, le taux d'échec est de 85 % ! Le législateur a voulu un système particulièrement rigide pour éviter certains abus mais ce système rend très difficile aujourd'hui pour un maire, un président de conseil général ou un président d'établissement public de négocier avec les acteurs privés à la suite d'un conflit. Nous avons alerté M. François Baroin à ce sujet, qui semble décidé à se saisir du problème : il faut donner aux acteurs publics les mêmes possibilités de négociation que le secteur privé. Il n'y a en effet pas de raison que les agents de l'État et des collectivités publiques soient moins sincères que les autres pour régler les situations de conflit. Or, c'est actuellement la crainte qui prédomine : crainte du maire que son opposition ne le traîne devant les tribunaux s'il transige, crainte qu'on l'accuse de faire prévaloir des intérêts privés. La confiance doit être rétablie et les 1 % de bandits ne doivent pas pénaliser les 99 % de responsables honnêtes.

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