Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marcel Rogemont

Réunion du 26 janvier 2011 à 21h30
Intégrité des oeuvres artistiques et lutte contre le tabagisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont :

Je n'ai pas attendu la loi Évin pour arrêter de fumer, et je suis très heureux de pouvoir entrer dans un restaurant sans être imprégné de l'odeur du tabac rance ni être obligé de respirer les volutes des autres convives. Je suis donc tout à fait favorable à cette loi et je réfute l'idée selon laquelle les dispositions contenues dans notre proposition de loi y seraient opposées.

L'affiche ridicule de Métrobus présentant M. Hulot affublé d'un moulin à vent au lieu de sa légendaire pipe a soulevé une véritable question. À cette occasion, Plantu avait publié, dans Le Monde, un dessin dont la légende était : « Demain, on virera le gosse assis sur le porte-bagages pour pédophilie supposée ! » Il avait raison, car c'est bien la liberté d'expression, de création, qui est en jeu, au même titre que la garantie dans le temps de l'intégrité des oeuvres de l'esprit.

Que de grands mots pour une telle affaire, pourrait-on nous rétorquer ! Mais certains ne sont-ils pas allés jusqu'à invoquer un complot des industries du tabac, soupçonnées d'avoir fomenté ce coup pour ridiculiser la loi Évin ? À supposer que cette approche soit fondée dans le cas de cette affiche, peut-on évoquer de telles manoeuvres lorsque La Poste édite un timbre reproduisant une photo d'André Malraux – encore présente dans toutes les mémoires –, en le privant de sa cigarette ou lorsque la Bibliothèque nationale de France – un acteur culturel majeur – fait de même avec une photo de Jean-Paul Sartre ? Évidemment non, sauf à imaginer un big brother orwellien ayant pour objectif de porter, jour après jour, des coups de canif à la loi Évin. Soyons sérieux ! Le ridicule ne tue pas, mais il se porte bien.

Il nous est reproché de porter un coup de canif à la loi Évin, alors que notre proposition de loi vise, au contraire, à supprimer le canif que représentent ces surinterprétations abusives de la loi, en clarifiant celle-ci. Au reste, notre proposition de loi ne vise même pas à définir des exceptions ; elle a pour seul objet de préciser les choses. Pour ce faire, il est nécessaire de légiférer, car, dans leurs successions, les réécritures de notre patrimoine prospèrent et, surtout, deviennent banales, au point d'être automatiques et, partant, légitimes même pour des acteurs culturels de premier rang.

Faut-il interdire de représenter Brassens avec une pipe, lui que l'on nomme pourtant « le poète à la pipe » ? Devrait-il devenir désormais « le poète au moulin à vent » ? Faut-il aller jusqu'à interdire la plupart de ses chansons ? L'une d'entre elles, au moins, serait épargnée ; je veux parler des Quat'z'arts, dont je vous rappelle les paroles : « J'ai compris ma méprise un petit peu tard quand, allumant ma pipe avec le faire-part, j'm'aperçus que mon nom, comm'celui d'un bourgeois, occupait sur la liste une place de choix »

Faut-il interdire Serge Gainsbourg, qui chante : « Dieu est un fumeur de havanes » ! Le texte pourrait être interprété comme une réclame, une incitation à fumer, voire – pourquoi pas – un blasphème. Si je parle de blasphème, c'est parce que la porte est ouverte, dans un pays proche du nôtre. Récemment, en Turquie, membre du Conseil de l'Europe, le CSA local a jugé recevable une plainte formulée par près de 75 000 personnes, protestant contre la diffusion d'une série relatant la vie de Soliman le Magnifique. Cette série a été jugée comme s'attaquant à la vie privée, au motif que Soliman y était représenté buvant de l'alcool. Le ministre de la culture s'était d'ailleurs prononcé contre cette diffusion.

Excessif, me direz-vous. Bien entendu ! Il ne s'agit, en l'espèce, que de consommation d'alcool. Certes, celle-ci est contraire à la religion, mais on pourrait invoquer, demain, les dangers qu'elle présente, comme le tabac, pour la santé des individus.

Bref, laisser prospérer des interprétations de la loi Évin erronées et éloignées de son véritable objet pourrait menacer la liberté d'expression, de création, ainsi que l'intégrité des oeuvres et leurs représentations. Ces surinterprétations appellent de notre part une action claire. À défaut, on pourrait penser que le révisionnisme serait de retour, même s'il prend, pour ce faire, les habits de la défense de la santé.

Claude Évin lui-même a souligné le caractère ridicule des interprétations qui ont pu être faites de sa loi. Il nous appartient de revenir à l'esprit de celle-ci. L'art, la création aboutissent à des représentations qui dépassent les frontières de ce qui est admis, de ce qui apparaît comme censé, moral et, parfois même, de ce qui est légal. Nous avons un droit d'accès à l'oeuvre dans son intégrité, sans que de prétendues interprétations de la loi nous en empêchent. C'est de cela qu'il s'agit, et rien de plus !

C'est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion