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Intervention de Jean-Marie Le Guen

Réunion du 23 mai 2011 à 18h00
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Le Guen :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il est exceptionnel de voir un texte touchant aux questions de santé mentale débattu comme il l'a été. Certes – et c'est un point positif –, nous avons eu plusieurs lectures, mais la façon dont le débat s'est déroulé au Sénat est exceptionnelle. C'est un élément supplémentaire qui devrait appeler l'attention du Gouvernement sur le fait qu'il risque de faire une bêtise et de traumatiser encore un peu plus des professionnels et un milieu intéressés aux questions de santé mentale, qui ont déjà été très fortement sollicités, de façon négative, ces dernières années.

C'est une question importante, car nous savons tous ici combien la problématique de la santé mentale, même si ce n'est pas une question souvent débattue dans les campagnes électorales, est essentielle dans le fonctionnement d'une société, d'abord en termes symboliques. La manière dont sont traitées les personnes souffrant de maladies mentales est un marqueur fondamental des droits de l'homme dans une société, dans une civilisation. Lorsque l'on analyse d'autre part le problème en termes de morbidité et que l'on voit ce que tout cela coûte à la sécurité sociale, on s'aperçoit que la santé mentale pèse extrêmement lourd dans le poste des dépenses de santé. Avoir une approche « civilisationnelle », mais aussi médicale et de santé publique de ces questions est un devoir absolu, mais elles ne sont pas traitées comme elles le méritent du fait des tabous qui existent encore en la matière.

Le fait que notre système de santé mentale soulève chez nous de grandes insatisfactions ne tient pas uniquement à la politique gouvernementale. Nous enregistrons un retard de plusieurs décennies en la matière, alors que la France, tout au long du XIXe siècle, et sans doute aussi à la sortie de la guerre, était l'un des pays les plus précurseurs en matière de santé mentale en termes médicaux et d'organisation du système de soins. Force est de constater que nous nous sommes endormis et que notre système n'est pas aujourd'hui à la hauteur de nos ambitions, qu'il s'agisse de prévention ou de santé mentale. La majorité a abordé la question de la prévention malheureusement sous le même angle, lorsque nous avons débattu de la délinquance. À chaque fois, nous avons été frappés de constater combien il était très difficile de faire comprendre à nos collègues de la majorité que les problèmes de santé mentale ne devaient pas être confondus avec la problématique sécuritaire, donc traités de façon similaire.

J'ajouterai que l'on évoque très peu la recherche en matière de psychiatrie et de santé mentale. Cette question, considérée comme secondaire, est mal traitée depuis longtemps. Nous ne devons donc pas, nous les politiques, nous étonner, d'un certain point de vue, que notre politique de santé mentale se soit endormie : c'est que nous n'avons pas eu le courage d'avoir une véritable ambition intellectuelle et scientifique, et que nous avons laissé le secteur de la psychiatrie et de la santé mentale s'autogérer. Il nous paraissait difficile d'intervenir sur une question aussi compliquée qui nous semblait devoir être réservée, tout comme d'autres disciplines touchant à la santé, aux spécialistes. La réalité est tout autre. Ce point est éminemment politique. D'un certain point de vue, j'aurais du mal à reprocher à cette majorité de ne pas l'avoir compris : le Président Sarkozy, notamment, a traité cette question comme une question très politique – malheureusement de la pire des façons. Je n'ai pas besoin de revenir, ici, sur la stigmatisation qui a été faite à plusieurs reprises, ce qui a évidemment affaibli, voire détruit la confiance qui pouvait exister entre l'État, le Gouvernement et les professionnels de santé. Ce n'est évidemment pas ce projet de loi qui restaurera cette confiance, loin de là. Ainsi, tous les professionnels de la psychiatrie y sont très largement opposés ; quant aux familles, comme nous, après avoir constaté un certain nombre d'avancées, elles s'interrogent aujourd'hui avec force sur la manière dont les choses se passent. Les malades ont également eu l'occasion de s'exprimer et de dire leur déception en la matière.

Vous nous parlez d'une grande loi sur la santé mentale. À défaut de débattre d'une telle loi, nous pourrions obtenir des précisions sur la politique de santé ! Si nous disposons de témoignages très intéressants d'un certain nombre de collègues, nous sommes très loin de connaître les grands axes d'une grande loi de santé mentale. Nous dit-on, aujourd'hui, comment articuler l'hôpital universitaire et l'hôpital psychiatrique, l'éducation et la recherche, comment sortir de la logique asilaire, politique largement conduite depuis maintenant plusieurs décennies, comment faire en sorte que, dans les villes, les soins soient accompagnés et qu'ils ne soient pas toujours victimes des réductions budgétaires ? Notre pays a-t-il une politique de dépistage, une politique de prévention ? Ces questions sont débattues au plan scientifique. À défaut de discuter d'une grande loi, nous aimerions au moins que les autorités de santé publique – le ministère et le Gouvernement – nous disent qu'elles ont les axes d'une politique en matière de prévention, de dépistage, de recherche et d'organisation des soins. Marisol Touraine a fait allusion à la place du secteur privé. Nous déplorons souvent le manque de moyens en matière de politique de santé. De la même façon, nous sommes les premiers à reconnaître que nous rencontrons des problèmes de démographie médicale. La santé mentale est sans doute un secteur qui, aujourd'hui, va connaître de sérieux problèmes de démographie dans le domaine de la prise en charge des cas les plus graves. Nous aurions donc aimé entendre le Gouvernement sur de tels problèmes touchant à l'organisation du système de soins, laquelle nécessite, en effet, des décisions courageuses, volontaires et un diagnostic partagé. C'est vous dire combien nous sommes déçus, pour ne pas dire attristés. Nous ne pouvons, en conséquence, pas souscrire à votre politique et nous ne voterons donc pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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