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Intervention de Patrice Meyer-Bisch

Réunion du 3 novembre 2010 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Patrice Meyer-Bisch, Observatoire de la diversité et des droits culturels, coordonnateur de l'Institut interdisciplinaire d'éthique et des droits de l'homme, IIEDH et de la Chaire UNESCO pour les droits de l'homme et la démocratie, Université de Fribourg, Suisse :

Il est bien difficile d'intervenir après tant de richesses. D'un autre côté, c'est plus facile, puisque la démonstration parfaite a été faite de ce que l'on peut rechercher, à savoir la synergie des ressources culturelles, créatrices de richesses.

Nous devons opérer un changement de paradigme de la culture subventionnée, qui reste nécessaire, à la culture comprise comme un investissement humain,dans les capacités de relations, de liens de chacune et de chacun d'entre nous, y compris de tous ceux qui sont en situation de pauvreté ou de conflit avec la loi.

Il a été dit : « Quand le droit de participer à la culture sera effectif, nous aurons gagné notre combat. » Oui, c'est vrai, mais le défi est immense ! Car la culture nécessite que nous plongions à la fois dans les ressources du passé, dans les ressources naturelles et que nous les déterrions des conflits, car il faut les déterrer pour les travailler. C'est ce qui nous permet de faire le lien entre le sensible et le pensant – disait Mme Stenou – avec le corps, ses matières et l'esprit, avec l'ancien et le moderne, dans tous ses sens. C'est un peu la quadrature du cercle, c'est aussi le défi de l'innovation et de la fécondité.

On voit bien, dans l'exemple qui vient de nous être présenté, que la plongée dans le temps – non pas dans les racines car nous ne sommes pas des plantes, mais dans les différentes strates – est un accès à l'universel. Cette reconnaissance de la diversité culturelle sous nos pas est sensible pour de nombreuses populations du monde. L'exemple d'ethnoarchéologie à St-Denis montre l'importance d'une valorisation de la diversité culturelle pour le lien social et politique, comme pour l'épanouissement de chacun.

Quelle est aujourd'hui l'actualité du droit de participer à la vie culturelle ?

Depuis la Déclaration universelle de l'UNESCO de 2001 qui lui était consacrée, la diversité culturelle, qui était auparavant considérée comme un frein au développement, est devenue richesse, ressource de créativité et ressource d'universalité, puisqu'il s'agit de rejoindre la dignité de chaque être humain dans ce qu'elle a de plus précieux, et ce qu'elle a de plus précieux s'accorde au singulier. Il faut donc aller le chercher là. La notion de droit culturel signifie que l'on ne se place pas seulement dans la logique de consommateur. Quand on dit « chercher ses publics », il faut reprendre le terme de « public » au sens le plus noble et non pas chercher la masse des consommateurs ou des personnes qui ne vont pas à l'opéra. Il s'agit du droit qui, lui-même, est un droit d'accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires pour vivre son identité, ses liens ; ce droit est aussi un droit de participer, une liberté de choix et une responsabilité.

La dynamique des droits de l'homme qui contient les droits culturels a été complètement oubliée. La dynamique des droits de l'homme redonnera véritablement le dynamisme interne au développement de la personne, ce qui fermera la boucle de l'interdépendance des droits de l'homme : les droits culturels protègent les capacités les plus intimes des personnes et conditionnent ainsi l'exercice de tous leurs autres droits. Cela se vérifie en particulier dans les conditions de pauvreté. Mme Salmet a fait référence à l'Année européenne de lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté. Un colloque s'est tenu il y a une semaine à Bruxelles sous la Présidence belge de l'Union européenne sur ce sujet. C'est essentiel. Il faut aller rechercher les mémoires abîmées, restaurer la dignité des personnes exprimée dans leur identité à condition que celle-ci soit librement vécue et non imposée de l'extérieur. Il ne faut pas considérer la pauvreté comme une absence de ressources, mais comme des dignités bafouées, comme un ensemble de violations, des personnes dont on a méconnu l'identité et sacrifié les ressources culturelles. Il ne s'agit pas seulement de combler un besoin, un vide, mais de développer des capacités en restaurant des ressources gaspillées. Il en va de même pour les logiques de violence, qui sont pour la plus grande part des pathologies identitaires, des identités humiliées.

La valorisation de la diversité culturelle est le meilleur investissement pour la paix, qu'il s'agisse de la paix dans les quartiers, de la paix sociale en général ou de la paix internationale. Il en va de même pour les logiques de communication. La communication a une matière, un contenu qui est fondamentalement culturel. Il ne s'agit pas seulement d'être branché sur Internet, il faut reconnaître la qualité de ce qui s'y passe. Dès lors, la notion de culture transversale apparaît de la façon la plus forte. C'est pourquoi, aux Nations Unies, on assiste à une émergence forte de l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui suit l'article 26 sur le droit à l'éducation et précède l'article 28 sur le droit de participer à un ordre tel que les droits humains soient effectifs. Autrement dit, le droit de participer à la vie culturelle comme condition du droit de participer à la vie politique en général.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a promu une Observation générale n° 21 sur ce droit. C'est une observation innovante qui sera pour nous matière à réflexion. Le Conseil des droits de l'homme a, pour la première fois, établi une procédure spéciale et nommé une experte indépendante des droits culturels qui a produit son premier rapport. C'est un signal fort qui montre que la culture ne vient pas après et qu'elle est essentielle.

Mme Marland-Militello, que je remercie pour cette initiative, m'a dit que j'étais « caution juridique ». Sûrement pas ! D'abord, parce que je suis philosophe, même s'il s'agit de philosophie du droit et de l'économie ; ensuite, il s'agit de montrer, non pas seulement la valeur ajoutée, mais la légitimité démocratique de l'approche de la culture par les droits de l'homme et spécifiquement ici par les droits culturels. Il ne s'agit pas d'organiser une défense linéaire, en demandant d'investir plus d'argent dans la culture. Il ne servirait pas à grand-chose que de le dire ; il s'agit plutôt de démontrer l'universel intérêt de l'accès aux ressources culturelles. J'aime l'image de l'archéologie, c'est-à-dire la science des principes ; on doit aussi faire une archéologie de la pauvreté et de la violence.

Quelles sont ces strates de mémoire humiliée et qui continuent à nous exploser à la figure ? C'est un défi culturel essentiel. Le problème qui se pose ici c'est le passage de la culture au sens étroit – on a parlé des beaux-arts, du patrimoine –, au sens large selon la définition de l'UNESCO. Bien entendu, le défi consiste à considérer la culture dans la diversité de ses dimensions tout en étant concret. Alors, comment faire ?

En complément des propos de Mme Marland-Militello, l'hypothèse de travail consiste à cerner les discriminations multiples ou les violations de droit, de rechercher les sens interdits, c'est-à-dire tout ce qui ne passe pas. Si la culture peut être une circulation du sens, qu'il s'agisse de l'alimentation, de l'habitat, des beaux-arts, de l'éducation, de la communication, bien des sens sont interdits. Autrement dit, des combinaisons de violations de droits conservent la pauvreté culturelle, c'est-à-dire des personnes qui n'ont pas accès aux ressources qui sont nécessaires pour vivre leur identité, pour vivre librement leurs liens sociaux.

Si nous n'arrivons pas toujours à identifier ces combinaisons ou ces noeuds de violations de droit, a contrario, on peut identifier les noeuds de valorisation multiple, si j'oppose « valorisation » à « discrimination », c'est-à-dire les combinaisons gagnantes de droit. L'objectif consiste à mettre l'accent sur les jeunes, non que les jeunes soient plus importants que les anciens : il faut faire porter l'accent sur le lien intergénérationnel et cette capacité des jeunes à être innovants parce qu'ils ont en eux des potentiels qu'il faut vérifier. Ce n'est pas simplement un public cible important pour lui-même, ce sont des personnes qui sont et seront responsables de la transmission des valeurs culturelles.

Dans ces combinaisons gagnantes, il y a forcément un lien éducation, information, patrimoine, les trois droits culturels de la communication.

L'archéologie, territoire et citoyenneté, est exemple de valorisations multiples. On cherchera le lien entre l'ancien et le moderne, entre les couches du territoire, les couches de population et les couches de mémoire. On cherchera dans l'objet les ressources pour le projet. Il s'agit de valoriser ici concrètement toute la matérialité du milieu culturel. Je ne parlerai pas des cultures, mais des milieux culturels composites et des libertés de chacun d'y puiser ses ressources, d'y participer et de les communiquer. Ce type d'exemple est intéressant pour montrer que la violation des droits culturels a un effet paralysant sur les sociétés.

A contrario, la valorisation, l'effectivité du droit culturel a un effet de levier. C'est un changement complet de paradigme. Dans l'opinion en général, la culture forme un bien secondaire et un bien de consommation secondaire, ce qui est une double réduction. Pour nous, c'est un levier d'innovation, de création sociale, le levier du développement interne, qui touche aussi bien à l'intime de la personne qu'à l'intime du tissage social.

La multidisciplinarité dont vous avez parlé au plan musical est l'un des éléments concrets. Nous devons chercher la correspondance des arts et, de façon plus générale, la correspondance des domaines de culture. Souvent, on veut placer l'art au centre, mais s'agissant de culture, il existe d'autres centres. On a parlé des sciences qui sont aussi au centre ; il convient de concevoir art et savoir-faire dans leur grande transversalité. Art, tekne, et pratiques, praxis : vous obtenez ainsi un art de la vie quotidienne. Notre grande dialectique, notre grand défi, qui est valable pour tous les droits de l'homme, est de faire le lien entre la vie ordinaire et l'excellence, l'excellence nourrissant la vie ordinaire, permettant un accès de tous à la richesse culturelle.

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