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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 23 juin 2010 à 21h30
Modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Madame la garde des sceaux, vous avez voulu apaiser nos inquiétudes quant aux effets de la réforme instituant les actes contresignés. Vous affirmez clairement que cette réforme ne modifierait pas notre droit de la preuve puisque l'acte contresigné, acte privé, n'aurait en aucune manière les mêmes effets que l'acte authentique, acte public.

Pourtant, le texte de l'article 1er , et notamment de l'alinéa qui introduit un article 66-3-2 dans la loi du 31 décembre 1971, me semble avoir des conséquences beaucoup plus fondamentales. Il y est en effet indiqué que l'acte contresigné par avocat « fait pleine foi de l'écriture et de la signature [des parties], tant à leur égard qu'à l'égard de leurs héritiers ou ayants cause ». Or c'est la reproduction quasi exacte des dispositions de l'article 1319 du code civil, qui est, lui, relatif à la force probante de l'acte authentique. Si les mots ont un sens, l'expression de « pleine foi », commune aux deux actes, ne peut pas être sans conséquence. Ce concept n'était jusqu'à présent associé qu'à l'acte authentique ou à l'acte sous seing privé reconnu par la partie qui l'a signé.

Certes, on pourra faire valoir que cette foi, qu'en droit on appelle la « force probante », ne peut être combattue par les parties à la convention pour ce qui concerne l'acte authentique que par la procédure d'inscription de faux. Pour l'acte contresigné, c'est la procédure de faux prévue par le code de procédure civile qui sera applicable. Mais ainsi, la procédure de vérification d'écriture prévue par notre droit pour l'acte sous seing privé est écartée par l'acte contresigné. Et justement, les procédures de faux et d'inscription de faux sont proches. La distinction entre les deux réside principalement dans des différences de procédure peu contraignantes pour le justiciable et peu significatives pour le professionnel.

Autrement dit, la force probante de l'acte contresigné est très proche de celle de l'acte authentique. Les possibilités de contestation sont quasiment aussi difficiles pour les deux actes ; elles reposent en effet sur la contestation de l'intervention du professionnel.

On pourrait considérer que cette harmonisation est normale puisqu'elle concerne deux professions voisines. Je prétends que c'est une mauvaise harmonisation car les conditions d'intervention du notaire et de l'avocat sont très divergentes. L'acte authentique est rédigé par un officier public qui intervient sous le contrôle de l'État, dans des conditions d'organisation et de conservation précisément fixées par la loi, alors que l'acte contresigné est placé sous un régime de liberté totale, rien ne précisant dans le projet de loi les conditions et les modalités de contrôle du contreseing.

Fort heureusement pour notre démocratie, il est hors de question que l'État contrôle l'activité des avocats. Mais, du fait de la combinaison entre ce statut de liberté et ces nouvelles prérogatives de puissance publique qu'on confère aux avocats en termes probatoires, le droit du justiciable de contester une obligation qu'on lui oppose sera restreint dans des conditions qui apparaissent démesurées. Il s'agit pourtant d'un droit à valeur constitutionnelle, que l'État n'a limité, s'agissant de l'acte authentique, qu'en contrepartie de strictes conditions d'organisation et de contrôle. Ces statuts particuliers des notaires et de l'acte authentique constituent pour le citoyen un facteur incomparable de garantie. Ils sont la contrepartie nécessaire de la force probante, c'est-à-dire des limites apportées par le droit de la preuve à la contestation judiciaire des obligations.

Cette problématique me semble la conséquence la plus grave, et aujourd'hui probablement la moins évaluée, de la création de l'acte contresigné par avocat. Le texte soumis au vote de notre assemblée est-il bien conforme à la Constitution, dans la mesure où il prive les citoyens d'un droit à valeur constitutionnelle, celui de contester un engagement incompris, ou non pris, au seul motif que serait intervenu un professionnel du droit qui n'est soumis à aucun contrôle de l'État ? Pour ma part, j'en doute très fortement.

C'est pourquoi les dispositions instaurant une pleine foi et écartant les possibilités actuelles de contestation de signature doivent être exclues du régime de l'acte sous seing privé contresigné.

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