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Intervention de Nicole Rodrigues

Réunion du 3 novembre 2010 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Nicole Rodrigues, directrice de l'Unité d'archéologie de la Ville de Saint-Denis :

Je tiens de prime abord à remercier Mme Marland-Militello qui me permet de présenter ce projet qui s'appelle « Archéologie, territoire et citoyenneté. »

Voilà plus de trente-cinq ans que des recherches archéologiques se déroulent à Saint-Denis. Ici, le profond ancrage de l'archéologie dans le territoire a permis d'engager une démarche innovante de socialisation, conçue à partir d'un socle scientifique tout en impliquant de nombreux partenaires locaux, y compris les habitants eux-mêmes.

Les premières fouilles pratiquées au XIXe siècle concernaient la basilique abbatiale de l'une des plus puissantes abbayes de l'Occident médiéval, où sont inhumés les rois de France depuis la dynastie mérovingienne. Les recherches archéologiques portant sur la ville ont débuté en 1973 par la surveillance de la tranchée de métro qui passait au pied de la basilique. Puis elles se sont poursuivies jusqu'en 1991, sur les 13,5 hectares du centre ancien qui faisaient l'objet d'une vaste rénovation urbaine.

Un service archéologique municipal a été créé en 1982, l'Unité d'archéologie. Plus de 180 opérations d'archéologie préventive ont été effectuées jusqu'à ce jour sur les 1 200 hectares du territoire communal. Ce maillage territorial permet d'étudier la ville sous différents angles, de comprendre les mécanismes d'évolution de l'agglomération, d'approcher de manière tangible le « monde matériel » au travers de plus de 50 000 objets remarquables.

Saint-Denis est un territoire en pleine mutation. Depuis 1998, se développent de nouveaux quartiers construits sur les friches de la désindustrialisation du début des années 1980. C'est une ville de la banlieue nord de Paris, qui compte 100 000 habitants. Elle est située au coeur de « Plaine Commune », une Communauté d'agglomération dont la population dépasse les 300 000 habitants.

30 % de la population est âgée de moins de 20 ans et les « moins de 40 ans » représentent 64 % de la population. Un quart de sa population est d'origine étrangère, avec près de 80 nationalités différentes. Le taux de chômage de la population dépasse les 21 %.

L'archéologie est une discipline concrète, apte à établir des contacts directs avec les publics les plus variés, à tisser du lien social. Le projet « archéologie, territoire et citoyenneté », initié en 1998, repose sur l'idée que le sous-sol contient des richesses qu'il est possible d'utiliser comme outils de connaissance du territoire permettant d'offrir des repères à une population multiculturelle et à participer à la construction de la ville de demain. Ce projet est un travail de fond, qui s'inscrit dans la durée. Il suppose la mise en oeuvre de nombreux partenariats, tout en offrant le champ libre à l'expérimentation, à la création.

Le premier volet du projet de socialisation s'articule autour de la lecture de la ville.

Il s'agit d'un parcours espace-temps, long de 1 700 mètres qui mène de la basilique au Stade de France. Il comprend vingt bornes à taille humaine découpées dans de l'acier. Le parcours s'adresse à tous car il a pour cadre la rue et pour public le piéton. Il est offert aux habitants, aux scolaires, aux salariés à ceux qui « font » la ville et qui « vivent » la ville. On peut le découvrir librement, par étapes ou d'un seul trait, en « remontant » le temps ou en le « descendant ».

La maquette évolutive du territoire utilise également les recherches portant sur la topographie historique. Mais il ne s'agit plus, ici, d'un fil conducteur, mais d'une surface de 1 m2, celle du territoire communal, constituée de plusieurs strates de carton découpées et formant un puzzle. On peut ainsi « déconstruire » la ville et la « reconstruire », à la manière des archéologues qui fouillent par strates. La « maquette » circule dans le milieu scolaire et associatif. Lors d'une réunion de quartier, elle facilite la présentation de projets urbanistiques. Elle est prétexte à discussion et à créer du lien social.

Les chantiers d'archéologie préventive offrent d'infinies possibilités pour sensibiliser les habitants d'un quartier, d'une cité à la « ville invisible » qui sommeille sous leurs pas. Les exemples d'action sont nombreux, chaque fois uniques, car ils concernent un espace géographique, un contexte urbanistique et social différent et portent sur des vestiges qui peuvent remonter à la Préhistoire ou concerner la période industrielle. De véritables « installations » ont été réalisées, tel ce « chemin à remonter le temps », de l'an 2000 au premier siècle de notre ère, borné par des jalons de bois, plantés verticalement, imitant des mires de topographe. Pour « remonter le temps », il fallait se servir de la formule suivante : si 1 mire = 1 an, par conséquent 2 000 mires = 2 000 ans. Ce « site des 2 000 mires », qui comprenait des totems didactiques a été aménagé par des jeunes en prévention et l'accueil du public a été effectué par des jeunes en insertion.

La fouille d'un site carolingien au pied d'une cité a permis de monter une exposition archéologique dans « l'antenne Jeunesse » de cette cité, réalisée par des jeunes fréquentant cette antenne. Ce projet a été conçu et coordonné par un élève conservateur, stagiaire de l'Institut national du Patrimoine, dans le cadre de son projet « égalité des chances ». La préparation de l'exposition a duré trois mois. Les dix jeunes participant à ce projet se sont intéressés à l'histoire de la ville. L'exposition a duré douze jours et s'est prolongée l'année d'après, en 2008, par un calendrier.

Les habitants, toutes générations confondues, ont été associés à un échantillonnage pratiqué une journée entière sur un site industriel qui recelait des rebuts de la verrerie industrielle « Legras » à la Plaine Saint-Denis, en 2000. Principalement pour des raisons de sécurité, la participation des habitants aux opérations d'archéologie préventive est impossible. Par contre, depuis cette année, une fouille programmée permet de les accueillir, de les former, renouant ainsi avec une pratique ancienne qui avait permis, entre 1974 et 2000, à près d'un millier d'habitants de participer aux fouilles.

La fouille programmée a lieu sur un îlot en plein coeur de ville. Ce site archéologique, ouvert quatre mois par an, a été aménagé pour le public, par un chantier école d'insertion en éco-construction ayant permis à douze jeunes du territoire de se former aux métiers de coffreurs, boiseurs, maçons. Ce projet a reçu la caution de la DRAC Île-de-France, de Plaine Commune, du Fonds social européen (FSE) et du programme européen Archaeology in Contemporary Europe. Cette fouille programmée permet également de développer des projets pédagogiques, tout au long de l'année scolaire, soutenus par le ministère de l'éducation nationale, le rectorat de Créteil, grâce à un professeur relais. La lecture de la ville revêt alors une dimension concrète grâce à la pratique de l'archéologie. Un modèle de fouille est destiné aux plus petits et sert de support à des ateliers pédagogiques et des animations.

Le deuxième volet du projet de socialisation s'articule autour du mobilier archéologique. Il s'agit ici de croiser études techniques d'objets archéologiques et savoir-faire artisanaux. Des opérations d'archéologie expérimentale sont organisées, telle la réplique d'un four de potier médiéval. Le croisement entre savoir-faire des habitants et techniques anciennes est illustré par cette potière ivoirienne qui a façonné, au colombin, des copies de poteries de La Tène ancienne, puis les a cuites « en meule » avec de la paille, à moins de 150 mètres du parvis de la basilique.

Une association, « Franciade, le goût de la connaissance », créée en 2003, travaille au repérage des savoir-faire artisanaux, accompagne des actions de formation et d'insertion, notamment soutenues par des programmes européens Equal et la mission « Economie du patrimoine » de Plaine Commune. Afin d'intensifier ces actions, un projet structurant est en cours : un Centre d'interprétation de l'architecture et du patrimoine qui « s'appuie sur l'expérience de socialisation ». Sa première réalisation, sous la forme d'un échafaudage accessible au public, gratuit, ouvrira l'an prochain. D'autres projets sont en cours autour des cités concernées par le programme de rénovation urbaine qui sont en cours de démolition.

Ainsi, à Saint-Denis, l'archéologie territoriale n'est pas uniquement tournée vers le passé, elle s'est mise au service du développement local.

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