Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Pierre Escalettes

Réunion du 30 juin 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Pierre Escalettes, président de la Fédération française de football :

Monsieur Copé, je pense que le modèle associatif pur est dépassé pour une fédération de la taille de la FFF. C'est une question d'organisation et de gestion, non d'esprit. Je demeurerai toute ma vie fidèle aux valeurs associatives mais à partir d'un certain budget, d'un certain nombre de licenciés, des réformes s'imposent. Il faudra les mener à bien, mais dans le strict respect des textes : lorsqu'on lit dans la presse que Guy Roux pourrait devenir président de la FFF, je n'ai rien contre lui, mais je ne vois pas comment ce serait possible ! Il reste que, pour avoir une Fédération à la fois plus réactive et plus efficace, il faut modifier le système. J'ai toujours dit qu'il faudrait un Conseil fédéral au sein duquel seraient représentées les différentes familles du football avec un directoire beaucoup plus proche du quotidien, composé de professionnels rémunérés – je ne veux pas dire de représentants du football professionnel mais de gestionnaires qualifiés. Les textes n'interdisent pas la mise en place d'un tel directoire, mais ils imposent que les instances dirigeantes soient élues. Quel serait dès lors le rôle de ce directoire ? Nous interrogeons les juristes sans parvenir à obtenir de réponse. Ce point devra être éclairci, et s'il faut changer la loi ou les décrets afin de gagner en efficacité, le Parlement et le Gouvernement doivent nous y aider.

Sachons garder le sens de la mesure comme des réalités, de façon à garantir une répartition à la fois efficace et équilibrée, tenant compte de nos deux millions de licenciés, de nos 18 000 clubs, c'est-à-dire de tout ce qui fait les racines et le tissu de notre football, partie immergée de l'iceberg dont nous sommes tout aussi fiers que de la partie émergée que représente l'équipe nationale. Il serait catastrophique de s'orienter vers une partition à l'anglo-saxonne entre un football-spectacle avec ses propres règles et un football de masse. Michel Platini, qui sent lui aussi poindre ce danger, partage cet avis.

Il se peut que la crise actuelle nous permette d'avancer vers une nouvelle gouvernance tout en préservant ce qui fait l'originalité de notre football national, dans lequel n'importe quel club peut rêver de jouer un jour la finale de la Coupe de France ou de monter en Ligue 1, comme vient de le faire Arles-Avignon. Certains dénoncent le système actuel. Pour ma part, je le trouve bon. Sans doute faut-il le rendre plus efficace, mais de grâce, ne le cassons pas, car certains, aujourd'hui en embuscade, attendent de s'emparer du pouvoir. Ce modèle n'est dépassé que parce qu'il manque d'efficacité, pas parce qu'il serait contraire à notre éthique et à notre culture, bien au contraire. Nous devons au contraire en être fiers. Simplement, comme dans bien d'autres domaines, les choses ont évolué plus vite que les institutions.

S'agissant de l'autorité du sélectionneur, sachez que l'équipe de France est organisée de manière plus professionnelle qu'aucun club français de Ligue 1. Peut-être nos joueurs sont-ils trop protégés, maternés, « coucounés », mais c'est ainsi. On ne peut attaquer ni le staff technique ni le staff médical ni le staff en charge de la logistique, dont le professionnalisme est irréprochable. Au-delà, j'avais moi-même créé un Club France 2010, destiné à préparer notre équipe à cette Coupe du monde. Cela n'a pas été un succès, loin de là. Ce Club ne comptait que deux personnes issues du monde amateur, Bernard Desumer et moi-même, tous ses autres membres étant issus du monde professionnel. Et il se trouve que seuls Bernard Desumer et moi étions présents en Afrique du Sud, les autres n'ayant pu se libérer, qui pour des raisons de mercato, qui pour cause d'agenda surchargé… Que nous n'ayons pas été préparés à gérer une crise de l'ampleur de celle qui s'est produite, soit, mais je le dis bien humblement, j'aurais aimé être aidé. Je comprends parfaitement qu'un président de club ait du mal à se libérer à cette période de l'année, où il doit négocier les transferts et préparer la saison suivante. Mais tout de même, une certaine disponibilité pourrait être exigée.

On m'a accusé de n'avoir pas été assez présent. Mais en tant que président de la Fédération, l'équipe nationale n'est pas la seule chose dont j'ai à m'occuper. Je devais participer au congrès de la FIFA à Johannesburg ; je dois préparer l'Euro ; je dois organiser des assemblées fédérales, comme il vient de s'en tenir une à Lille. Alors, c'est vrai, je ne suis arrivé que la veille du match contre l'Uruguay, mais je ne pouvais pas faire autrement. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais mis en place ce Club France 2010 qui avait pour chef de délégation Bernard Desumer.

Ma philosophie n'est peut-être pas la bonne, je suis prêt à en convenir car je ne suis pas homme de certitude, mais je n'ai jamais voulu être interventionniste. J'ai toujours laissé au staff technique toute autorité sur l'équipe, s'agissant bien entendu des choix techniques mais aussi de tout le reste. Je n'ai jamais voulu être le « copain » des joueurs, convaincu qu'une direction bicéphale aurait été une catastrophe, les joueurs étant alors incités à exploiter « les intervalles » comme on dirait dans le langage technique, entre l'entraîneur et moi-même. C'est donc volontairement que je me suis tenu à l'écart. Je ne voyais les joueurs que le matin au petit-déjeuner pour ceux qui venaient le prendre, car ce n'était pas obligatoire, puis au déjeuner et au dîner. Mais le staff et les joueurs mangent dans deux salles distinctes, notamment pour ne pas gêner les joueurs, et cela ne date pas d'hier. Que savais-je donc de ce qui se passe dans l'équipe ? Ce que le staff voulait bien m'en dire. Certains de mes prédécesseurs jouaient les « papas gâteau », s'informant auprès de chaque joueur de ce qui allait ou n'allait pas. Pour ma part, j'étais là par exemple pour célébrer l'anniversaire de Florent Malouda, je lui ai fait un cadeau pour son quatrième enfant, comme à Alou Diarra pour son premier – cela se fait dans tout groupe professionnel. Mais je n'étais pas au centre du cercle des joueurs.

Pour ce qui est de La Marseillaise, je comprends que vous ayez pu être choqués. Mais de quel droit, et comment, pourrais-je obliger un joueur à la chanter ? Il est de toute façon deux façons de la chanter. Pour ma part, je la vivais et la chantais si fort intérieurement avant tous les matchs que je ne ressentais pas le besoin de faire semblant de la chanter à tue-tête. Désormais, je la chante ouvertement de peur qu'on m'accuse de ne pas la chanter. Voilà où on en est arrivé, alors que tous ceux qui me connaissent savent que je la respecte infiniment et que c'est elle qui me soutient durant l'heure et demie de chaque match, car j'ai une conscience aiguë que l'équipe joue pour la France. Mais je me vois mal contraindre un joueur à la chanter.

Que s'est-il passé dans les vestiaires ? Raymond Domenech vous le dira. Pour ma part, je ne l'ai su que dans la nuit du vendredi au samedi, lorsque cela a transpiré dans L'Équipe. Pourquoi si tard seulement ? Secret des vestiaires ? En tout cas, dès que je l'ai su, et après avoir effectué un minimum de vérifications, un joueur m'ayant même dit que les propos tenus étaient pires que ceux rapportés, j'ai immédiatement sanctionné l'auteur de cette insulte. Comment devant la nation, devant l'ensemble des dirigeants bénévoles et des éducateurs, aurais-je pu faire autrement ? Il y allait aussi de l'autorité du futur sélectionneur sur l'équipe. Nul ne doit pouvoir penser qu'il peut impunément s'adresser de la sorte à son entraîneur – cela étant, je déplore que ces propos aient été publiés en « une » de L'Équipe. Je ne comprends pas ce voyeurisme malsain.

Il reste qu'à aucun moment, les propos sanctionnés n'ont été contestés ni par l'intéressé ni par le capitaine. Tout au long de la conférence de presse quelque peu surréaliste que nous avons donnée, Raymond Domenech, Patrice Evra et moi-même, après que Jean-Louis Valentin, directeur du Club France 2010, bras armé de la FFF, fut, lui, parti, écoeuré par ce qui s'était passé, Patrice Evra s'en est pris au « traître ». Il n'a jamais nié ce qui s'était passé. Mais la seule chose qui l'intéressait était de savoir qui avait parlé, et c'est cela qui est grave.

Dès les faits avérés, j'ai pris la sanction que j'estimais nécessaire. Une grève s'en est suivie. Et dans cet autobus de la honte où j'ai dû monter, je me suis heurté à un mur. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Mon expérience d'enseignant date certes d'un autre siècle mais je dois avouer que jamais, tout au long de ma carrière, où il m'est pourtant arrivé d'avoir à convaincre des élèves, jamais je n'ai été confronté à pareil comportement. Malgré mes 75 ans, mes cinquante années d'expérience de dirigeant dans le football, malgré tout ce que j'ai pu dire, rien n'y a fait. J'avais en face de moi des enfants gâtés et irresponsables. On a évoqué des « caïds » et des « meneurs ». Je suis en effet persuadé qu'en dépit de la solidarité de façade affichée alors, tous les joueurs n'étaient pas d'accord sur cette grève, et des voix divergentes commencent d'ailleurs de se faire entendre. Si quelqu'un comme Thierry Henry qui, de par son passé et son charisme, disposait d'une certaine autorité, s'était alors levé et m'avait demandé de sortir, pour parler à ma place, peut-être auraient-ils compris la portée de leur geste. En revanche, prétendre qu'un responsable de football professionnel, mieux préparé que moi à régler ce type de conflit, y serait parvenu n'est qu'une hypothèse aventureuse. J'ai depuis lors reçu de nombreux appels d'enseignants inconnus qui m'ont dit vivre souvent dans leurs classes ce que j'ai vécu dans cet autobus. C'est aussi cela qui est inquiétant.

Si je suis obligé aujourd'hui de démissionner, c'est parce que j'ai maintenu Raymond Domenech à la tête de l'équipe de France en 2008. Tout le reste n'est que mauvaise littérature. Si j'avais cédé alors à l'opinion publique et aux médias, il n'y aurait pas eu la longue campagne de déstabilisation qui a abouti à tout cela – car c'est vrai que sous l'apparence d'un groupe uni, un feu couvait. Le maintien de Raymond Domenech a été un choix, et ce choix, je l'assume car je m'étais entouré auparavant des avis de toutes les sommités du football et des joueurs. Puis sans doute ai-je une idée désuète de la loyauté : dès lors que j'avais dit à Raymond Domenech qu'il était maintenu, je n'allais pas revenir là-dessus. Nous avons tout encaissé. Les choses se sont mal passées et tout est aussi venu de là, j'en suis intimement persuadé.

L'éducation de ces enfants, sortis trop tôt de leur milieu familial, habitués trop tôt à l'argent facile sans avoir le sens des responsabilités, est un autre problème qu'il faudra aborder. Dès le lendemain, téléphonant qui à leurs compagnes, qui à leurs parents, qui à leurs clubs, ces enfants, car ce sont des enfants, ont mesuré la portée de leur geste et se sont mis à raser les murs. Ils se sont entraînés comme jamais ils ne l'avaient fait. Mais c'est dès le dimanche qu'ils auraient dû comprendre tout cela et mettre fin à cette pantalonnade, qui nous a ridiculisés dans le monde entier, et dont l'image me poursuivra jusqu'à la fin de mes jours.

Il serait catastrophique que la réforme à venir aboutisse à ce que l'équipe de France échappe à la FFF. D'une part, la FIFA et l'UEFA, qui ne connaissent que les fédérations, ne l'accepteraient jamais. Par ailleurs, les ligues et districts amateurs dont j'ai réussi à décupler les revenus depuis mon arrivée à la tête de la Fédération, n'auraient plus d'argent : 90 % des recettes fédérales, issues des subventions des sponsors et des équipementiers, ainsi que des droits de diffusion télévisée, vont au football amateur, sous une forme ou une autre.

Certains d'entre vous ont évoqué le spectre d'une OPA du football professionnel sur la FFF. Certains prétendent aujourd'hui que ce n'est pas grâce à moi que la France a obtenu l'Euro 2016 mais grâce à Jacques Lambert ou bien encore que ce n'est pas moi qui ai redressé les comptes mais Noël Le Graët. Ils ont raison, ce sont bien ces hommes qui ont travaillé là-dessus mais parce que je les avais choisis et leur avais délégué ces tâches, en toute confiance – et à juste titre. Je ne pouvais pas faire tout tout seul et il ne me gêne pas de dire que je ne serais pas parvenu à obtenir l'Euro 2016 sans Jacques Lambert ni à assainir la situation financière sans Noël Le Graët. Peut-être un jour reconnaîtra-t-on que j'ai professionnalisé la FFF, où travaillent désormais deux cents personnes dans les domaines juridique, financier, sportif… Celles-ci ne sont pas élues, mais exercent leur métier avec une grande compétence et un grand professionnalisme. Nous sommes d'ailleurs assez enviés sur le plan international.

Si je n'avais qu'une seule proposition à faire, je dirais qu'il faut modifier la gouvernance afin de la rendre plus efficace, sans casser la FFF ni mettre à bas certains principes qui ont tout de même permis que la France soit championne du monde en 1998, championne d'Europe en 2000 et vice-championne du monde en 2006. Ce palmarès n'est pas nul et beaucoup de pays n'en ont pas de tel.

S'agissant de la réception de Thierry Henry à l'Élysée, je ne ferai aucun commentaire comme je n'en ai jamais fait ni sur Mme Bachelot, ni sur Mme Yade. Il ne faut pas mêler les genres et chacun doit rester à sa place. Citoyen français, je reconnais les autorités de ce pays. J'ai partagé plusieurs moments avec Mme Bachelot, notamment deux dîners avec le staff au cours desquels elle a pu voir à qui elle avait affaire. Nous avons évoqué ces questions de gouvernance. Je la respecte et j'ai avec elle de bonnes relations. Elle a assisté à mes côtés aux deux derniers matchs. Je puis dire combien tous deux étions malheureux.

Avant de laisser la parole à Raymond Domenech, je voudrais dire quelques mots de sa fragilisation, que certains d'entre vous ont évoquée. Son contrat prenait fin en 2010, comme nous en étions convenus. La qualification de notre équipe pour la Coupe du monde avait été peu glorieuse – il faudra d'ailleurs se demander si nous avons une grande équipe de football avec de grands joueurs. Ce n'est pas moi qui me le demande, mais Michel Platini. N'a-t-on pas surfé trop longtemps sur la vague de 1998 pour croire au Père Noël ? Beaucoup de nos joueurs se relevaient tout juste de blessure, d'autres n'étaient pas titulaires dans leur club étranger. Un peu de modestie serait sans doute nécessaire.

Après cette qualification par la petite porte en novembre dernier, il me fallait prévoir l'avenir, ce que j'ai fait. Trois options m'avaient été suggérées. La première était d'attendre la fin de la Coupe du monde pour choisir le nouveau sélectionneur. Imaginez que nous en soyons aujourd'hui à ce stade : le psychodrame actuel en serait renforcé et qui trouverions-nous pour prendre le relais ? Une autre option, m'avait-on dit alors, aurait été de faire le choix sans le révéler. Peut-on croire sérieusement que cela aurait été possible ? Dans le monde où nous vivons, je ne peux pas dire un mot dans mon bureau sans que tout se retrouve dans la presse dès le lendemain. Si on avait vu les Girondins de Bordeaux, puisqu'il s'agissait de Laurent Blanc, prendre contact avec Jean Tigana en avril ou mai, chacun aurait su de quoi il retournait.

La troisième option, celle que j'ai retenue, était qu'il fallait choisir le nouveau sélectionneur avant la Coupe du monde. J'aurais aimé que cela se passe mieux et ne suscite pas tout ce tohu-bohu. Mais je puis vous assurer qu'à aucun moment, les joueurs, et je le sais pour les avoir côtoyés, n'ont été déstabilisés de ce fait. Aucun d'entre eux ne sait qui l'entraînera l'an prochain dans son club, ni même s'il restera dans ce club. Ils sont habitués à ce genre d'incertitude : ce n'est pas cela qui peut les désarçonner. Et ce n'est certainement pas ce qui peut expliquer qu'ils ne fassent pas tout pour le maillot bleu, l'équipe de France et celui qui les a sélectionnés. Ceux qui ont été retenus devraient être reconnaissants au sélectionneur. Raymond Domenech vous dira peut-être ce qu'il est allé dire à Nicolas Anelka à Londres et à Thierry Henry à Barcelone. Il avait pris ses précautions et s'il se sent aujourd'hui quelque peu trahi, il n'a pas tout à fait tort.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion