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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 29 septembre 2010 à 15h00
Immigration intégration et nationalité — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Cet article 1er, sous des dehors anodins, marque déjà, notamment par l'introduction de critères socio-économiques, le point de départ de la conception de l'immigration choisie. Jean-Marc Ayrault a eu raison de souligner l'importance et la gravité de ce débat, et surtout d'introduire la question de la déchéance de la nationalité.

J'ai choisi cet article pour m'exprimer globalement sur ce texte, parce que je pense qu'il s'agit là d'un vrai débat. Il oppose deux conceptions de la société. Une conception élective de la nation : le vivre-ensemble ; une conception essentialiste de la nation : les origines communes.

Le débat sur cet article renvoie donc à un débat beaucoup plus général sur l'idée que nous nous faisons de la nation, et surtout sur la question de la migration, tant du point de vue global que de celui de nos territoires.

Il faut le dire clairement, nous ne pouvons rester inertes devant les choix que vous avez faits. Car vous en avez fait. Vous ne devez pas en avoir honte, vous ne devez pas en avoir peur. Il faut les assumer.

Premièrement, vous alimentez la résurgence des identités négatives. Vous alimentez aussi les identités inférieures, ce qui ne concerne pas seulement la personne, mais aussi le rang social. Nous y reviendrons tout à l'heure.

En second lieu, vous réactivez ce qu'on appelle l'assimilation. On peut ne pas contester cette notion en soi. Mais lorsqu'elle engage un processus d'aliénation de l'individu, cela commence à devenir extrêmement dangereux, car il s'agit de la négation de soi-même.

Troisièmement, vous établissez un lien entre étranger et délinquance, entre immigration et voyoucratie. Dès lors que l'on a le statut d'immigré, on est automatiquement suspecté d'être dans la voyoucratie et la délinquance. C'est d'ailleurs ce qui explique votre proposition concernant la déchéance de la nationalité, et j'espère que le Conseil constitutionnel pourra se prononcer de manière extrêmement pertinente sur cette question.

Et puis, vous vous arrogez un droit, celui de définir et d'imposer la définition de ce qu'est un « bon Français », un Français légitime, un vrai Français, un Français pur. Et vous le faites en exigeant sa mise en conformité avec un certain type culturel. Vous allez même encore plus loin, puisque, à l'archétype du « bon Français », vous opposez une sorte d'antithèse, tout aussi réductrice, qui réside dans une certaine manière de concevoir son statut d'étranger.

Monsieur le ministre, je m'excuse de le dire comme cela, mais vous opérez un glissement dangereux, nous devons bien le constater, vers une xénophobie d'État. Je n'ai pas d'autre terme pour le désigner. Vous utilisez les trois directives pour introduire, mécaniquement, subtilement, juridiquement, toute une série d'éléments qui visent à réduire le droit des immigrés et la capacité d'entrer en France. En fait, c'est une loi contre l'immigration.

Quelques exemples. La rétention administrative, qui n'est rien d'autre, qu'on le veuille ou non, qu'un emprisonnement, devient un automatisme de procédure, voire un régime d'exception, puisque la durée maximale de la rétention est portée à quarante-cinq jours. Je vous ai entendu dire : « Ah, mais non ! La France est certainement le pays où la durée de la rétention administrative est la plus courte. » Mais il faut assumer aussi l'histoire de la France, les valeurs républicaines dont elle est porteuse. Le problème ne réside pas dans le fait de porter la durée maximale de trente-deux à quarante-cinq jours. Il est dans le fait même de l'augmenter. Vous le faites, dites-vous, en application de la directive, alors que celle-ci évoque la seule rétention correspondant à des circonstances exceptionnelles.

Autre exemple : les délais de procédure, en particulier ceux de notification des décisions d'enfermement. Ou encore la réduction des pouvoirs du juge judiciaire, qui est pourtant, comme le veut la Constitution, gardien des libertés. En l'occurrence, le juge des libertés et de la détention ne pourra intervenir qu'au bout de cinq jours.

En outre, les décisions du juge des libertés et de la détention quant aux causes de nullité et d'irrégularité des procédures sont pour ainsi dire neutralisées.

Je vois surgir une interdiction de séjour qui pourra aller jusqu'à cinq ans, et ce au mépris des conséquences humaines. Elle ouvre, sur l'ensemble du territoire européen, la possibilité d'un « bannissement » de type moyenâgeux.

Vous inventez les « zones d'attente flottantes », qui pourront être créées n'importe où. On pourra y retenir – c'est un concept nouveau que vous avez forgé – les « groupes d'étrangers ».

Les privations de liberté pourront concerner les parents, mais aussi les mineurs, ce qui met à mal la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.

La disposition transposant la directive « carte bleue européenne » va créer de vrais problèmes. Car il s'agit purement et simplement d'un pillage des capacités intellectuelles des pays en voie de développement. Cette méthode fait courir un grand risque à ces pays, en créant, dans le territoire de la République, un statut particulier pour les immigrés diplômés, qui pourront bénéficier de certaines mesures. En particulier, ils n'auront pas à subir les tests d'entrée, notamment ceux portant sur l'apprentissage de la langue. Les autres, quant à eux, ne bénéficieront pas des mêmes dispositions.

La liberté comme bien précieux de tous, la dignité comme attribut incontournable de tous, la civilisation à renforcer pour tous, et le respect des droits humains applicables à tous, voilà ce qui nous conduit, monsieur le ministre, à ne pas accepter votre loi, et à nous y opposer de la manière la plus respectueuse mais la plus déterminée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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