Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Maria Angela Holguin Cuellar

Réunion du 9 novembre 2010 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Maria Angela Holguin Cuellar, ministre des relations extérieures de la République de Colombie :

Je vous remercie beaucoup de cette invitation. La France est un peu mon deuxième pays. J'y ai vécu plusieurs années, et je considérais comme ma mère la dame chez qui je vivais lorsque j'étais étudiante, à tel point que, par la suite, pendant vingt ans, jusqu'à son décès, je lui rendais visite chaque année pendant quelques jours. Venir en France est toujours un plaisir pour moi, et j'aime beaucoup votre langue.

Vous m'avez interrogée, monsieur le président, sur les relations de la Colombie avec ses voisins. Je connais bien le Venezuela et le président Hugo Chavez, ayant été ambassadrice à Caracas entre 2002 et 2004. L'enjeu principal est d'entretenir de bonnes relations avec nos voisins d'Amérique Latine. Le président Uribe, ces huit dernières années, a consacré tous ses efforts aux questions de sécurité et nous avons alors rencontré de ce fait des problèmes avec certains pays voisins, mais nous souhaitons tourner la page. Nous voulons désormais nous rapprocher et coopérer. La sécurité n'en reste pas moins un enjeu essentiel pour notre pays : sans sécurité, la prospérité est condamnée à rester « instable », comme l'a dit le président Santos.

Dès son arrivée au pouvoir, il a établi le contact avec le gouvernement vénézuélien en vue d'un dialogue et d'une coopération en matière de sécurité. Une première réunion s'est tenue à Santa Marta, deux jours après l'investiture du président. Cela n'a pas été aisé car le président Santos, avant son élection, parlait souvent du président Chavez dans des termes critiques, et le président Chavez avait déclaré que la victoire de M. Santos rendrait la situation très compliquée, voire ferait peser un risque de guerre avec le Venezuela.

J'ai finalement eu de bonnes conversations avec mon homologue vénézuélien. Ma tâche a été facilitée par l'ex-président argentin, Nestor Kirchner. Depuis deux ans, je vivais en effet en Argentine, où j'ai ouvert le bureau local de la banque de développement CAF, la Corporacion Andina de Fomento, tandis que Nestor Kirchner était devenu le secrétaire général de l'UNASUR – l'Union des nations sud-américaines –, et manifestait la volonté de jeter des ponts entre la Colombie et le Venezuela. Il nous a beaucoup aidés pour les premiers rapprochements, en expliquant à M. Chavez que les FARC posaient un problème de drogue, susceptible de toucher aussi le Venezuela et nécessitant un dialogue.

À Santa Marta, nos deux présidents ont beaucoup parlé de la sécurité et des FARC, 70 % des conversations ont même porté sur ce thème. Puis ils ont eu à Caracas, il y a huit jours, une deuxième réunion. Nous vivons une phase de construction de la confiance et nous ne sommes pas triomphalistes mais optimistes. Les relations entre la Colombie et le Venezuela ont toujours été compliquées – cela ne date pas de la présidence de M. Chavez – car la frontière est très vivante. L'important est que nous soyons déjà parvenus à mettre sur pied des mécanismes de coopération en matière de sécurité et de lutte contre la drogue, sans oublier les questions ayant trait au commerce et aux infrastructures.

S'agissant de l'Équateur, mon prédécesseur avait accompli de gros efforts pour restaurer des relations normales. Entre nos deux pays, tout fonctionne désormais, même si nous n'avons toujours pas échangé d'ambassadeurs. Les Équatoriens réclament au préalable des informations précises à propos de la conception et du déroulement de l'opération Phénix, au cours de laquelle Raul Reyes est mort, notamment pour savoir si les Américains étaient impliqués. Je me rendrai en Équateur la semaine prochaine et une commission est chargée d'examiner les sujets sensibles. Il y a un mois, lorsque le président Rafael Correa a traversé des difficultés, le président Santos s'est immédiatement rendu en Argentine pour une réunion de l'UNASUR : nous avons soutenu la démocratie en Équateur, et c'est un point important pour la confiance. Néanmoins, lorsque l'opération Phénix a été menée, le président Santos était ministre de la défense ; si nos relations se sont bien améliorées, la confiance doit donc encore être consolidée.

Ce rapprochement avec nos voisins a été apprécié dans le reste de l'Amérique latine. Un mois après l'investiture du président, nous sommes allés au Brésil et les relations avec Lula sont excellentes, nous avons de nombreux projets, beaucoup plus qu'au cours de la période précédente. Pour Lula, il est compliqué de faire l'arbitre entre deux pays avec lesquels le Brésil est limitrophe. Nous nous sommes aussi beaucoup rapprochés de l'Argentine, comme je l'ai dit grâce à Nestor Kirchner.

Nous voulons avoir des relations normales avec les pays de la région et nous croyons que nous pouvons constituer un pont entre l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud. Avec la création de l'UNASUR, c'est comme si l'Amérique Latine était coupée en deux : le Mexique et l'Amérique Centrale d'un côté, l'Amérique du Sud de l'autre. Or nous nous situons à la charnière entre l'une et l'autre. Peut-être savez-vous que les pays du MERCOSUR refusent de reconnaître le président du Honduras Porfirio Lobo, ce qui empêche le pays de siéger à l'Organisation des États américains (OEA). Nous aidons le Honduras à faire reconnaître que son président a été élu démocratiquement, afin de lever l'instabilité actuelle.

Si nous voulons entretenir de bonnes relations de coopération, nous ne cherchons pas pour autant à convaincre les États membres de l'ALBA – l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique – et ils ne nous convaincront pas non plus. Nos options économiques et politiques sont différentes, chacun en est conscient, mais cela ne nous empêche pas de pouvoir coopérer. Je crois que la transparence et l'honnêteté paieront.

Avec les États-Unis, qui nous ont apporté leur soutien dans la guerre contre les narcotrafiquants, nos relations restent excellentes. Il y a quelques semaines, le numéro deux du secrétariat d'État, M. James Steinberg, nous a rendu visite. Le traité de commerce n'est pas encore sur le bureau du Sénat, et nous ne sommes pas sûrs que le gouvernement américain soit décidé à le présenter dans les mois à venir. De toute façon, nous ne souhaitons pas limiter nos relations au commerce et à la défense. Nous avons donc étendu l'agenda aux questions d'énergie car nous avons désormais la capacité de vendre de l'énergie dans la région. Nous voulons travailler en coopération avec les États-Unis et nous pensons que nous pouvons beaucoup apporter. Il en va de même pour les sciences et technologies ou les droits humains. Pour la première fois, une grande réunion a été organisée en Colombie, en présence de nombreux fonctionnaires venant des États-Unis, pour parler d'autres sujets que le commerce et la défense. Si nous continuons à développer nos relations avec nos voisins, nous serons en mesure d'avoir un rôle accru dans la région.

L'Europe à présent. Le président Santos, après son élection, a visité quatre pays européens : la France, l'Espagne, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Après huit ans de lutte pour la sécurité, la Colombie est devenue un autre pays, elle s'est complètement transformée, elle est aujourd'hui relancée économiquement. Grâce à la sécurité retrouvée, nous avons découvert des puits de pétrole et, en un an, nous comptons faire passer la production de 400 000 à 1 million de barils par jour. Nous nous demandions toujours comment le Venezuela faisait pour extraire tant de pétrole alors que la Colombie, pays limitrophe, ne produisait rien. C'est la même chose, d'ailleurs, pour le secteur minier : grâce à la sécurité, nous avons pu avancer dans les domaines de l'extraction d'or ou de charbon.

En Europe, nous avons des partenaires privilégiés. Depuis une dizaine d'années, nous sommes extrêmement proches de l'Allemagne, très engagée dans plusieurs secteurs de l'économie colombienne. Nous travaillons aussi de manière très soutenue et dans divers domaines avec la Grande-Bretagne et la France. Notre relation avec la France a été longtemps hypothéquée par la question du kidnapping d'Ingrid Betancourt. Nous voudrions tourner la page et nous investir sur d'autres dossiers. Hier, avec votre ministre Bernard Kouchner et M. Jean-David Levitte, nous avons envisagé les dossiers sur lesquels nous pourrions travailler ensemble à l'avenir. Dans le domaine agricole, par exemple : grâce à la sécurité retrouvée, il devient possible de cultiver de nouvelles terres, et vous pourriez nous apporter une grande aide, ou encore dans les domaines de l'éducation, des sciences et technologies.

La Colombie vient d'être élue au Conseil de sécurité de l'ONU pour les années 2011 et 2012. Nous pouvons apporter notre expérience en matière de conflits, à nos voisins d'Amérique Latine et des Caraïbes. La situation en Haïti est très compliquée, vous le savez. Je m'y suis déplacée deux fois, il y a deux mois. Le président Santos s'y est rendu aussi. Nous nous sentons particulièrement concernés car Haïti n'est qu'à une heure de la ville colombienne de Barranquilla. Les Haïtiens manquent de tout, les institutions font défaut, nous ne pouvons pas les laisser dans cette situation. Les opérations de paix des Nations Unies coûtent 600 millions de dollars par an : elles pourraient être converties en opérations de développement. Ce sera l'une des positions que nous défendrons au Conseil de sécurité et nous y travaillerons avec la France.

S'agissant du commerce extérieur, nous avons perdu le marché vénézuélien : nos exportations y sont tombées de 7 milliards de dollars à 1,5 milliard par an. Même si de bonnes relations sont restaurées, il nous sera très difficile de revenir en arrière car le Venezuela s'est organisé différemment, et il achète désormais ailleurs. De toute façon, on ne doit pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, et nous regardons aujourd'hui vers l'Asie, même si plusieurs pays latino-américains, à commencer par le Pérou, le Chili et le Mexique, y sont déjà implantés. Nous allons ouvrir quelques bureaux commerciaux, nous discutons avec le Chili en vue d'ouvrir des bureaux communs. L'enjeu consiste à trouver des marchés pour nos exportations car nous ne pouvons pas rester à attendre l'adoption du traité avec les États-Unis. Les Républicains nous ont beaucoup aidés par le passé mais nous sommes tributaires de la politique intérieure des États-Unis.

Le moment est venu de regarder dans d'autres directions. Heureusement, nous pouvons nous appuyer sur les secteurs pétrolier et minier, qui ont pris un poids très important. Nous envisageons un développement commercial en Asie et un approfondissement de la coopération avec l'Europe dans les domaines où nous avons besoin d'aide. Notre lien avec les États-Unis reste cependant essentiel.

Le trafic de drogue est un problème quotidien en Amérique Centrale et dans les Caraïbes, comme en Afrique du Nord, du reste. Avec les pays de cette partie de l'Amérique Latine, coincée entre la Colombie et le Mexique, nous conduisons une coopération très poussée contre la criminalité car ils ne disposent pas de la même puissance économique que nous pour y faire face, et il est de notre responsabilité de les y aider.

De même, nous commençons à aider l'Afrique du Nord, surtout la Mauritanie, le Sénégal, la Sierra Leone et la Guinée Bissau, en les faisant bénéficier de l'expertise que nous possédons malheureusement dans ce domaine. En matière d'investigations comme d'interventions policières ou aériennes, nos spécialistes sont très compétents. Pour nous, c'est une façon de poursuivre la lutte que nous menons depuis si longtemps contre la drogue.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion