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Intervention de Jean-François Chadelat

Réunion du 13 juillet 2010 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-François Chadelat, directeur général de l'Office de protection des réfugiés et apatrides, OFPRA :

En 2007, lors de mon arrivée à l'OFPRA, la demande d'asile, après une baisse continue, ne représentait plus que 50 % de ce qu'elle était quatre ans plus tôt. Il s'ensuivait bien sûr une diminution assez forte de l'activité de l'OFPRA. Cependant, de sérieuses évolutions en matière de qualité du travail, en liaison avec la mise en oeuvre de la loi du 10 décembre 2003, y concouraient également.

Se mettait aussi en place la réforme de la tutelle administrative, que le Gouvernement avait décidé de confier au ministre de l'immigration alors qu'elle était exercée par le ministre des affaires étrangères depuis 1952.

À l'époque aussi, la Commission des recours des réfugiés, appelée aujourd'hui Cour nationale du droit d'asile (CNDA), était gérée par la direction générale de l'OFPRA. Eu égard aux critiques suscitées par cette organisation, le Gouvernement avait décidé de rendre ces deux institutions indépendantes.

Mon carnet de route était donc clair. Les trois années de mon mandat ont été consacrées à la mise en oeuvre de ces différentes décisions, tout en tenant compte de la nouvelle situation de la demande.

L'OFPRA a la responsabilité de trois missions principales : l'instruction des demandes d'asile, la protection des réfugiés et, enfin, la formulation, à l'attention du Gouvernement, d'un avis sur l'entrée sur le territoire au titre de l'asile des demandeurs d'asile à la frontière.

Dès mon arrivée, j'ai perçu l'existence de difficultés de mobilisation des personnels. Pour y remédier, j'ai instauré un dialogue social au quotidien, et décidé de mesures statutaires : titularisation de contractuels recrutés pendant les périodes de « pic » de la demande d'asile, travail visant à la confirmation du statut des officiers de protection, mis en place pendant les années 1990, et développement de la communication interne – beaucoup d'officiers de protection n'avaient qu'une connaissance assez secondaire des politiques générales de l'État et de leur application à l'échelon local.

Nous avons aussi mis en oeuvre la décision gouvernementale de transfert de la tutelle de l'OFPRA au ministre de l'immigration. Pour cela, nous avons non seulement préparé les textes administratifs nécessaires, mais également conduit une opération de conviction interne – à l'époque, les préventions étaient fortes envers le transfert – et développé une pédagogie spécifique à l'attention des fonctionnaires de l'OFPRA. Travailler avec un seul interlocuteur – les services du ministre de l'immigration, qui avaient regroupé trois administrations extérieures – constituait en effet un sérieux changement.

Il nous fallait aussi réussir, en un an, le défi de la partition, c'est-à-dire de la séparation de deux maisons, l'OFPRA et la Commission de recours des réfugiés (CRR), qui, depuis 1952, avaient vécu côte à côte. Après un travail d'étude commandité à un conseiller d'État, le Premier ministre a établi les différentes phases de la partition. Celle-ci a été réalisée dès le 1er janvier 2009, en conformité avec les objectifs fixés. Chacune des maisons a alors pris son autonomie, la CRR devenant la Cour nationale du droit d'asile, juridiction administrative de plein exercice au même titre que les tribunaux administratifs, et relevant à ce titre du Conseil d'État.

Aucun document ne reliait le ministre de tutelle et son établissement public. Premier établissement à agir ainsi, l'OPFRA a conclu avec l'État un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Si celui-ci fixe bien évidemment les relations administratives et financières avec les autorités de tutelle – le ministre de l'immigration, bien sûr, mais aussi le ministre du budget, dont l'action est essentielle pour la définition des ressources affectées à l'Office –, il comporte aussi, pour la première fois, un véritable projet d'établissement rappelant les missions de l'OPFRA et la manière de les exercer, fixant à celui-ci des objectifs et essayant d'ouvrir vers l'extérieur une institution qui l'était fort peu.

La modification des conditions de demande d'asile dans notre pays imposait aussi la création d'une culture de réactivité au sein de l'OFPRA. Celle-ci a d'abord été quantitative. En 2009, l'OFPRA a pris 46 500 décisions, contre 35 000 en 2007, et ce à effectifs constants. L'accroissement tant des décisions prises que de la productivité a donc été tout à fait sensible.

Cette réactivité a pris aussi une dimension qualitative, avec la mise en oeuvre des directives européennes, et la volonté d'entourer l'examen de la demande d'asile du maximum de garanties et de sécurité – sécurité juridique et sécurité de l'information. À cette fin, une division de l'information, de la documentation et de la recherche a été créée, ayant pour fonction essentielle, à l'instar de ce qui existe dans les autres pays européens, la production de l'information la plus exacte possible sur les pays d'origine. Nous sommes assez satisfaits des comparaisons qui peuvent être faites entre l'OFPRA et ses homologues européens.

Nous avons aussi voulu améliorer l'intégration de l'OFPRA dans les processus de décision européennes. Il s'agit de lui permettre d'intervenir dans l'élaboration des différentes directives et de conduire une coopération pratique avec ses homologues des autres États européens. Une mission, assez dynamique, la « mission des affaires européennes et internationales », a été créée à cette fin.

Nous nous efforçons aussi de densifier la qualité du service offert par la division des affaires juridiques de l'OFPRA. En 2007, sur trois décisions d'octroi de l'asile, deux étaient prises par la CNDA et une seule par l'OFPRA, pourtant chargée d'examiner la demande. Aujourd'hui, 52 % des décisions sont le fait de l'OFPRA, et les 48 % restants celui de la CNDA ; celle-ci a constaté cette amélioration de la sécurité juridique.

Nous souhaitons aussi nous développer sur le territoire.

La demande d'asile outre-mer s'est beaucoup accrue. Pour éviter l'allongement des délais et donner aux ressortissants de pays comme Haïti, la garantie, grâce au dépôt d'une demande d'asile, de deux ans de présence dans un département d'outre-mer, nous devions intervenir rapidement.

Cette réactivité s'est manifestée par la mise en place de missions d'instruction locales, plus rapprochées du terrain, mais aussi de visio-conférences. Grâce à ces deux instruments, nous sommes désormais capables d'examiner la demande d'asile outre-mer beaucoup plus rapidement qu'auparavant et avec une garantie de qualité bien supérieure.

Pour satisfaire à l'urgence, nous travaillons à la mise en oeuvre de procédures prioritaires. Une part de celles-ci a pour origine le classement de certains pays en « pays d'origine sûre ». Cependant, nous voyons aussi apparaître des personnes dont les empreintes digitales sont effacées, ce qui rend difficile la détermination précise de leur origine et la décision sur les demandes présentées. Pour cette raison, nous examinons ces demandes selon une procédure prioritaire. Cette évolution montre également les modifications profondes du travail de l'Office.

Nous avons parallèlement entrepris de nous ouvrir vers l'extérieur. Cette ouverture concerne d'abord l'Europe. Nos résultats en matière d'examen de demandes d'asile peuvent être comparés très favorablement à ceux de l'ensemble de nos voisins européens.

Elle se fait également à l'international. Nous constatons le grand intérêt de nos voisins pour la pratique administrative de la France et le mode d'examen de la demande d'asile qu'elle a institué. J'ai même rencontré, à leur demande, nos amis Canadiens.

Ainsi, nous nous intégrons mieux dans le concert des pays européens et dans celui des pays développés. Cette démarche est fondamentale pour le premier pays de destination de la demande d'asile en Europe et, vraisemblablement, le second dans le monde. Elle permet aussi l'établissement de comparaisons, la prise de mesures d'harmonisation d'État à État et, sans doute, une meilleure gestion de la demande d'asile.

La conjoncture dans laquelle ces résultats favorables sont obtenus a cependant beaucoup évolué en trois ans. Alors que, jusqu'en 2007, la demande d'asile diminuait, elle connaît aujourd'hui un très fort accroissement : 20 % en 2008, 12 % en 2009, et sans doute 10 % en 2010.

Par ailleurs, alors que la précédente augmentation de la demande d'asile mêlait à la fois premières demandes et réexamens, depuis 2009, l'augmentation ne concerne que les premières demandes. Or le traitement de ces demandes exige un travail administratif plus lourd que celui des réexamens, qui ne donnent pas lieu à auditions.

L'expansion depuis trois ans de la demande d'asile est pour nous source de fortes préoccupations. Aux termes du contrat d'objectifs et de moyens, l'appareil administratif de l'OFPRA a en effet été formaté pour examiner au plus 46 500 demandes. Ce volume représentait un objectif ambitieux par rapport au travail réalisé autrefois. Si l'OFPRA a réussi à l'atteindre, son dimensionnement ne lui permet pas de traiter en temps réel les demandes d'asile actuellement présentées dans notre pays, soit 47 500 en 2009, 52 000 prévues en 2010 et 55 000 estimées en 2011. Bref, le nombre total des demandes excède de 10 000 celui que le format permet de traiter.

Désormais, nous devons donc stocker des dossiers. Autrement dit, nous allongeons le délai de traitement de la demande d'asile, alors que l'un de nos objectifs – je sais que vous y êtes attachés – était au contraire de le raccourcir. Nous y étions parvenus : en 2008, le délai de traitement était de 100 jours. En 2009 cependant, du fait de l'accroissement de la demande d'asile, il s'est élevé à 118 jours ; aujourd'hui, il est plutôt de 130 ou 132 jours, sans que nous puissions trouver de levier pour le réduire à terme.

Nous avons donc besoin de mesures complémentaires. La première – elle a, je crois, déjà été décidée – doit nous donner la capacité de traiter le stock existant. Celui-ci sera sans doute en fin d'année de l'ordre de 12 000 demandes. Pour la première fois, plusieurs demandes ont plus d'un an d'ancienneté. Le Gouvernement a donc décidé de proposer la création d'une trentaine de postes d'officiers de protection. Cette mesure permettrait en un an et demi de traiter le stock que nous pourrons constater à la fin de 2010.

Mais cette mesure ne suffira pas : en 2011 nous devrions recevoir entre 52 000 et 55 000 demandes d'asile nouvelles, qu'il nous faudra traiter. Nous devons donc prendre des mesures pour éviter de stocker de nouveau des dossiers de demandes d'asile à partir du début de l'an prochain. Autrement, nous nous retrouverions dans une situation quelque peu absurde où, après avoir géré le stock antérieur, nous serions incapables de gérer les nouveaux flux.

L'histoire de l'OFPRA montre une alternance entre des périodes de hausse et de diminution de la demande d'asile. Nous sommes vraisemblablement revenus aujourd'hui à une phase haussière ; du reste, à l'exception notable de l'Italie – dont le système d'examen est très différent du nôtre –, tous nos voisins européens enregistrent également une hausse de la demande d'asile.

Telle est la situation de l'OFPRA après, je crois, trois années d'amélioration de sa performance et de recherche de qualité, conformément au souhait de notre pays, mais également à celui des autres États européens, et face à une nouvelle conjoncture qui nécessitera très vraisemblablement des mesures à court terme.

La mission nationale de l'OFPRA – l'examen individuel des demandes d'asile – est très motivante pour ses personnels. Nous y sommes tous, en France, très attachés. Les cadres de l'OPFRA ont à coeur d'améliorer leurs performances ; ils sont conscients du caractère essentiel et unique de leur mission, comme de la nécessité de la conduire dans le respect des politiques des droits de l'homme menées depuis de nombreuses années dans notre pays. Aujourd'hui, de leur fait, la terre française est considérée partout comme une terre d'asile de référence. C'est pour cette raison aussi que nous souhaitons travailler à mieux harmoniser avec nos partenaires européens les conditions de l'asile : la France ne peut pas rester la seule terre d'asile qui applique l'ensemble des réglementations, nationale et internationale ! Dans le concert européen, une harmonisation doit conduire aux mêmes spécifications d'accueil et d'examen de la demande d'asile, et donc de mise en oeuvre du respect des droits de l'homme.

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