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Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 6 juillet 2010 à 9h30
Reconversion des militaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Cazeneuve :

Monsieur le ministre, la présentation de ce texte me donne l'occasion de poser quelques questions sur la réforme du ministère de la défense que vous avez engagée, alors que le Gouvernement s'apprête à prendre des décisions importantes qui auront des conséquences pour l'équilibre de cette réforme.

Nous n'aurions d'ailleurs certainement pas eu à débattre de ce projet si, dans l'ambitieuse réforme que vous avez lancée, le volet ressources humaines n'avait tenu une telle place, comme l'a rappelé le président Teissier. La réforme repose en effet sur l'idée que nos armées, plus resserrées, mieux équipées, davantage projetables, seront mieux à même d'agir dans le nouveau contexte international dont le livre blanc a dessiné les contours.

Mais supprimer 54 000 postes sur la durée de la loi de programmation militaire n'est pas un exercice facile, et vous le savez bien, monsieur le ministre. Il faut, pour le réussir, que deux conditions soient réunies.

D'abord, il faut que le ministère maîtrise parfaitement la « manoeuvre ressources humaines » de façon à garantir qu'on atteindra l'objectif affiché de suppressions d'emplois ; que ces dernières ne conduisent pas à des pertes de compétences extrêmement préjudiciables pour le ministère et pour l'efficacité de nos armées ; que les objectifs de rationalisation, qui doivent reposer sur un autre équilibre entre le soutien et l'opérationnel, seront bien atteints grâce à la réforme et à la déflation des effectifs qui en est un aspect.

C'est sur les questions que je viens de soulever que j'axerai mon propos.

D'abord, au cours des premières années de la réforme, le nombre d'emplois supprimés a été un peu supérieur à celui que vous escomptiez. Cela s'explique d'ailleurs par le fait que, si les dispositifs d'accompagnement social sont bien mis en place au début de l'application d'une réforme, il se produit un effet d'aubaine qui pousse à partir des gens qui, sinon, ne l'auraient pas fait, et qui souhaitent profiter de ces dispositifs. Je rappelle rapidement ces derniers : l'indemnité de départ volontaire qui concerne les personnels civils du ministère de la défense – ainsi qu'un certain nombre d'autres comme les ouvriers d'État –, le pécule et des aides à la mobilité.

Mais – les excellents collaborateurs, très rigoureux qui vous accompagnent ne me contrediront certainement pas – ces dispositifs d'accompagnement ont été un peu sous-budgétisés en 2009. Qu'en est-il pour 2010 ? Je pense notamment à l'enveloppe destinée à accompagner le départ des ouvriers d'État. Certains, dont le départ avait été accepté, ont été rappelés faute de financement suffisant de la mesure. Vous-même, monsieur le ministre, avez dit à plusieurs reprises devant la commission de la défense que le décalage entre le nombre de pécules que vous aviez inscrits à votre budget et le financement réel n'avait pas permis de donner satisfaction à tous les militaires qui voulaient partir.

Les mesures d'accompagnement social des départs sont donc sous-financées. Et voilà que, pour accélérer ce mouvement, vous nous proposez aujourd'hui une nouvelle mesure, qui n'est pas mauvaise, j'en conviens. Elle repose sur la possibilité pour les militaires qui ont plus de quatre ans d'ancienneté de fractionner leur droit à congé de conversion pour accéder de façon plus souple à des emplois dans le secteur privé sans subir de préjudice de carrière, ce qui est une excellente chose. Pour ceux qui ont moins de quatre ans d'ancienneté, vous ouvrez un droit à congé de formation pour faciliter leur reconversion. Enfin, est institué un droit à congé pour la création d'entreprise.

L'étude d'impact étant un peu silencieuse à ce propos, quel est le financement prévu ? L'intérêt de ce dispositif est de dépenser moins au total puisqu'il y aura moins d'indemnités de chômage à payer pour les militaires qui en profiteront. Mais pour mesurer l'économie réalisée, il faut aussi que vous puissiez nous dire combien coûtera le dispositif. Au vu de la sous-budgétisation des mesures d'accompagnement social que je viens de souligner, on est en droit de se demander si ce nouveau dispositif est correctement financé.

Pour conclure sur les aspects budgétaires et de ressources humaines de ce dispositif, vous êtres trop proche des personnels de votre ministère, monsieur le ministre, et trop au fait de ce qui se passe dans les armées, pour ne pas savoir que, notamment parce que la « manoeuvre RH » n'est pas conduite de façon assez méticuleuse, ces personnels subissent un certain nombre de traumatismes qu'il faut prendre en compte car aucune réforme ne peut se faire contre les personnels. Aussi serait-il bon que vous nous indiquiez comment vous percevez le moral des armées à l'heure où elles subissent une réforme d'une ampleur sans précédent.

Pour que votre réforme réussisse, la première condition était que la « manoeuvre RH » réussisse. Une autre condition est que les budgets soient tenus. C'est sur cet aspect que je voudrais maintenant vous interroger. Sur ce plan, je veux vous dire notre très grande inquiétude, et croyez bien que ce n'est pas parce que nous siégeons sur les bancs qui sont les nôtres : les chiffres sont là. Ils suscitent des questions, qu'il faut affronter avec exigence si nous voulons que la réforme réussisse .

Votre réforme repose sur une équation budgétaire assez simple. Au départ, vous avez annoncé que les 54 000 suppressions d'emplois annoncées devaient procurer 3,9 milliards d'euros d'économies. Vous avez indiqué qu'il fallait soustraire de cette somme le coût des mesures d'accompagnement social dont nous débattons, soit environ 800 millions d'euros. Vous évaluiez, en revanche, les économies de fonctionnement dues à la déflation des effectifs à 1,1 milliard. Au début de la période, vous indiquiez aussi qu'il faudrait tenir compte de dépenses d'infrastructures alors évaluées à 1,7 milliard, mais qui sont très supérieures à ce montant prévu. Dans le rapport que nous avons rédigé avec François Cornut-Gentille sur la réforme, nous avons d'ailleurs dit notre inquiétude sur ces surcoûts très importants, qui diminuent forcément le montant des économies que vous attendiez. Compte tenu de ces dépenses d'infrastructure et des dépenses d'accompagnement social, malgré le surcroît d'économie que procure la déflation des effectifs, le solde global n'est plus de 3,9, mais de 2,7 milliards en fin de période. Le Président de la République s'était engagé à faire abonder d'un milliard d'euros par an, à partir de 2012, les crédits d'investissement de manière à ce que les économies engendrées suffisent à financer les équipements et le changement de format de nos armées.

Or voilà que vous, qui êtes le meilleur élève de la RGPP et qui auriez dû être épargné par la régulation budgétaire compte tenu des efforts que vous avez déjà imposés à ce titre à votre ministère, vous subissez la régulation pour 3,5 milliards d'euros. C'est pratiquement un milliard de plus que les économies que vous avez déjà effectuées en imposant une cure d'amaigrissement sans précédent à nos armées, économies qui sont dévorées, et au-delà, par la régulation alors qu'elles devaient servir à financer la réforme. Dans un tel contexte budgétaire, monsieur le ministre, serez-vous en mesure de mener cette réforme à son terme ?

Dans la presse, certains responsables du ministère ont déclaré que ce n'était pas si grave, car si les économies destinées à financer la réforme était englouties par cette sévère régulation budgétaire, des recettes exceptionnelles allaient permettre, en fin de compte, de parvenir à l'équilibre. Mais pour ma part, je me souviens que votre brillant collaborateur M. Maisonneuve m'avait dit d'oublier les recettes exceptionnelles, le dispositif se finançant sans elles. Voilà qu'on les réintroduit pour équilibrer un budget qui ne l'est plus. Mais, monsieur le ministre, cela fait trois ans que vous nous proposez la réalisation des recettes exceptionnelles qui s'élèvent à 3,7 milliards d'euros ! Chaque année, c'est avec un talent chaque fois décuplé que vous essayez de nous convaincre de la réalisation pour l'année suivante de ce que vous n'avez pas réussi à faire l'année précédente. Or cela fait maintenant trois ans qu'on attend 1,6 milliard d'euros.

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