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Intervention de Jean Dionis du Séjour

Réunion du 29 juin 2010 à 21h45
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Dionis du Séjour :

Venant du Lot-et-Garonne, j'ai surtout en tête la violence de la crise des fruits et légumes. Je citerai deux chiffres : à Agen, on a payé au producteur 0,20 euro le kilogramme de pommes « vrac verger » tandis qu'au supermarché d'Agen, en plein bassin de production, le prix payé par le consommateur pour ces mêmes pommes a été 2 euros le kilogramme, soit dix fois plus. De 0,2 euro pour le producteur à 2 euros pour le consommateur : tout est dit dans ces deux chiffres. Le système de production et de distribution, je pèse mes mots, est à bout de souffle. Il est même pourri.

Soyons clairs : ce projet de loi est un texte sérieux porté par un ministre sérieux et compétent, et c'est déjà beaucoup. Il comporte des dispositions que les centristes approuvent.

Tout d'abord, s'agissant de la mise en place d'une nouvelle politique de l'alimentation, le lancement d'un plan national d'alimentation incitera toutes les autorités compétentes en restauration scolaire et universitaire à développer une restauration saine. C'est une bonne nouvelle pour nos agriculteurs.

Ensuite, le projet de lutte contre le gaspillage des terres agricoles est cohérent avec les textes Grenelle 1 et Grenelle 2 sur ce point décisif, et ce n'est pas son moindre mérite. Oui, nous avons gaspillé le foncier agricole au profit d'un étalement urbain débridé. Oui, le rythme est dangereux pour l'aménagement du territoire français avec l'équivalent d'un département – 5 000 kilomètres carrés, 500 000 hectares – qui disparaîtrait tous les six ans. Oui, il est possible d'enrayer cette tendance folle. Dans ce domaine, les Allemands, qui consomment deux fois moins de foncier agricole, nous montrent le chemin vertueux qu'il faut suivre et, pour la première fois, de nouveaux outils font leur apparition dans notre législation pour maîtriser le foncier. Certes, il s'agit de mesures timides, mais cela n'en est pas moins une bonne nouvelle.

En outre, s'agissant de la contractualisation des relations commerciales entre les agriculteurs et leurs clients, le projet de loi entend obliger à une contractualisation entre, d'une part, les producteurs, et, d'autre part, les industriels ou distributeurs, prix et volumes de livraison devant être mentionnés dans le contrat. Même si cela soulève, sur le terrain, des tonnes de scepticisme, la promotion du contrat sur la base d'un contrat-type établi dans les interprofessions va dans la bonne direction.

Par ailleurs, pour renforcer la compétitivité de l'agriculture, le texte assoit définitivement le mécanisme d'assurance récolte contre les risques sanitaires et climatiques. C'est une avancée majeure, même si le caractère facultatif de cette assurance en limitera considérablement l'impact.

Je plaide d'ailleurs pour l'instauration d'un système assurantiel obligatoire. Depuis quelques années, la multiplication des incidents climatiques pose la question de l'efficience de l'actuel système de couverture des risques. Force est de constater que le régime dit des calamités agricoles souffre de nombreuses limites. En effet, la faiblesse des indemnités, la lenteur et la complexité des procédures rendent ce dispositif insuffisant.

Afin de mieux protéger les agriculteurs contre les aléas, la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 a renforcé l'assurance récolte en jetant les bases de sa généralisation progressive à l'ensemble de toutes les productions agricoles. Toutefois, le caractère facultatif de cette couverture laisse un grand nombre d'exploitants démunis face aux risques climatiques. Malgré la promotion par les pouvoirs publics de l'assurance multirisque climatique sur récoltes avec un taux de subvention pouvant aller jusqu'à 65 % qui a été un signal fort, certains agriculteurs, souvent les plus fragiles, font encore l'impasse sur leur protection contre les aléas climatiques pour des raisons économiques.

De plus, les perspectives pour la politique agricole commune après 2013 nous conduisent à envisager une extension rapide de l'assurance pour protéger la production agricole française.

Le projet de loi entend mettre en place une assurance récolte couvrant tous les risques climatiques, y compris ceux non assurables aujourd'hui comme le gel, le vent, les problèmes sanitaires. C'est sans doute une vraie réforme structurelle positive pour cette profession si exposée et le principe de solidarité doit naturellement présider aux fondements de cette assurance récolte obligatoire. Cependant, l'assurance récolte prévue par le texte présente un caractère facultatif, ce qui handicapera sans doute longtemps sa montée en puissance.

Enfin, nous tenons à saluer toutes les mesures de renforcement des organisation de producteurs ainsi que leurs bureaux de commercialisation.

Nous sommes également d'accord avec vous, monsieur le ministre, pour dire qu'il ne sert à rien de faire de la surenchère et de la démagogie anti-européenne. L'Europe est là, l'agriculture est d'abord une politique communautaire et nous soutenons vos efforts pour refonder une nouvelle régulation au niveau européen.

Après vous avoir dit notre accord sur la plupart des propositions contenues dans votre texte, pourquoi vous cacher notre déception ?

D'abord nous sommes déçus par la modestie de cette loi de modernisation et par son absence de perspective. Bref, comme je vous l'ai dit en commission, c'est un bateau pour beau temps alors que vous devez affronter, dans la plupart des filières, de violentes tempêtes.

Nous sommes déçus ensuite parce que nos agriculteurs vous attendaient sur deux points précis : la compétitivité par rapport à nos voisins de l'Union européenne et un nouveau partage de la valeur ajoutée entre producteurs, industriels et distributeurs. Entendez, monsieur le ministre, leur cri qui réclame que nous luttions à armes égales avec nos collègues allemands, italiens, hollandais et espagnols, un cri répété sur chaque dossier stratégique, qu'il s'agisse des normes environnementales, notamment les phytosanitaires, de l'eau ou des charges sociales. Nos agriculteurs ne supportent plus que nous voulions en France laver plus blanc que blanc sur leur dos, alors qu'ils sont précisément dos au mur. Nous regrettons que vous n'ayez pas rassemblé dans cette loi tous les facteurs favorisant la compétitivité agricole.

Je commencerai par les normes environnementales, en particulier les phytosanitaires.

Au cours du débat sur le Grenelle, grâce à Christian Jacob et à la commission du développement durable, un compromis raisonnable veillant à mettre notre agriculture à armes égales dans ce domaine décisif a été trouvé. Pendant l'examen du projet de loi de modernisation en commission, les centristes ont soutenu les amendements de Marc Le Fur, sur la base du principe des armes égales au respect duquel, monsieur le ministre, nous vous demandons de veiller dans la suite de nos débats.

Quant à l'eau, elle constitue un facteur de production essentiel dans l'agriculture, surtout dans le sud de la France. L'irrigation est un outil indispensable du développement durable de l'agriculture dans un contexte de raréfaction des ressources en eau. Elle favorise la diversification des cultures au sein d'une exploitation, de meilleurs rendements avec l'assurance d'une régularité de la production, ainsi que l'accès à des cultures à forte valeur ajoutée. Dans ma région, l'Aquitaine, elle permet aussi le maintien d'exploitations agricoles de taille moyenne.

Il est bien beau, disent nos paysans avec raison, de lutter contre le réchauffement climatique, mais il faudrait aussi tout simplement s'y adapter. C'est la voie que nous vous proposerons de suivre au travers d'un amendement établissant un programme stratégique et volontariste de stockage de la ressource hivernale. L'irrigation que nous défendons doit être durable, raisonnée et respectueuse de l'environnement. Stocker l'eau abondante en hiver pour mieux la répartir en été répond tout simplement au bon sens. J'ose espérer que nous serons entendus sur ce point car c'est un enjeu vital pour nos paysans.

J'en viens enfin aux charges sociales, point ultrasensible que j'aborderai à travers l'exemple de la filière des fruits et légumes directement concernée puisque la main d'oeuvre pèse pour 60 % dans les coûts de revient.

Nos paysans subissent, dans ce secteur que je connais le mieux, un handicap de compétitivité terrible par rapport à leurs concurrents européens. Ils doivent composer avec un taux horaire de 9,30 euros pour le travail saisonnier – après la suppression des charges patronales qu'à nouveau, nous saluons – alors que leurs concurrents hollandais, allemands, italiens bénéficient d'un coût horaire de 6 à 7 euros.

Ces distorsions ont été officiellement reconnues par les ministères de l'agriculture, de l'emploi et des affaires européennes, qui ont validé, le 3 juin 2009, les résultats des études l'attestant. C'est à partir de ce constat que le Président de la République a décidé l'exonération des charges patronales sur le travail saisonnier. Il s'agit d'un pas significatif que nous tenons à saluer et il revient à la représentation nationale de prolonger cette avancée. En effet, dans ces conditions, les producteurs de fruits et légumes français ne peuvent pas lutter à armes égales sur le marché et les entreprises de production françaises souffrent d'une crise structurelle de compétitivité que, depuis 2008, elles ne parviennent plus à compenser par des gains de productivité.

Le recul de la production de légumes est d'ailleurs déjà largement amorcé en France. Ainsi au cours des dix dernières années, les surfaces cultivées, à l'exception des légumes secs, ont diminué de 15 % dans notre pays. Durant cette même période, ces surfaces ont progressé de 21 % en Allemagne et de 22 % aux Pays-Bas alors qu'en Belgique et en Espagne, elles se sont maintenues.

Ce mouvement est particulièrement marqué pour certains produits comme les carottes, les oignons, les asperges et les fraises. Si rien n'est fait, seule la production de légumes de niche subsistera en France, ce qui engendrera une situation de dépendance forte à l'égard des légumes d'importation.

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