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Intervention de Marie Bellanger

Réunion du 15 juin 2010 à 17h00
Commission des affaires sociales

Marie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR :

Oui. Constituée il y a une dizaine d'années, notre organisation a pour principale raison d'être d'aider les retraités à peser un peu plus dans le débat sur tout ce qui les concerne : systèmes de retraite, système de santé, conditions de vie des personnes âgées. Il nous a fallu un certain temps avant d'être entendus, sinon écoutés. Votre invitation montre que les choses progressent.

Ce rendez-vous de 2010 sur les retraites, la Confédération l'a demandé à un moment où personne ne l'envisageait. Quand nous avons constaté que celui de 2008 n'avait pas atteint ses objectifs et que les négociations ARRCO-AGIRC de mars 2009 avaient échoué, nous sommes allés voir les conseillers du ministre du travail et ceux du Premier ministre pour les alerter sur la situation des régimes de retraite, notamment de celui du secteur privé qui était en tel péril qu'on ne pouvait attendre les échéances électorales pour agir. Nous avons eu l'agréable surprise de constater que nous avions été entendus : peu de temps après, le Président de la République annonçait que le dossier des retraites serait rouvert en 2010. Nous avons écrit au Premier ministre pour l'informer que nous souhaitions être associés au débat et pour présenter un certain nombre de mesures qui nous paraissaient indispensables.

Pour la Confédération française des retraités, la correction du rapport démographique, dont la dégradation est une source de difficultés majeures pour le système de retraite, nécessite une mesure de type démographique, notamment le relèvement de l'âge minimum de départ en retraite. Un certain nombre de précautions doivent être prises pour effectuer ce relèvement : comme tout changement de paramètre en matière de retraite, il doit, pour être socialement acceptable, être très progressif. C'est une règle générale, qui a prévalu également pour la réforme de M. Balladur en 1993 et pour celle de M. Fillon en 2003.

Un certain nombre d'associations nous contestent le droit, en tant que retraités, de donner notre avis sur des décisions qui vont concerner des actifs. Nous répondons à cela qu'en tant que parents et grands-parents, nous avons le devoir de léguer à nos descendants un système de retraite en état de fonctionnement. Nous avons payé la retraite de nos parents. Nos enfants paient la nôtre. La moindre des choses est qu'ils aient l'assurance qu'il en sera de même quand ils arriveront à l'âge de la retraite. Or, des menaces sérieuses pèsent aujourd'hui sur ce système, faute d'avoir pris à temps les mesures nécessaires. Vous qui êtes sans doute, comme nous, des parents, vous devez savoir que les jeunes sont inquiets de leur avenir. Certains pensent même qu'ils n'ont pas grand-chose à attendre du système de retraite actuel, qu'ils ne devront compter que sur leurs propres efforts. Nous avons le devoir de les rassurer et, d'abord, de dire notre mot dans le débat.

Dans le propos qu'a tenu M. Woerth, nous approuvons la défense inconditionnelle du système par répartition et l'engagement de ne baisser ni les retraites actuelles ni les retraites futures. Un certain nombre d'orientations présentées par le ministre nous conviennent tout à fait, car nous pensons qu'on ne peut pas se passer d'une réforme qui permette de rétablir l'équilibre démographique, ce qui suppose de relever soit l'âge minimum de la retraite, soit la durée d'activité. Mais, on a déjà agi sur ce dernier levier et, comme l'ont montré les études du Conseil d'orientation des retraites (COR), ce n'est plus suffisant. Il faut donc relever l'âge légal de départ en retraite.

C'est de toute façon inévitable, l'important étant, d'une part, comme je l'ai dit, de procéder progressivement et, de l'autre, de préserver le dispositif adopté en 2003 par M. Fillon pour les carrières dites longues. En effet, ce relèvement, souvent qualifié de mesure injuste, ne le serait que si on ne prenait pas en compte la situation particulière des gens qui ont commencé très tôt leur vie professionnelle. Le dispositif arrêté en leur faveur peut très bien être maintenu, comme le prévoit d'ailleurs le document d'orientation, en l'adaptant à mesure qu'augmentera l'âge minimum de la retraite.

Quand on parle d'âge de la retraite, il convient de distinguer l'âge minimum et l'âge de liquidation à taux plein : les deux bornes actuelles du système français, l'une placée à 60 ans, l'autre à 65. On peut hésiter sur le choix des leviers : faut-il relever la seule borne inférieure ou les deux ? Notre Confédération pense, je le répète, qu'un relèvement de l'âge minimum est inévitable. En revanche, en ce qui concerne la borne supérieure, nous sommes beaucoup plus réticents. Nous pensons même que ce serait une erreur d'y toucher dans la mesure où elle est surtout utile à ceux qui ont eu des carrières interrompues ou hachées. La relever pénaliserait donc des gens en situation difficile, notamment des femmes.

Nous pensons également que les mesures démographiques ne seront pas suffisantes. Le document d'orientation fait certes référence à des mesures financières, complémentaires, mais est assez peu disert sur le sujet. Nous l'avons fait remarquer aux conseillers du ministre. On nous a répondu que des mesures seraient bien prises pour assurer le redressement financier du système de retraite à l'horizon de 2020, ce à quoi nous avons opposé que c'était un peu court si on voulait vraiment garantir une certaine visibilité pour nos enfants, les quadragénaires ou quinquagénaires d'aujourd'hui, et qu'il serait souhaitable que le projet définitif soit plus ambitieux, de manière à assurer l'avenir au moins jusqu'à 2030.

Nous avons également fait observer que très peu était dit sur la convergence entre les régimes du secteur public et du privé, thème qui nous a toujours tenu à coeur. Pour rassurer vraiment les générations qui nous suivent, non seulement il convient d'aborder le sujet, mais il faut même lancer le processus, sachant qu'il prendra presque une génération, ou au minimum minimorum une dizaine d'années. Il serait donc très souhaitable que le projet de loi comporte un calendrier pour la remise à plat de l'ensemble des régimes de retraite. C'est une spécificité très française d'avoir 31 régimes de base, 31 régimes complémentaires, plus quelques régimes supplémentaires. Tout cela est difficilement compréhensible pour le commun des mortels et difficilement acceptable parce que, dans les temps difficiles que nous traversons, chacun lorgne vers l'assiette du voisin et se plaint d'être moins bien traité. Prenons donc le temps qu'il faut, mais travaillons dès maintenant pour avoir la certitude de disposer, en 2025 ou 2030, d'un système universel de retraite ou, du moins, d'un système cohérent dans lequel tous auront les mêmes droits, avec les mêmes niveaux ou les mêmes durées de cotisation.

Sur la pénibilité du travail, thème également beaucoup débattu ces derniers temps, la Confédération française des retraités a une position très claire, qui ne fera pas forcément l'unanimité. Nous pensons que le sujet est de la responsabilité de l'employeur. En France, une bonne partie des effets de cette pénibilité sont mis à la charge des caisses de retraites. C'est une erreur. La pénibilité résulte de l'organisation du travail, qui est du ressort de l'employeur, et c'est lui qui peut prendre des mesures pour l'alléger, ou aménager une fin de carrière de sorte que le salarié puisse poursuivre le plus longtemps possible son activité en bonne santé. Bien entendu, le financement sera soit direct, soit indirect via le système adéquat de protection sociale, mais, en tout cas, cela ne doit pas être à la charge des caisses de retraites.

À quoi bon relever l'âge minimum de la retraite tant que le taux d'emploi des seniors sera ce qu'il est en France, se récrie-t-on. J'observe que les chiffres avancés à ce propos résultent d'une statistique en soi exacte, certes, mais qui se rapporte à une tranche d'âge qui n'est pas appropriée : celle des 55-65 ans. En effet, entre ces deux bornes, il y a la barre des 60 ans ! Quand on découpe cette tranche en deux, les choses prennent une tout autre tournure : pour les gens de 55 à 60 ans, notre taux d'emploi est un tout petit peu en dessous de la moyenne européenne – 57 % contre 59 %. En revanche, tout change dans la tranche des 60 à 65 ans. C'est un effondrement : ce taux est là de 17 %, alors que le taux européen est au moins double. L'explication est toute simple : c'est l'effet de la retraite à 60 ans.

On élève une deuxième objection : de toute façon, lorsqu'ils arrivent à l'âge de liquider leur retraite, les seniors ne sont déjà plus employés. C'est assez souvent vrai mais, pour avoir travaillé dans un grand groupe industriel qui a beaucoup pratiqué les réductions d'effectifs en recourant aux mesures dites d'âge, c'est-à-dire de mise à l'écart des seniors, je sais que celles-ci sont fondées sur un calcul à partir de l'âge de liquidation de la retraite à taux plein. On vous dit : vous allez pouvoir liquider votre retraite à taux plein à 62 ans ; l'entreprise, soit directement, soit par le biais des systèmes collectifs d'indemnisation du chômage, peut vous prendre en charge pendant trois ans ; eh bien, vous allez partir à 59 ans ! Voilà comment se construit un plan de licenciement avec mesures d'âge et voilà pourquoi, si on relève l'âge minimum de la retraite, le taux d'emploi des seniors remontera mécaniquement, sans même qu'on ait à forcer les entreprises. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas essayer de les faire changer de comportement : je dis simplement que la vraie raison pour laquelle le taux d'emploi des seniors est si faible en France, c'est tout simplement l'âge de la retraite à 60 ans.

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