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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 12 juillet 2010 à 18h00
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Cela signifie que l'oeuvre d'adaptation à laquelle nous convie ce texte est pratiquement inutile. Demain, rien n'empêchera un juge de se référer aux exigences du statut de Rome si celles-ci ne figurent pas en droit interne, même si le droit interne est contradictoire avec elles ! En cette matière, le droit international, dès lors qu'il est sans équivoque, prime. Ultime précision : la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999. Celle-ci a entraîné une révision de la Constitution, intervenue le 8 juillet 1999, qui donna naissance à l'article 53-2. Sans se livrer à une exégèse excessive, cette révision implique qu'en ratifiant le statut de Rome, la France en accepte la logique intégrale. Cette loi constitutionnelle a placé le statut de la CPI dans une catégorie particulière par rapport aux engagements internationaux classiques : il ne s'agit pas d'un traité ordinaire mais d'un traité constitutionnalisé. Il est donc impossible de considérer la loi d'adaptation du code pénal français comme une simple faculté laissée à la seule volonté des autorités de l'État.

Voilà pourquoi la plupart de nos amendements visent à rectifier les libertés que vous vous êtes octroyées et à transposer purement et simplement le traité.

Deuxième enjeu : la France doit-elle ou non se doter d'une compétence universelle ? Il faut savoir gré au Sénat d'avoir introduit ce débat que le texte initial, signé par le Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, n'avait pas abordé. Le Sénat a fait ainsi oeuvre utile, et nous l'en remercions, même si sa réponse n'est pas satisfaisante. Xavier Philippe, professeur de droit public à l'Université d'Aix-Marseille III, et Anne Desmaret, conseillère juridique en droits de l'homme et droit international humanitaire, ont écrit : « Si l'Assemblée nationale devait confirmer ce texte en l'état, toute la capacité et la volonté de la justice pénale française de lutter contre l'impunité se trouveraient remises en cause ».

En effet, le Sénat a posé une série de conditions préalables et nécessaires à la saisine de la justice française qui vident de sens le principe de la compétence universelle.

Je ne prendrai qu'un seul critère, sans doute le plus parlant, celui de la résidence habituelle. L'article 7 bis du projet de loi dispose que « peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale ». Or l'idée fondatrice de la compétence universelle consiste à ne pouvoir fournir aucun refuge dans le monde à des personnes soupçonnées d'avoir commis des crimes atroces. Elle impose donc aux États de mettre en oeuvre leur puissance souveraine en arrêtant et en jugeant ces auteurs présumés dans le respect du principe : « soit juger, soit extrader » – Aut dedere, aut judicare. Le texte du Sénat s'en éloigne en imposant un lien particulièrement exigeant de rattachement entre la France et l'affaire qui serait soumise à ses juridictions. En effet, on connaît avec certitude la définition qu'il faut apporter à la notion de résidence habituelle : selon un arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2005, il faut que deux conditions, l'une matérielle et l'autre intentionnelle, soient réunies. « La résidence habituelle se définit comme le lieu où l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. »

Cela vide de façon biaisée le principe de compétence universelle de sa substance : on voit mal quel auteur de crimes contre l'humanité, à moins qu'il ne soit pourvu d'un instinct autodestructeur particulièrement développé, prendrait le risque de s'installer à demeure en France, sachant les dangers encourus !

Dans notre histoire, la seule fois que nos juridictions ont condamné un auteur de crimes de guerre, il s'agissait d'un capitaine mauritanien qui suivait un stage dans une école militaire. La cour d'assises de Nîmes l'a condamné en 2005. Si s'était appliqué le critère de la résidence habituelle, ce capitaine mauritanien n'aurait pas pu être déféré devant la justice et être condamné.

Le Comité de prévention contre la torture de l'ONU s'est d'ailleurs ému de ce texte dont nous débattons aujourd'hui.

Dans son rapport annuel, daté du 14 mai dernier, il écrit : « le Comité demeure préoccupé par les limitations que le projet de loi impose au champ d'application de la compétence universelle, notamment en imposant un critère de résidence habituelle en France pour les suspects. »

Une telle disposition, pardonnez-moi de le dire ainsi, est moralement indéfendable. C'est ce qui nous avait conduits à ne retenir comme seul critère la simple présence sur le territoire pour poursuivre les crimes relevant des deux tribunaux pénaux internationaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Selon ces deux textes, il suffit d'être sur le territoire et pas forcément d'y résider contrairement à ce que vous demandez pour l'avenir.

C'est aussi ce qui figure dans la Convention internationale sur les disparitions forcées dont le Parlement a voté la ratification par la loi du 17 juillet 2008.

Je pourrais poursuivre, mais j'y reviendrai lors de la discussion sur les amendements, en faisant une démonstration identique à propos des trois autres critères que nous ne sommes pas les seuls à interpréter non pas comme des conditions, mais comme des verrous qui vident la compétence universelle de toute sa substance.

Troisième et dernier enjeu : faut-il modifier le régime d'imprescriptibilité ?

À ce jour, Mme la garde des sceaux l'a parfaitement dit, le droit français ne reconnaît pas l'imprescriptibilité des crimes de guerre.

Le Sénat a confirmé cette position et a opté pour un régime de prescription différencié, dépendant de la définition du crime. Ainsi est-il envisagé un délai de prescription de trente ans pour les crimes de guerre proprement dits, de vingt ans pour les délits de guerre, comme d'ailleurs en matière de trafic de stupéfiants.

C'est une illustration parfaite de mon premier point traité : en quoi l'adaptation est-elle opportune ?

Les articles 8 et 29 du statut de Rome sont parfaitement clairs, précis et concis. L'article 8 dispose que « la Cour a compétence à l'égard des crimes de guerre… » Il n'y a pas besoin d'interpréter cela !

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