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Intervention de Michel Mercier

Réunion du 18 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion d'un projet de loi

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, avant d'en venir au coeur de mon intervention, je souhaite remercier le président, le rapporteur et tous les membres de la commission des lois de m'avoir accueilli à trois reprises. Je suis très sensible au fait que vous m'ayez invité à participer à vos travaux, qui ont été très fructueux et nous permettront d'asseoir ce débat important sur des fondements clairement définis entre nous.

La réforme de la garde à vue appartient d'abord à une suite logique. L'Assemblée nationale vient ainsi d'adopter les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits ; il y a évidemment une continuité de l'action du Gouvernement et du Parlement dans le domaine des libertés publiques.

Ainsi, c'est parce que la Constitution a été révisée que le contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, avec les questions prioritaires de constitutionnalité, a été institué en 2008 et que nous avons aujourd'hui à délibérer sur la garde à vue.

Ce projet prend également la suite de plusieurs textes votés par le Parlement, par cette majorité. Je songe notamment à la loi pénitentiaire, à l'institution d'un Contrôleur général des lieux de détention et, bien entendu, à celle du Défenseur des droits.

Il s'agit là d'un engagement fort et constant, derrière le Président de la République, du Gouvernement et de sa majorité en faveur des libertés ; il faut le rappeler et le souligner. J'invite tous les membres de l'Assemblée nationale à entrer dans ce débat, non pas contraints et forcés, mais en ayant le sentiment de mener une réforme destinée aux temps que nous vivons. (Exclamation sur les bancs du groupe NC.)

Il s'agit de construire un nouvel équilibre, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Selon le Conseil, en effet, « il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; […] au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ».

Ce nouvel équilibre, il appartient donc au Parlement de le construire en tenant compte à la fois des exigences conventionnelles – issues de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme – et, tout naturellement, de notre Constitution.

Cet équilibre doit reposer sur une redéfinition de la garde à vue, de son contenu comme de son caractère d'utilisation. Mais, je le répète, l'équilibre doit également être revu sur le fondement des droits conventionnellement et constitutionnellement garantis.

Avant d'en venir au texte lui-même, je veux dire à nouveau à l'Assemblée nationale que, lors du débat qui s'ouvre devant elle, le Gouvernement ne cherchera pas à rétablir l'audition libre. Aussi n'évoquerai-je pas cette dernière dans mon intervention ; je tenais à le préciser d'emblée.

Nous devons parvenir à l'équilibre nouveau que le Conseil constitutionnel nous invite à construire en ayant pleinement conscience du fait que la garde à vue, selon les termes du Conseil, « demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ».

S'agissant tout d'abord de la redéfinition du contenu de la garde à vue, rappelons que celle-ci doit être une mesure de coercition, privative de liberté ; aussi convient-il d'en limiter précisément l'utilisation et d'en fixer strictement le régime.

Il s'agit d'abord de limiter le nombre de gardes à vue, premier motif de critique. En quelque dix ans, on est passé de 200 000 à près de 800 000 gardes à vue par an. Or on ne peut pas utiliser la garde à vue comme un moyen banal d'enquête. Il convient de la réserver à des cas strictement définis, les seuls où elle est absolument nécessaire : lors d'investigations portant sur des infractions punies d'une peine d'emprisonnement et lorsque l'enquêteur prouve que la garde à vue constitue le seul moyen de conduire l'enquête, ou s'il existe un risque avéré de destruction des preuves, de pression sur des témoins ou de concertation avec des complices.

S'il est particulièrement difficile de mesurer les effets précis des mesures contenues dans le texte sur le nombre de gardes à vue, on peut cependant noter qu'une partie importante de ces dernières, celles qui découlent de délits routiers – soit 175 000 d'entre elles –, ne devrait pas, pour l'essentiel, se retrouver dans le nouveau régime. Quant aux autres délits, l'encadrement strict des critères des gardes à vue devrait avoir d'importantes conséquences sur leur nombre. Une diminution d'environ 300 000 gardes à vue par an est attendue.

Outre la réduction du nombre de gardes à vue, première mesure importante, il faut définir le contenu de la garde à vue. De ce point de vue, le texte qui vous est soumis constitue une amélioration notable des droits de la personne gardée à vue.

Tout d'abord, il apporte les garanties d'un meilleur respect de la dignité des personnes. Rappelons simplement le droit de demander à être examiné par un médecin, les garanties que la dignité des personnes sera respectée lors des investigations corporelles et l'intervention d'un médecin pour procéder aux investigations corporelles internes.

En outre, les fouilles à corps intégrales devront être décidées par un officier de police judiciaire et effectuées par une personne du même sexe que la personne gardée à vue ; il est interdit d'y recourir pour des raisons de sécurité et elles ne peuvent être décidées qu'au nom des nécessités de l'enquête. Seul un OPJ peut, d'office ou sur instruction du procureur, décider du placement d'une personne en garde à vue lorsque les conditions légales sont réunies. Enfin, la personne placée en garde à vue est informée, d'une façon compréhensible par elle, du fait qu'elle peut se taire et s'abstenir de répondre aux questions qui ne concernent pas son identité.

Il est bien évident toutefois que l'une des innovations les plus importantes en matière de garantie de droits, notamment de ceux de la défense, réside dans le fait que la personne placée en garde à vue aura droit à l'assistance d'un avocat dès son placement en garde à vue.

En effet, la personne gardée à vue pourra tout au long de sa garde à vue être assistée par un avocat, lequel sera en mesure de jouer son rôle et de préparer la défense de son client. Il s'agit là d'une avancée majeure en matière de respect d'une liberté constitutionnellement garantie. L'avocat pourra préparer les auditions devant les services de police, poser des questions et présenter des observations. Il aura également accès aux procès-verbaux de notification et d'audition.

De plus, j'ai déposé un amendement au nom du Gouvernement qui reprend explicitement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme liée à l'arrêt Salduz qui précise qu'aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites sans avocat. Il s'agit d'une garantie supplémentaire qui, associée avec la reconnaissance du droit au silence, fait de l'assistance de l'avocat dès le début de la garde à vue un élément particulièrement fort du respect des droits de la défense, liberté publique garantie par la Constitution.

Restent certains cas pour lesquels des régimes dérogatoires doivent être maintenus, comme l'ont reconnu le Conseil constitutionnel dans la décision précitée et la Cour de cassation dans une série d'arrêts rendus par la chambre criminelle au mois d'octobre 2010. La nécessité de ces régimes dérogatoires réservés à la criminalité organisée, au trafic de stupéfiants et au terrorisme n'a du reste jamais été contestée, que ce soit par la Cour de Strasbourg, par la Cour de cassation ou par le Conseil constitutionnel. Je veux rendre hommage au ministre de la justice qui, en présentant les textes de loi qui les ont instaurés, a permis à notre pays de disposer de l'un des meilleurs arsenaux de lutte contre ces trois formes de criminalité : je veux bien entendu parler de Dominique Perben.

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