Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Michel Sapin

Réunion du 18 octobre 2010 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Sapin :

Nous pouvons tous être modestes sur ce sujet. D'ailleurs, prévoir une crise est impossible : si nous avions pu le faire, il n'y aurait pas eu de crise. Par conséquent, je comprends parfaitement que, pour l'année 2009 – comme en d'autres temps, en 1993, par exemple –, il était difficile de prévoir une baisse du PIB de l'ordre de 2,5 %.

Toutefois s'il est difficile de prévoir, on peut tout de même sentir certaines choses. Or tous les ministres prévoient la croissance de demain en fonction de la croissance qu'ils voient dans le rétroviseur. Madame la ministre, vous fondez votre argumentation, selon laquelle le taux de croissance serait de 2,5% l'an prochain, sur le fait que la situation s'est beaucoup améliorée au deuxième trimestre de cette année. C'est donc, selon vous, que cela ira encore mieux au cours des trimestres à venir. Vous nous permettrez d'avoir des doutes, au bon sens du terme, des doutes créatifs, qui devraient vous pousser à adapter votre politique, car c'est vous qui êtes aux manettes.

Pierre-Alain Muet a souligné qu'un taux de croissance dépendait de deux éléments dont le premier est le contexte international. En effet, puisque nous sommes dans le cadre de la mondialisation, par définition, la croissance française dépend aussi de ce qui se passe chez les autres. Nous ne serons pas les seuls à connaître la croissance. Cependant, pouvons-nous être certains, madame la ministre, que la croissance des prochains mois dans le monde, dans les grands pays développés – en Europe, aux États-unis – et dans les grands pays émergents, sera au moins aussi forte, si ce n'est plus forte encore qu'elle l'a été ? Nous pouvons en douter.

Regardons ce qui se passe en Chine : la prévision de croissance est à la baisse, même si elle reste très élevée. Tournons-nous vers les grands pays émergents : tous, à l'image de la Chine, prévoient une croissance plus faible que cette année, une croissance portée davantage par le développement de leur marché intérieur. Ils peuvent y faire face en construisant leurs propres outils industriels, commerciaux ou de service.

Madame la ministre, vous qui connaissez particulièrement bien l'économie des États-unis, est-il possible de dire que la première puissance économique du monde, la locomotive de la croissance ou de la décroissance dans le monde, se prépare à vivre l'année 2011 avec les mêmes niveaux de croissance que cette année ? Permettez-nous d'avoir un doute ! En tout cas, le Président Barack Obama lui-même doute fortement de cette possibilité. Et cela serait sans conséquence sur la situation en Europe et en France ? Non, ce sera lourd à porter, car le meilleur moyen pour les États-unis de répondre à leurs propres difficultés consiste à laisser filer la valeur du dollar, avec les conséquences que cela aura sur nos économies.

En Europe, vous le savez aussi, madame la ministre, les situations sont particulièrement contrastées, bien plus que celles que nous avons connues dans le passé, avec des pays qui entreront en récession – je pense à la Grèce, à l'Espagne ou au Portugal – et d'autres qui s'en sortiront très bien, notamment l'Allemagne. Pour autant est-il permis de penser que l'ensemble de la zone euro se trouvera l'an prochain dans une situation de croissance meilleure que cette année ? En toute honnêteté, je ne le crois pas. C'est pourquoi, madame la ministre, quand vous affirmez que la situation a changé, qu'avant, il y avait la crise et que maintenant nous sommes dans l'après-crise, vous prenez un risque majeur : celui d'être imprévoyante en matière de politique budgétaire et fiscale.

S'agissant de l'impôt, M. le ministre du budget a commencé son intervention en déclarant – sans rire – qu'il était exclu d'augmenter les impôts. Avec son intelligence et sa vivacité d'esprit, il est le premier, me semble-t-il, à ne pas croire à ce qu'il dit !

Je n'ai pas besoin de revenir sur ce qu'il a indiqué avec talent et précision, citant successivement – sans aller jusqu'au bout – les impôts et taxes de toute nature qui augmenteront dans le budget pour 2011. Je n'ai pas non plus besoin de revenir sur ce qu'a dit avec subtilité et tact, en veillant, en tant que membre de l'UMP, à ne pas blesser sa propre majorité, le rapporteur général du budget. Je ne peux que vous renvoyer, mes chers collègues aux propos d'une personnalité importante, que même le ministre du budget n'a pas réussi à convaincre, je pense au Premier ministre, qui a lui-même parlé d'une hausse des impôts. Oui, chers collègues, quoi que vous disiez, quoi que vous fassiez, l'année prochaine, les impôts augmenteront en France et il est inutile de faire de telles contorsions !

Les années précédentes, lorsqu'une mesure fiscale permettait de baisser la charge pour les contribuables, vous la qualifiiez de baisse d'impôt. Quand il s'agit aujourd'hui d'augmenter la charge fiscale, vous appelez cela une baisse des dépenses fiscales ! Si je comprends bien, les impôts baissent tout le temps ! Sauf que, heureusement pour vous, cela rapporte tout de même 11 milliards !

Malgré les plaisanteries et les sourires que nous nous permettons d'échanger entre nous, le devoir de vérité est quelque peu écorné. Si vous revendiquiez une hausse des impôts, vous vous en expliqueriez plus facilement devant vos électeurs qui, le jour venu, viendront vous demander pourquoi, en bas de leur feuille d'imposition, le montant est plus élevé que l'année précédente, alors qu'il devait baisser. Oui, les impôts vont augmenter ; c'est le corollaire de la baisse des dépenses fiscales !

Il n'est pas nécessaire d'en dire plus, mais il faut que, à l'extérieur, on sache que les impôts augmenteront cette année. La seule question à poser est la suivante : les impôts augmenteront-ils pour les bonnes catégories sociales et dans les bons secteurs économiques ? Ces hausses risquent-elles d'avoir un effet sur la croissance de notre économie ? En effet, certaines hausses d'impôts, comme celle de la TVA – qui n'est pas prévue aujourd'hui – auraient des effets récessifs en ponctionnant le pouvoir d'achat. Telles sont les questions que nous devons nous poser dès maintenant, non en les reportant à juin 2012, s'agissant, par exemple, de l'imposition sur le patrimoine. Nous pourrions avoir un vrai débat sur ce que devrait être une fiscalité moderne, adaptée, efficace, car elle doit, bien sûr, rapporter de l'argent. Il y a des déficits, que nous devons combler. Inutile de se cacher derrière son petit doigt pour le dire clairement !

Le mal dont nous sommes affectés aujourd'hui et qui devrait être une évidence pour tous, c'est que nous avons des impôts avec des taux relativement élevés, mais avec une base tellement étriquée qu'ils ne rapportent plus grand-chose. L'impôt sur le revenu est l'un des plus bas d'Europe, si on laisse de côté l'autre impôt sur le revenu qu'est la CSG. Avec sa prétendue proportionnalité, notre impôt sur le revenu est plus faible qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Il ne rapporte plus grand-chose au budget de l'État et il coûte moins au contribuable que dans d'autres pays. Voilà les vraies questions !

Il en est de même pour l'impôt sur le patrimoine. On discute, on veut débattre pour savoir s'il faut troquer la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune contre l'augmentation de l'impôt sur le revenu, mais on devrait d'abord se poser la question de savoir si, aujourd'hui, notre imposition du patrimoine est adéquate. Elle peut ne pas l'être sur certains points, elle peut être modifiée ; elle peut être modernisée, mais nous devons aborder le débat de front – donc nous interroger sur l'utilité de l'imposition du patrimoine – et non, comme cela se fait depuis plusieurs années, d'une manière biaisée qui consiste simplement à percer de partout les nombreux – parce qu'ils le sont – impôts sur le patrimoine lesquels, au bout du compte, ne rapportent plus grand-chose.

L'impôt sur le patrimoine est nécessaire, ne l'appréhendons donc pas de cette manière. Ne reportons pas le débat à juin prochain ; ayons-le dès maintenant !

Mon troisième commentaire portera sur les déficits.

Nous sommes au moins d'accord sur ce point : la démonstration du rapporteur général a été implacable sur l'endettement – qui atteindra, un jour, 90 % du PIB – et sur ses conséquences, non pas désastreuses, mais non maîtrisables sur nos finances publiques et sur les politiques publiques. L'endettement n'est, en effet, pas une histoire de principes. Il n'y a pas de chiffre magique. Il n'y a même pas de traité de Maastricht. Ce qui compte, ce ne sont pas les chiffres, les pourcentages ou les principes, mais les conséquences. Or nous savons bien qu'un déficit qui atteint de tels sommets est une ponction sur nos capacités d'agir, donc de dépenser véritablement, c'est-à-dire non à rembourser ou à payer des intérêts, mais à conduire des politiques de modernisation, de formation, de recherche, des politiques qui préparent véritablement l'avenir.

En payant le passé – à savoir, la dette – on finit par sacrifier l'avenir, donc les grandes politiques qui construisent une nation. C'est pourquoi nous sommes, par définition, tous d'accord sur ce point : nous devons lutter contre les dépenses excessives d'aujourd'hui.

Que coûte, au total, le passage de 7,7 % à 6 % ? Vous en avez vous-même fait la démonstration, monsieur le ministre, et le rapporteur général, avec le tact qui sied forcément à un membre de majorité, a, là encore, implacablement démontré que cela représenterait à priori 10 milliards. L'année prochaine, et je me permets d'en parler, puisque nous traitons à cet instant de la programmation de nos finances publiques, lorsqu'il faudra passer de 6 à 4 % et quelques…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion