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Intervention de Jean Roatta

Réunion du 3 novembre 2010 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Roatta, rapporteur pour avis :

Avant d'aborder le thème de cet avis budgétaire, consacré cette année au Fonds Sud Cinéma, je vous présenterai brièvement les crédits du programme 185 qui constitue l'un des quatre programmes de la mission « Action extérieure de l'État ».

Ce programme 185, rebaptisé « Diplomatie culturelle et d'influence », fait l'objet d'un important changement de périmètre puisqu'il comprend désormais, en plus de l'enseignement public à l'étranger, l'ensemble des actions de coopération – culturelle, linguistique, universitaire – qui portent l'influence de notre pays, sans distinction entre celles concernant les pays développés et celles dirigées vers les pays bénéficiant de l'aide publique au développement.

Les moyens du programme 185 sont globalement préservés dans un contexte budgétaire particulièrement difficile – 670 millions d'euros, hors crédits de personnels, en légère baisse de 1,6 % par rapport à 2010 ; un plafond d'emplois fixé à 1 182 postes équivalents temps plein travaillé (ETPT) soit une baisse de 54 ETPT.

Trois dispositifs, en particulier, sont maintenus en valeur par rapport à 2010 :

– les crédits culturels exceptionnels de 20 millions d'euros, dits « rallonge culturelle », accordés en 2009 et 2010, qui seront reconduits annuellement sur 2011-2013 ;

– les bourses d'enseignement supérieur et de recherche ;

– et la subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

La poursuite de la modernisation du réseau culturel et le développement de la politique d'attractivité en direction des élites étrangères constituent les principales priorités pour 2011. 49,6 millions d'euros seront consacrés à la modernisation du réseau, soit 7,5 % de plus qu'en 2010, dont 6 millions provenant de la « rallonge culturelle ».

La mise en place d'établissements à autonomie financière (EAF) uniques, qui sont actuellement au nombre de 15, se poursuivra, de même que le rapprochement entre les services de coopération et d'action culturelle et les EAF, rapprochement qui est effectif dans 24 pays et sera achevé fin 2012 dans les 94 pays dotés d'un EAF.

Le ministère s'attachera en outre à rationaliser l'implantation des centres culturels et des Alliances françaises.

L'évolution du réseau comprendra également la mise en place de l'Institut français, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) contribuant à l'action extérieure de la France, créé par la loi du 27 juillet 2010.

Placée sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, la nouvelle agence culturelle reprendra au 1er janvier 2011 les missions de l'association CulturesFrance, mais son périmètre sera élargi à d'autres activités, comme la formation professionnelle des personnels français et étrangers.

De plus, dix établissements représentatifs du réseau culturel seront rattachés à titre expérimental au nouvel opérateur dans les trois ans à venir. La subvention pour charge de service public versée à l'Institut français s'élève à 37,6 millions d'euros ; ce montant inclut les redéploiements et transferts de crédits, ainsi qu'un abondement de 14 millions d'euros issu de la « rallonge culturelle », qui sera reconduit annuellement au cours des trois prochaines années.

Quant au développement de la politique d'attractivité en direction des élites étrangères, il passe notamment par le soutien à la mobilité entrante grâce à l'octroi de bourses d'études et de stages. Près de 16 000 bourses d'études et de stage pour étudiants et jeunes professionnels étrangers sont octroyées chaque année – 80 % par les postes diplomatiques et 20 % par l'administration centrale –, selon des critères rigoureux, et avec des taux de sélection élevés, priorité étant donnée à l'excellence académique des étudiants. Sur la période 2011-2013, toutes les bourses, quelle que soit l'origine géographique du boursier, sont regroupées sur ce programme 185, à l'exception des bourses dans le secteur de la gouvernance.

Les crédits consacrés aux bourses de l'enseignement supérieur et de la recherche sont maintenus en valeur (62,8 millions d'euros) grâce à des redéploiements de crédits sur d'autres actions. Par ailleurs, le ministère encourage le cofinancement des programmes de bourses avec différents partenaires – gouvernements, entreprises et collectivités territoriales.

Actuellement géré par l'association EGIDE et le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS), le dispositif des bourses sera administré par CampusFrance, agence de promotion des formations et des échanges éducatifs et scientifiques créée sous forme d'EPIC par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État.

Placé sous la tutelle conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'enseignement supérieur, le nouvel opérateur se substituera, au 1er janvier 2011, à EGIDE, qui gère les programmes de mobilité internationale de l'État, et au groupement d'intérêt public CampusFrance, chargé de la promotion de l'enseignement supérieur français, dont il reprendra toutes les missions. L'agence intégrera également, au plus tard à la fin de l'année 2011, toutes les activités internationales du CNOUS.

Ainsi une chaîne de l'accueil des étudiants étrangers sera mise en place allant de la promotion de l'enseignement supérieur français à la gestion par un guichet unique de la mobilité et de l'accueil et au suivi régulier des étudiants.

Pour 2011, Campus France bénéficiera d'une subvention pour charge de service public de 1,1 million d'euros et de 39,1 millions d'euros de transferts.

J'évoquerai en conclusion de cette première partie les difficultés de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Pour remplir ses missions, l'Agence dispose d'une dotation de l'État ainsi que de ressources propres issues de la participation des établissements et des familles – frais de scolarité. Bien que la dotation de 420,8 millions d'euros qui lui a été allouée l'an dernier soit reconduite à la même hauteur, l'Agence devra augmenter de près de 25 % ses capacités d'autofinancement afin d'assumer des charges de plus en plus lourdes : transferts immobiliers coûteux, contribution aux pensions civiles des personnels en hausse importante, et surtout aide à la scolarité – bourses et prise en charge (PEC) des frais de scolarité des lycéens –, dont le financement s'avère délicat en fin d'année budgétaire 2010. En raison du coût exponentiel de la PEC, son extension aux classes de collège fait l'objet d'une étude d'impact, et des mesures de régulation ont été arrêtées en juin 2009 pour contenir la dépense globale d'aide à la scolarité. Pour 2011, la prévision de dépense budgétaire s'élève à 126 millions d'euros, mais elle est financée à hauteur de 119 millions d'euros.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'AEFE constitue l'opérateur pivot de notre dispositif d'enseignement à l'étranger qui accompagne le mouvement d'expatriation de nos compatriotes et forme les élites étrangères.

Il serait opportun que notre Commission auditionne à ce sujet notre collègue Mme Geneviève Colot, chargée d'une mission sur cette question.

J'en viens à présent à la deuxième partie de mon propos, la partie thématique de mon avis budgétaire, consacrée au Fonds Sud Cinéma. « Le cinéma du Sud est ce lieu de liberté où les points de vue se croisent, s'interrogent et se répondent… Les appartenances culturelles, loin de mener au repli sur soi identitaire, s'ouvrent ici vers la générosité et la tolérance. Car un film est toujours un don. Ce cinéma nous parle des mondes dans lesquels nous vivons. Il nous préserve des dérives de l'ignorance et du sectarisme. Il nous fait entendre la voix de l'Autre, de tous les Autres. Et leurs voix s'adressent à chacun : elles parlent d'humanité et d'espoir ». Ces phrases écrites par le cinéaste cambodgien Rithy Panh reflètent bien l'esprit dans lequel a été créé en 1984 le Fonds Sud Cinéma, à partir d'une idée de Jack Lang, auquel on doit ici rendre hommage.

En réaction contre la mondialisation de la création culturelle qui conduit à la standardisation des oeuvres destinées à une diffusion de plus en plus large, la France a développé en effet dans les années 1980 des instruments qui favorisent la diversité culturelle, non seulement sur son territoire mais aussi à l'échelle internationale.

Le « Fonds interministériel d'aide aux cinématographies en voie de développement », rebaptisé « Fonds Sud Cinéma » constitue sans doute l'élément le plus caractéristique de ce dispositif, puisque son règlement intérieur conditionne l'aide qu'il apporte au respect de l'identité culturelle étrangère : le tournage doit avoir lieu en majorité dans l'un des pays éligibles, par un réalisateur ressortissant d'un des pays concernés, et dans une des langues pratiquées dans ces pays ou en français ; il doit en outre impliquer une société de production locale à côté d'une société de production française.

À la même époque et en complément de l'aide à la production apportée par le Fonds, la France met en place des soutiens importants à la distribution des oeuvres, notamment à travers la signature de nombreux accords de coopération avec les pays du sud, la formation de professionnels ou l'appui à des festivals.

C'est ainsi qu'avec pour mission première de défendre la création cinématographique dans les zones fragiles du monde, le Fonds Sud est progressivement devenu, sous la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de la culture, un instrument essentiel pour le rayonnement de la France à l'étranger, « un des derniers lieux de résistance de la présence culturelle de la France dans le monde » selon le réalisateur haïtien Raoul Peck.

Au fil des années, en effet, le Fonds Sud a fait émerger nombre de courants cinématographiques et d'artistes talentueux ; il a ainsi fondé une sorte de communauté de pensée artistique et culturelle entre cinéastes étrangers et français, communauté unie également par l'usage de la langue et qui s'est progressivement élargie, puisque le Fonds, destiné initialement à l'Afrique, concerne à présent 96 pays, d'Amérique latine, d'Europe Centrale, du Proche-Orient et d'Asie.

Outil original porteur des valeurs culturelles de la France, le Fonds Sud constitue également un label de qualité ; son ancrage professionnel garantit le sérieux des décisions, tandis que son caractère sélectif fait de son soutien une reconnaissance artistique.

Les projets candidats au Fonds sont sélectionnés par une commission constituée de douze professionnels du cinéma français et international, dont le président est désigné pour deux ans par le ministre de la culture et le ministre des affaires étrangères. L'actuelle présidente est la réalisatrice tunisienne Mme Dora Bouchoucha.

Les tâches administratives de réception des dossiers et de préparation des réunions sont assurées à parité par le ministère des affaires étrangères – en particulier par l'intermédiaire du réseau culturel – et par le ministère de la culture, à travers le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

Chaque année, la commission tient quatre sessions plénières, précédées de réunions de présélection. Sur la quarantaine de dossiers inscrits par session, quatre à sept projets reçoivent une aide. Ainsi, sur un volume d'environ 160 projets examinés annuellement, la commission du Fonds Sud apporte finalement son soutien à une petite trentaine de scénarios.

Le choix de la commission, totalement indépendant, repose essentiellement sur la qualité artistique et l'originalité du scénario ainsi que sur le potentiel cinématographique du projet.

La qualité des oeuvres soutenues est attestée par les récompenses obtenues régulièrement dans les festivals internationaux, l'exemple le plus récent étant la Palme d'Or attribuée en mai dernier au festival de Cannes au film thaïlandais « Oncle Boonmee… ».

Mais le dispositif a fait ses preuves également par le nombre et la diversité géographique des longs-métrages aidés : plus de 400 films, portés par 300 cinéastes issus de plus de 70 pays, pour un montant de crédits distribués depuis 1984 d'environ 50 millions d'euros.

Aussi le Fonds Sud, qui est sans équivalent au monde, a-t-il fait des émules en Europe. La Norvège se dote actuellement d'un mécanisme similaire en vue d'accroître sa visibilité et de dynamiser son industrie cinématographique ; mais avant elle, l'Espagne, les Pays-Bas, la Suède et l'Allemagne avaient mis en place des dispositifs approchants, parfois adossés à des festivals cinématographiques, tels le World Cinema Fund (WCF) allemand adossé au festival de Berlin.

Le succès du Fonds Sud est d'autant plus remarquable que ses moyens, déjà modestes au départ, n'ont que très peu évolué en vingt-six ans alors que le nombre de pays éligibles s'accroissait.

En ce qui concerne son budget, le Fonds dispose à l'heure actuelle d'une enveloppe de 2,2 millions d'euros par an, soit 10 % de l'avance sur recettes versée aux longs-métrages français, qui est abondée pour moitié par le ministère des affaires étrangères et par le ministère de la culture. À partir de 2011, la subvention du ministère des affaires étrangères doit être transférée à l'Institut Français qui reprendra la gestion du Fond, tandis que le CNC financera intégralement le Fonds sur ses ressources propres qui sont en forte progression depuis un an.

Quant aux moyens humains, le CNC affecte au secrétariat du Fonds un poste et demi.

La sous-direction de l'audiovisuel extérieur et des technologies de la communication du ministère des affaires étrangères y consacre pour l'instant deux postes, mais un poste sera par la suite transféré à l'Institut français qui assurera la partie opérationnelle, le ministère des affaires étrangères conservant le pilotage stratégique du Fonds à parité avec le CNC.

L'aide qu'apporte le Fonds Sud, bien que limitée, est déterminante parce qu'elle produit un effet de levier considérable, ainsi que des retombées directes et indirectes pour la France.

L'aide concerne des projets dont le budget prévisionnel total est inférieur à 3 millions d'euros et comprend trois types de subventions :

– une aide à la production (152 000 euros maximum) ;

– une aide à la réécriture (7 600 euros) ;

– une aide à la finition (46 000 euros maximum).

Le mécanisme et les conditions du versement sont précisés dans mon rapport ; j'indiquerai simplement que le Fonds accorde majoritairement des aides à la production ; par ailleurs, l'aide représente en moyenne 15 % du coût définitif du film, et elle est versée à la société française qui coproduit le projet ; enfin elle est exclusive de toute autre subvention accordée par le CNC.

L'effet levier de l'aide provient de la reconnaissance artistique que confère aux projets le « label » du Fonds Sud et qui leur permet d'accéder à des financements complémentaires, ainsi qu'à des réseaux de distribution en France et à l'étranger. Cet effet levier est en outre renforcé par le système de coproduction, l'intervention d'un producteur français garantissant l'achèvement du film et sécurisant les exportateurs français qui distribueront le film à l'international.

Le soutien apporté par le Fonds Sud a également des retombées directes pour les industries cinématographiques et les laboratoires français parce qu'une partie de l'aide doit être dépensée en France ; en outre, il profite indirectement à l'ensemble de la profession parce que l'existence d'une communauté de professionnels étrangers et français réunis grâce au Fonds Sud autour d'une vision partagée d'un cinéma exigeant et indépendant, créé un terreau favorable à la promotion des films français, à leur commercialisation, et à leur diffusion sur les écrans étrangers.

En vingt-six ans, cependant, l'économie du cinéma s'est profondément transformée, et si le Fonds a su s'adapter aux évolutions de la production cinématographique, d'autres changements semblent à présent nécessaires.

La révision de la liste des pays éligibles constitue le premier d'entre eux. Elle fait actuellement l'objet d'une réflexion menée en commun par le ministère des affaires étrangères et le CNC ; mais la difficulté réside dans le choix des critères d'éligibilité – montant du produit intérieur brut (PIB), état de la cinématographie, considérations politiques ou historiques … – car les éléments d'appréciation se révèlent complexes et fluctuants.

La création d'une seconde commission de sélection, dédiée aux premiers films, est également souhaitable parce qu'elle instaurerait entre les projets une concurrence plus juste que la procédure actuelle qui place sur un même plan les premières oeuvres et celles présentées par des cinéastes plus expérimentés.

De même, la visibilité du Fonds Sud doit être améliorée parce que malgré sa qualité, le dispositif n'est pas suffisamment mis en valeur dans les grands festivals internationaux. Il s'agirait donc de le doter de moyens spécifiquement destinés à sa communication.

Il conviendrait enfin et surtout de donner au Fonds Sud un budget à la mesure de son succès et de l'intérêt qu'il représente pour le rayonnement culturel de notre pays.

Cet effort, indispensable et attendu impose, dans le contexte budgétaire extrêmement contraint que nous connaissons, des arbitrages d'autant plus délicats que le Fonds étant abondé à parité par le ministère des affaires étrangères et le ministère de la culture, l'augmentation ne peut s'effectuer que de manière paritaire. Or, si le ministre de la culture a souhaité publiquement en avril dernier une hausse des crédits, le ministère des affaires étrangères a clairement indiqué, lors des auditions, qu'il ne pourrait accroître sa participation qu'en baissant voire en supprimant les subventions consacrées à d'autres actions.

Le choix est certes difficile, mais comme l'indiquait le réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun : « face au cinéma dominant, celui des États-Unis, la France est pour de nombreux cinéastes le seul territoire qui demeure attentif à des regards autres ».

Le Fonds Sud est un outil original, porteur des valeurs culturelles de la France.

Pour conclure, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits.

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