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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 8 mars 2011 à 15h00
Adaptation au droit de l'union européenne en matière de santé de travail et de communications électroniques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la méthode qui a présidé au cheminement de ce texte marque votre impéritie et confirme un cynisme politique sans bornes, car elle n'a pas permis à la représentation nationale d'exercer ses prérogatives.

Vous l'avez d'ailleurs reconnu, madame la secrétaire d'État, dans la présentation que vous fîtes nuitamment devant notre assemblée en janvier. Je vous cite : Nous « devons mettre notre droit national en conformité avec les obligations résultant du droit communautaire. Nous devons combler les retards de notre pays en matière de transposition de plusieurs directives. Et nous savons bien que nous ne pouvons plus attendre. ». Pour toute justification, vous ajoutiez : « D'abord, ces retards ont un coût pour nos finances publiques, [...] Ensuite, ces retards nous mettent dans une forte insécurité juridique, puisque les citoyens de l'Union européenne peuvent désormais attaquer un État pour déficit de transposition. »

À moins qu'ils ne soient une reconnaissance implicite de l'incompétence du Gouvernement auquel revient la responsabilité de transposer les textes européens, vos arguments éclipsent de manière opportune la nature des desseins de ce Gouvernement, de sa majorité et des institutions libérales européennes !

Peut-être aurait-il été urgent d'attendre que la France, qui se place au quinzième rang des pays européens en matière de transposition, soit menacée de sanctions financières, ces dernières se comptant en millions d'euros ?

Mais peut-être avez-vous délibérément souhaité faire passer ces dispositions dans l'urgence pour éviter toute contestation de la part de nos concitoyens, toute mobilisation des partenaires sociaux et forcer une fois de plus le Parlement à délibérer à la va-vite sur un texte l'obligeant à renoncer à ses prérogatives, comme en témoignent les recours aux ordonnances en vertu de l'article 38 de la Constitution qui jalonnent ce texte !

Une procédure « normale » vous aurait certainement permis d'envisager de recourir à des voies de transposition plus respectueuses des droits du Parlement et des parlementaires, droits que vous avez soit disant revalorisés. Elle aurait également permis de procéder à des concertations avec les professionnels et les usagers visés par le texte...

Le fond ne vaut guère mieux que la méthode choisie : on balaye dans un même texte des sujets aussi divers et hétéroclites que la réglementation de la profession de mannequin, la question des ventes de boissons à emporter, la réglementation des eaux de baignade, les comités d'entreprise européens, le troisième paquet Télécom, l'éducation civique à Internet ou, encore, les médicaments traditionnels à base de plantes. Prévert n'eut pas mieux fait !

Cet amas législatif sur des sujets aussi disparates nous fait perdre de vue l'essentiel du projet : contrairement à nombre de nos partenaires européens, qui ont opté pour une transposition transversale, vous nous imposez une transposition sectorielle de la directive de 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

Dans tous les textes qui jalonnent votre vaste entreprise de dérégulation libérale – de la loi de modernisation économique à la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », en passant par la privatisation d'EDF et de la Poste –, vous minimisez les enjeux qu'ils représentent pour notre modèle social et vous mentez sur les effets induits. Et vous nous demandez aujourd'hui, par-dessus le marché – passez-moi l'expression ! –, de vous donner un blanc-seing pour légiférer par voie d'ordonnance !

La raison d'un tel cynisme est simple : Il révèle le manque de courage de votre majorité, qui est incapable d'assumer ses choix politiques devant le peuple et fait tout pour ne pas relancer la contestation de très nombreuses catégories professionnelles contre une directive dont le but ultime réside dans la suppression des entraves à la libre concurrence, socle idéologique d'une Europe à la botte des marchés.

La potion Bolkestein rebaptisée directive « Services », diluée dans des textes aussi opaques que parcellaires, n'en est pas moins amère. Au fond, il s'agit ni plus ni moins d'agir contre l'avis des peuples et de mettre les législations nationales au service de l'économie, de la rentabilité, de la croissance, de la concurrence libre et non faussée, au détriment des besoins humains et sociaux et des réalités écologiques,

Il faut être aveugle, intéressé ou à l'abri de toute précarité pour nier que ces manoeuvres n'ont pour but la casse rapide de notre système de protection sociale et le détricotage méticuleux de législations protectrices pour les usagers.

Or, depuis 2005, vous savez que le peuple n'est pas aveugle : une majorité de nos concitoyens a rejeté le projet de constitution européenne qui consacrait cette prédominance de l'économie sur l'humain, avant que, par un acte de triste mémoire républicaine, vous le leur imposiez.

Le texte dont la discussion s'achève aujourd'hui n'est que le prolongement de ce brutal déni de démocratie. Ne vous en déplaise, madame la secrétaire d'État, les directives qui se succèdent – et singulièrement la directive « Services » – consacrent un moins-disant social et une Europe à deux vitesses.

Trois exemples tirés de ce texte suffiront à illustrer l'affaiblissement de notre législation sur le plan social. L'article 2 assouplit les modalités d'agrément des organismes intervenant dans la certification et la revente des dispositifs médicaux. Comment être assuré que les organismes certificateurs implantés dans les autres États membres afficheront le même degré d'exigence que celui imposé actuellement par l'AFSSAPS dans un domaine touchant à la santé de nos concitoyens ?

Au nom de la libre prestation des services, l'article 3 vise à modifier le régime d'habilitation des organismes d'évaluation externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux pour permettre à des prestataires européens d'exercer de manière temporaire et occasionnelle en France. Ainsi, les organismes établis dans un autre État membre n'auront pas besoin de fournir une habilitation : une simple déclaration d'activité suffira. Comment peut-on être assuré que les organismes d'évaluation des autres États membres affichent le même degré d'exigence que la législation et la réglementation françaises en direction des publics fragiles ?

De même, l'article 10 assouplit le régime de reconnaissance des qualifications professionnelles pour les assistants de service social. Désormais, tout demandeur ressortissant d'un État membre, détenteur d'un titre de formation, sera dispensé de justifier de deux années d'expérience en tant qu'assistant de service social. Un certain nombre de garanties jusqu'alors exigées ne le seront plus, ce qui fait évidemment peser un risque non négligeable sur les publics pris en charge par les assistants de service social.

Ces trois articles sont des exemples frappants d'un désengagement et d'une déresponsabilisation de l'État, au détriment de la sécurité des patients et de la prise en charge des usagers. Ainsi, aux mauvais coups démocratiques succèdent les régressions dans le secteur privé comme dans les services publics, et cela consolide une Europe à deux vitesses qui fait de l'économie libérale son primat, et voue les législations sociales aux gémonies.

Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer les différences statutaires des textes européens. La violation ou le défaut de transposition d'une directive européenne entraîne systématiquement des sanctions financières à l'encontre des pays. Or ces directives ont très souvent une dimension économique et visent précisément à consacrer la logique de la libre concurrence et de la sacralisation du monde marchand. À l'inverse, la charte des droits sociaux fondamentaux n'a aucune valeur contraignante, si bien que la non-conformité d'une législation nationale par rapport à celle-ci n'entraîne aucune sanction. La raison de cette distorsion est simple : il s'agit surtout de ne pas faire peser trop de contraintes sur le marché européen pour ne pas entraver la dynamique des échanges, notamment dans le marché intérieur. C'est dire le peu de valeur qu'accordent les promoteurs de l'Europe libérale aux droits sociaux élémentaires reconnus par la charte, sans parler des législations nationales.

La preuve en est que nous votons aujourd'hui, dans une urgence volontaire, des tranches de la directive « Services » pour, selon vos propres termes, madame la secrétaire d'État, « libérer le potentiel de croissance des marchés de services en Europe en éliminant les obstacles juridiques et administratifs injustifiés qui freinent les échanges dans ce secteur ». Dans le même temps, vous refusez de mettre notre droit social en conformité avec les exigences du Comité européen des droits sociaux. Suite à une procédure de réclamation collective engagée par la Confédération générale du travail, ce comité a estimé, dans une décision du 23 juin 2010, que la législation française n'était pas, sur plusieurs points, en conformité avec la charte sociale européenne révisée. Le Comité européen des droits sociaux a ainsi précisé, à l'unanimité de ses membres, que le régime du forfait en jours sur l'année et les mécanismes assimilant les périodes d'astreinte à des périodes de repos contrevenaient respectivement aux articles 2 et 4 de la charte révisée. Or, en huit mois, le Gouvernement n'a rien fait pour conformer notre droit à la décision rendue par ce comité. Pourquoi ? Au nom des députés communistes et du parti de gauche, j'ai adressé un courrier daté du 19 janvier à M. le ministre du travail afin de savoir ce que le Gouvernement comptait faire pour adapter notre législation sociale aux exigences de la charte européenne que nous avons votée. Je n'ai pour l'heure pas reçu la réponse de M. le ministre. C'est pourquoi les députés communistes, républicains et du parti de gauche ont déposé aujourd'hui une proposition de résolution sur cette question.

Cet antagonisme nauséabond, qui fait primer les droits des marchés sur ceux des citoyens en général, et des travailleurs et usagers en particulier, fait désormais partie du patrimoine génétique d'une Union européenne qui a érigé le moins-disant social en mode de gouvernance.

La directive « Services dans le marché intérieur », comme la plupart des directives européennes, ne recherche que la libéralisation de l'économie et le démantèlement des règles protégeant encore les salariés, les acteurs de l'économie notamment sociale, les usagers et les consommateurs. L'Europe devrait protéger. Or elle détruit méthodiquement la protection sociale, avec la bénédiction libérale de la majorité.

C'est en vain que l'on chercherait dans ce texte l'intérêt général qui doit guider toute action politique et législative. Pour toutes ces raisons, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre ce projet de loi.

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