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Commission des affaires sociales

Séance du 15 juin 2010 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • minimum
  • pension
  • pénibilité
  • retraités
  • âge

La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 15 juin 2010

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend Mme Elisabeth Labaye et de M. Daniel Gascard, secrétaires nationaux de la Fédération syndicale unitaire (FSU), sur la réforme des retraites.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur la réforme des retraites en recevant Mme Élisabeth Labaye et M. Daniel Gascard, secrétaires nationaux de la Fédération syndicale unitaire (FSU).

Nous souhaitons connaître, madame, monsieur, le constat que votre organisation dresse de la situation de notre système de retraite, les propositions qu'elle avance dans le cadre de la réforme engagée par le Gouvernement et les critiques qu'elle formule sur tel ou tel point de cette réforme.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

La Fédération syndicale unitaire (FSU) s'est exprimée à plusieurs reprises sur la question des retraites, aussi bien au sein d'instances que dans la rue.

Pour nous, il ne s'agit pas que d'une question comptable. C'est avant tout une question de société, une question de vie – de bien vivre et de vivre ensemble. À ce titre, elle mérite un long débat, à la fois sur le partage des richesses entre les actifs et les retraités et sur la place à faire à une vie plus longue après le départ à la retraite. Au lieu de cela, c'est à une marche forcée que nous oblige le Gouvernement en vue de l'élaboration d'un projet de loi qui sera rendu public demain, mais dont on connaît déjà les grandes lignes. Nous regrettons profondément que la question sociale comme celle des financements n'aient pas été débattues.

La FSU est attachée au régime par répartition, à la solidarité qui le sous-tend, et, pour les fonctionnaires, au code des pensions, qu'elle souhaite voir améliorer par ailleurs.

On doit s'interroger sur les raisons pour lesquelles une nouvelle réforme nous est proposée aujourd'hui, alors que M. Fillon a décrit celle qu'il a présentée en 2003, et qui faisait suite à celle de M. Balladur de 1993, comme une solution pour le long terme.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Je vous en prie, monsieur le président.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

La crise a changé la donne, puisqu'elle a entraîné, dans tous les pays, une baisse des salaires de 2 %.

PermalienPhoto de Michel Issindou

La situation des retraites était mauvaise avant !

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

En novembre 2007, par exemple, nous ne pensions pas avoir à examiner à nouveau le problème des retraites, puisque nous envisagions de transférer vers celles-ci un point et demi de cotisation UNEDIC.

Sans la crise, il n'y aurait pas eu de nouveau débat sur les retraites avant 2016.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Il me paraissait important de rappeler que certains événements avaient changé la donne, et ce dans tous les pays.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Vous apportez, en fait, de l'eau à mon moulin, monsieur le président : vous voulez faire payer la crise aux salariés et aux retraités. C'est exactement ce que nous déplorons : vous proposez une réforme pour les quarante prochaines années, afin de régler les problèmes causés par une crise dont les salariés et les retraités ne sont pas responsables, alors même qu'il a été trouvé de l'argent pour « sauver » des banques,…

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

… banques qui, en retour, n'ont pas fait grand-chose, me semble-t-il, pour le pays.

PermalienPhoto de Élie Aboud

Cela n'a rien à voir avec les retraites !

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Dans cette commission, nous faisons de la politique sociale et non de la politique politicienne, madame. C'est la première audition où l'on entend des propos aussi décalés !

PermalienPhoto de Martine Billard

Vous n'avez pas interrompu le représentant du MEDEF quand il est venu devant la commission !

PermalienPhoto de Simon Renucci

La secrétaire nationale de la FSU a le droit d'exprimer son opinion et nous, le devoir de l'écouter.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Elle a le droit d'exprimer son opinion, mais nous avons pour mission de construire.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Je vous en prie, mes chers collègues. Mme Labaye a seule la parole.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Je suis extrêmement choquée qu'on me coupe la parole alors que j'exprime, poliment, la position de mon organisation et de nos mandants. Je n'ai agressé personne. Je comprends que vous puissiez ne pas être du même avis que la FSU, mais je m'estime en droit de bénéficier d'un minimum de respect.

PermalienPhoto de Élie Aboud

Vous nous agressez, madame, en disant qu'il n'y a pas de débat alors que nous sommes en plein débat !

C'est la première fois qu'on a une audition de ce genre !

(M. Élie Aboud quitte la salle)

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Je vous prie de poursuivre, madame Labaye. Mais, il est vrai qu'il peut y avoir des propos blessants.

PermalienPhoto de Jacqueline Fraysse

Qu'y a-t-il de blessant dans ce qui a été dit ?

PermalienPhoto de Simon Renucci

Mme Labaye a le droit d'exprimer la position de la FSU sur les retraites.

PermalienPhoto de Jean-Claude Leroy

Jusqu'à maintenant, nous avons écouté respectueusement tous les intervenants, quelle que soit leur tendance.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Est-ce parce qu'il y a une majorité d'hommes dans cette salle qu'il est difficile à une femme de s'exprimer ?

Plusieurs membres de la commission. Non ! Là n'est pas la question. !

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Comme nous sommes encore en République, je vais continuer à dire ce que j'ai à dire.

Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir d'offensant à regretter qu'il n'y ait pas un débat approfondi sur la question sociale de fond qu'est le temps de vie après la cessation d'activité, ni ce qu'il peut y avoir d'agressif à dire que les mesures qui vont être proposées par le Gouvernement ne servent pas l'intérêt des salariés et des retraités et que la crise pourrait être financée par ceux qui l'ont causée.

La FSU est opposée – et elle n'est pas la seule – à la première mesure emblématique du Gouvernement, à savoir la décision de repousser la borne des 60 ans. Outre qu'elle est inégalitaire et injuste, cette disposition ne prend pas en compte la réalité sociale d'aujourd'hui : beaucoup de salariés sont au chômage ou en invalidité avant cet âge, tandis que de nombreux jeunes sont contraints d'attendre plusieurs années avant de pouvoir entrer dans la vie active. Ces derniers vont être encore plus pénalisés. Il est donc faux de laisser croire que le recul de l'âge légal de départ à la retraite va améliorer le taux d'activité des salariés. Qui plus est, vous allez mettre en difficulté les salariés qui souffrent de gros problèmes de santé – dont le nombre va croissant à cause de l'intensification du travail – et aggraver, de ce fait, le déficit de la sécurité sociale, car ils ne « tiendront pas le coup » si leur activité est prolongée.

D'autre part, le report de l'âge d'ouverture des droits à la retraite va retarder le moment auquel s'annule la décote, ce qui pénalisera encore davantage les personnes qui ont eu des carrières heurtées, notamment les femmes. Celles-ci ont fortement pâti des réformes Balladur et Fillon. Elles seront à nouveau victimes, si la seconde borne d'âge est décalée car, ayant eu des carrières plus courtes et plus difficiles, il leur manquera encore davantage d'années de cotisation.

Le raisonnement selon lequel il faudrait travailler plus longtemps parce qu'on vit plus longtemps relève d'un faux bon sens. Cela va contre les progrès qui nous permettent de vivre plus longtemps et ce n'est pas raisonnable quand nous n'arrivons pas à offrir à nos jeunes des débuts de carrière convenables. C'est donc prendre le problème à l'envers.

L'accroissement du nombre de personnes âgées nécessite de revoir le financement des retraites. Or, rien n'est réellement proposé à ce sujet par le Gouvernement. C'est une des batailles que nous menons, avec d'autres organisations. Nous prônons l'élargissement des cotisations à la valeur ajoutée des entreprises, la taxation des revenus financiers et des stock-options, et la révision des exonérations de cotisations sociales, qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité. Comme on peut raisonnablement compter sur une augmentation du produit intérieur brut dans les prochaines années, du fait d'une élévation de la productivité, d'une démographie plus favorable chez nous que chez nos voisins et d'un possible accroissement de la population active avec l'apport des femmes – quoi qu'en dise le Conseil d'orientation des retraites – et des immigrés, il ne nous paraît pas illégitime de considérer qu'une part plus importante du PIB pourrait être consacrée aux retraites. Ce n'est pas le choix qui est fait pour l'instant, et nous le regrettons.

Il est question de prélever un peu sur les revenus supérieurs à 11 000 euros ou de mettre en place une nouvelle tranche d'imposition. Nous estimons que cela irait dans le bon sens, d'autant que nous demandons la suppression du bouclier fiscal. Il est, en effet, étonnant qu'on fasse payer la crise aux salariés pendant que les plus riches, dont certains ont spéculé, sont exonérés de toute solidarité.

Quand on ne veut pas aborder la question du financement, on présente des mesures d'un autre ordre comme inévitables. Nous maintenons, nous, qu'il existe des solutions pour ce financement, tout comme il y a d'autres mesures à prendre que celles qu'on annonce.

Nous souhaitons, par exemple, que la pénibilité soit prise en compte. Nous regrettons que, alors que des critères de pénibilité ont été établis après de longues discussions, le Gouvernement propose de régler au cas par cas la situation des salariés ayant eu des carrières difficiles – travaux pénibles, horaires décalés – en les obligeant à passer une visite médicale pour éventuellement anticiper leur départ à la retraite, alors que cela fait des années qu'ils souffrent de leurs conditions de travail.

Nous réclamons le rétablissement, dans la fonction publique, de la cessation progressive d'activité, selon les modalités en vigueur avant la loi de 2003. Alors qu'elle permettait une bonne transition entre activité et retraite, sa modification par la loi Fillon a rendu très difficiles certaines fins de carrière.

Nous demandons également la prise en compte des années d'études pour les étudiants, les apprentis et les jeunes en formation. La richesse d'un pays, sa capacité à investir sont liées au degré de qualification ; et donc de formation, de ses citoyens. Il est donc juste qu'un pays prenne en compte cette formation. Les travailleurs de trente ans valident aujourd'hui beaucoup moins d'années qu'il y a dix ans. Si cela continue, jusqu'à quel âge devront travailler nos enfants et nos petits-enfants pour avoir une retraite complète ? Cette validation des années de formation est au reste une demande d'autres organisations syndicales.

Nous souhaitons, pour les femmes fonctionnaires, le rétablissement de la bonification d'un an par enfant, supprimée par la loi Fillon. Deux faits nouveaux légitiment cette demande, pour laquelle nous nous battons sans relâche. D'une part, le Gouvernement a dû revoir la question dans le régime général, instituant la majoration de durée d'assurance (MDA). D'autre part, nous avons trouvé des arguments permettant de faire face aux injonctions de la Commission européenne : la Nation ne peut pas se glorifier des enfants que les mères lui donnent et considérer qu'elle n'a plus d'égards à avoir envers elles une fois que ces enfants sont grands.

PermalienDaniel Gascard, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Parmi les cas particuliers qui posent problème, je citerai encore celui des polypensionnés et celui des fonctionnaires totalisant moins de quinze ans de services.

En général, les polypensionnés ont eu une carrière dans le privé avant d'entrer dans la fonction publique, et ont donc cotisé au régime général, puis au régime de la fonction publique en fin de carrière. Or, la proratisation des vingt-cinq meilleures années ne concerne que les régimes dits alignés. Comme le régime des fonctionnaires n'est pas un régime aligné, elle ne s'applique pas et c'est la totalité de la carrière qui est prise en compte, y compris les années incomplètes, ce qui donne des pensions du régime général totalement ridicules.

Les fonctionnaires qui justifient de moins de quinze ans de services sont, à la fin de leur carrière, « rebasculés » sur le régime général. C'est pourquoi on les appelle des titulaires sans droits. Je connais d'autant mieux leur situation que je suis, par ailleurs, administrateur de l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (IRCANTEC). Ce sont des gens à qui nous ne pouvons pas dire, avant le jour de leur départ à la retraite, quel sera le montant de leur pension. Nous sommes dans l'impossibilité de leur délivrer l'information à laquelle la réforme de 2003 leur donne droit. Par ailleurs, ils se voient demander, au moment où ils partent à la retraite, de fortes sommes par le régime général et par l'IRCANTEC.

Un groupe de travail, où étaient représentés les intéressés, les caisses de retraite et les organisations syndicales, s'est réuni à ce sujet, de manière intensive, aux mois de janvier et de février de l'année dernière. Cette réflexion n'a eu aucune suite et n'a même pas fait l'objet d'un rapport, ce qui est très regrettable.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

La FSU est également opposée à l'autre mesure phare du Gouvernement, à savoir l'allongement de la durée de cotisation.

Que des personnes qui en ont la possibilité et qui s'épanouissent dans leur métier veuillent travailler plus longtemps et obtenir une surcote, nous trouvons cela tout à fait positif. Nous défendons les valeurs du travail. Nous sommes contre l'oisiveté. Nous prônons le travail pour tous et encourageons les femmes à exercer une activité. Mais, nous sommes opposés à l'allongement de la durée de cotisation. Il y a en effet aujourd'hui trop de travailleurs fatigués, usés, qui ne parviennent pas à aller au bout de leur carrière. Les risques psychosociaux et le nombre de suicides ont augmenté. C'est bien le signe d'une intensification du travail, sensible dans le public comme dans le privé.

C'est pourquoi – je reviens à mon propos initial – j'estime que le débat n'est pas mené dans les bons termes. On ne voit les choses que sous l'angle comptable et on ne se pose pas les bonnes questions. Comment vit-on le travail ? Comment, lorsqu'on le souhaite, prolonger son activité, alors qu'on est maltraité dans son emploi ?

Comme les fonctionnaires sont directement visés par la réforme, je reviendrai sur les modalités de calcul de leur retraite. Les réformes sont toujours proposées au nom de l'équité. Mais, celle-ci ne doit pas être à sens unique. Pour nous, elle consiste à tirer tout le monde vers le haut, et non vers le bas comme il est proposé.

Les carrières dans le privé et dans le public sont différentes. Dans le premier cas, elles évoluent selon une courbe en cloche tandis que, dans le second, elles sont linéaires : elles commencent bas pour finir un peu plus haut – à peine : les salaires, modestes, tendent à stagner. C'est ce qui légitime la prise en compte des six derniers mois pour le calcul des retraites.

Diverses pistes ont été explorées qui, toutes, vont dans le sens d'une régression. On a proposé de prendre en compte, non plus six mois, mais dix, voire vingt-cinq ans. Il a aussi été envisagé de garder inchangées les dispositions actuelles pour les fonctionnaires en activité et d'appliquer la règle des vingt-cinq meilleures années aux jeunes qui entreront dans la fonction publique après la réforme. Nous avons été estomaqués par une telle proposition : les jeunes représentent notre avenir. Or, l'entrée de la fonction publique leur est actuellement fermée du fait de la suppression d'un poste sur deux et, quand ils y entreront enfin, à trente ans, on leur appliquerait cette règle des vingt-cinq meilleures années ? Ce serait scandaleux.

PermalienDaniel Gascard, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Comme le montrent les rapports du Conseil d'orientation des retraites, les taux de remplacement sont équivalents dans le secteur privé et dans le secteur public, malgré des modes de calcul très différents. Il n'y a donc aucune urgence à modifier les paramètres.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Quelle est votre position quant à une éventuelle évolution du dispositif de départ anticipé pour les parents de trois enfants ?

Vous semble-t-il possible de faire évoluer la définition des catégories actives ?

Quelles solutions préconisez-vous pour régler le problème des personnes ayant cotisé moins de quinze ans dans la fonction publique ?

PermalienPhoto de Michel Issindou

Je vous remercie, madame, monsieur, pour votre franchise. Nous avons le devoir d'entendre tous les avis et, en ce qui nous concerne, nous avons souffert d'entendre certains propos de la part du MEDEF. Mais, nous n'avons pas moins écouté.

Vous avez le droit d'exprimer la position de votre organisation syndicale. Vous avez d'ailleurs tenu des propos de bon sens. La question des retraites est un vrai débat de société, qu'on ne peut pas traiter dans la précipitation comme le fait le Gouvernement. Or, nous venons d'avoir la confirmation que le texte, qui sera communiqué demain, serait examiné par le Parlement le 7 septembre.

Il est question d'aligner le taux de cotisation des fonctionnaires sur celui du secteur privé, c'est-à-dire de le porter de 7,85 % à 10,55 %. Qu'en pensez-vous ?

Les différences entre le public et le privé, notamment l'absence de conditions de ressources pour les pensions de réversion et le dispositif « 15 ans – 3 enfants », sont souvent mises en exergue. Ces sujets doivent-ils, selon vous, être matière à débat ou, au contraire, ne pas être abordés du tout ?

PermalienPhoto de Martine Billard

Je vous remercie, moi aussi, pour la présentation que vous avez faite de la position de votre organisation syndicale.

Pouvez-vous préciser comment est calculée la pension des polypensionnés justifiant de moins de quinze ans de service dans la fonction publique ?

PermalienPhoto de Dominique Dord

Je vous remercie également, madame, pour votre exposé, même s'il est très éloigné de notre vision des choses, ce qui peut expliquer les réactions de d'un certain nombre d'entre nous.

Vous souhaitez la taxation des revenus du capital. Selon vous, le capital est-il captif ou peut-il circuler ? S'il peut circuler, l'économie française peut-elle s'en passer ou en a-t-elle besoin pour se maintenir et se développer ?

La société que vous avez décrite est celle dont tout le monde rêve : plus grand confort possible, épanouissement personnel. Mais, croyez-vous la favoriser en faisant croire qu'on pourrait continuer de partir à la retraite à soixante ans, voire encore plus tôt – car je suppose que vous êtes pour un retour aux 37 annuités et demie ? N'y a-t-il pas déjà suffisamment de retraités pauvres pour qu'on n'aille pas imaginer, par les dispositions que vous prônez, diminuer encore le niveau des pensions ?

J'ai posé deux questions larges qui montrent que, même si nous poursuivons le même objectif d'épanouissement des personnes dans notre bonne société française de ce début de siècle, nous n'avons pas la même perception de la réalité sociale.

PermalienPhoto de Jean-Claude Leroy

Dans un document publié par la FSU, vous proposez la validation de la période d'études, en assimilant celle-ci à du temps travaillé. Pouvez-vous préciser comment pourrait être pris en compte ce temps de formation ?

Je souhaiterais avoir une définition plus précise de la pénibilité. Je prends un exemple : les enseignants affectés dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP) sont souvent des jeunes, alors qu'il y faudrait des professeurs expérimentés. Ne peut-on imaginer d'octroyer des bonifications aux enseignants qui auront travaillé dix, quinze, voire vingt ans en ZEP ?

PermalienPhoto de Michel Heinrich

Pour compléter la question posée par Michel Issindou, j'aimerais savoir quelle justification peut être donnée des différences qui existent entre le minimum garanti de pension du régime des fonctionnaires et le minimum contributif du secteur privé ?

PermalienPhoto de Fernand Siré

Pour avoir été membre pendant vingt ans d'un syndicat de médecins, j'ai été un peu étonné par votre propos initial. Nous, médecins, ne savons pas ce que c'est que la retraite à 60 ans : nous la prenons à 65 ans et payons, chaque année, des cotisations non négligeables. Nos dix années d'étude, qui retardent notre entrée dans la vie active, ne sont pas prises en compte, non plus que la pénibilité de notre métier, que ce soit dans le secteur libéral ou dans le secteur hospitalier.

J'ai ensuite compris que vous vouliez maintenir les avantages acquis, comme s'il n'y avait pas de crise, comme si la France n'avait pas un déficit abyssal, comme si les pays qui nous entourent n'avaient pas, eux aussi, pris des mesures encore plus sévères que celles qui devraient nous être proposées.

Vous regrettez qu'il n'y ait pas eu de débat. Mais, depuis deux mois que je suis député, j'observe qu'il ne se passe pas une semaine sans auditions sur le sujet. La Commission passe un temps fou à dialoguer et à travailler. Le projet de loi ne sortira pas d'un chapeau. Il résultera de toutes les consultations menées et de tous les avis exprimés.

Ce que je vous reprocherais, c'est votre immobilisme. Toutes les personnes avec qui je parle dans ma circonscription souhaitent une réforme des retraites, à condition qu'elle concerne tous les régimes et qu'elle soit égalitaire. Ils ne peuvent concevoir que soient maintenus des privilèges.

Vous voulez tirer tout le monde vers le haut, afin que tout le monde bénéficie des mêmes avantages que les fonctionnaires. Ceux qui n'ont pas ces avantages demandent, eux, un système égalitaire.

Les maires qui sont ici sont quotidiennement sollicités pour aider quelqu'un à trouver une place à la mairie, pour faire jouer le « piston ». Les postes de fonctionnaires sont très demandés. Pourtant, comme vous l'avez indiqué, ils sont très mal payés. En même temps qu'on diminue le nombre de fonctionnaires, il faudrait donc augmenter leurs traitements, ce qui leur permettrait, ensuite, d'avoir des retraites plus importantes.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Bien que confrontés aux dures réalités, nous sommes tous à la recherche de l'idéal. Existe-t-il pour vous un pays qui puisse servir de référence en matière de retraites ?

PermalienPhoto de Simon Renucci

Monsieur Siré, c'est la signature de la convention avec l'assurance maladie, en 1962, qui a eu pour contrepartie la suppression de l'assurance vieillesse, injustice faite à la médecine libérale.

Madame Labaye, monsieur Gascard, j'ai une question simple à vous poser : pour vous, qu'est-ce que la pénibilité ?

PermalienPhoto de Patrick Roy

Je vous poserai une question, devenue rituelle dans cette commission, sur les toutes petites retraites, auxquelles vous avez déjà fait allusion, monsieur Gascard. Je suis horrifié de voir que des millions de retraités n'ont plus d'argent pour manger à la fin du mois. J'ai bien peur qu'il ne soit rien proposé demain par le Gouvernement pour revaloriser ces petites pensions. Mais, je ne me lasse pas de soulever la question. Comme j'ai été enseignant, je sais que la répétition fixe la notion. Et il y en a bien besoin, car j'ai l'impression que certains ne veulent pas voir cette triste réalité dans un pays aussi riche que la France.

Permalienéric Labaye, secrétaire nationale de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Étant attachée au service public, la FSU est favorable, de manière générale, à l'impôt. Nous ne sommes pas de ceux qui se plaignent du niveau d'imposition ou du montant de cotisations ni qui rechignent à les payer. Pour nous, la notion de pouvoir d'achat se décline aussi en service public, en santé et en retraite. L'effort pour le financement des retraites doit être fourni en premier lieu par ceux qui ont le plus, en particulier par les titulaires de revenus financiers, mais, pour nous, l'augmentation des cotisations n'est pas absolument à proscrire, si elle permet une amélioration des retraites. Mais, une hausse du taux de cotisation des fonctionnaires ne serait ni plus ni moins qu'une baisse de leur salaire net – de 3 % si on l'aligne sur celui du secteur privé, soit de l'ordre d'un jour de salaire par mois – alors même qu'ils n'auraient rien de plus pour leur retraite. Il ne peut en être question.

La FSU demande le maintien du départ anticipé pour les fonctionnaires mères de trois enfants. Elles ont porté et mis au monde ces enfants, elles les ont élevés, elles ont supporté beaucoup des tâches d'éducation et de la maison. Dans le même temps, elles ont poursuivi des carrières dans lesquelles elles ont été pénalisées par le fait précisément d'être mères. On peut admettre qu'elles soient à un moment donné fatiguées.

Pour nous, les avantages familiaux sont des mécanismes de compensation des inégalités. Si celles-ci devaient fortement diminuer, voire disparaître, nous ne disons pas que ces avantages devraient demeurer à l'identique. Ils devraient être réexaminés.

Le même raisonnement nous conduit à considérer que les hommes ne devraient pas bénéficier d'avantages, lorsqu'il n'y a aucune preuve d'inégalité à leur détriment : les bonifications attribuées à M. Griesmar il y a quelques années ne nous ont pas paru justifiées et nous contestons également l'extension de cette décision, faite pour se conformer à la législation européenne.

Cet avantage compensant une inégalité, il doit, je le répète, être réservé aux victimes de ces inégalités et cesser en même temps que les inégalités elles-mêmes. Nous voulons, en effet, que les femmes aient le maximum de droits propres et non qu'elles vivent de droits dérivés. Mais, tant qu'elles auront des salaires et des retraites inférieurs à ceux des hommes, il est légitime qu'elles bénéficient de compensations, compte tenu de la « double journée » qu'elles assument chaque jour.

Toutes les mesures envisagées allant dans le sens de la régression, il était inévitable qu'on pense à mettre sous conditions de ressources les pensions de réversion dans la fonction publique. On le fait au nom de l'équité, au motif qu'il en est ainsi dans le privé. Mais, l'argument ne tient pas : les situations et les calculs dans le privé et le public ne sont pas les mêmes. En particulier, dans le privé, les retraites complémentaires ne sont pas soumises à conditions de ressources.

C'est pourquoi j'insistais sur la nécessité d'avoir un vrai débat de société. On ne peut pas discuter de réversion indépendamment des niveaux de salaires, des conditions de vie des hommes et des femmes, du montant des loyers et du fait que les gens ont ou non un patrimoine.

Quant à la pénibilité, nous distinguons entre celle qui entraîne une réduction de l'espérance de vie – il est incontestable que, pour certaines catégories d'ouvriers, elle est inférieure de six ou sept ans à celle d'un cadre – et celle qui rend difficiles les fins de carrière mais, n'influant pas sur l'espérance de vie, est plutôt affaire d'aménagement des conditions de travail. L'exemple que vous avez cité d'un enseignant en ZEP relève de cette seconde catégorie. Les enseignants ont une espérance de vie plutôt longue. Pour autant, il est indéniable qu'ils subissent un stress professionnel et qu'ils sont confrontés à certaines difficultés qui font qu'on peut parler d'une vraie pénibilité. Mais, celle-ci doit conduire à leur permettre, par exemple, de travailler avec des petits groupes d'élèves ou de bénéficier de la cessation progressive d'activité, et ne nécessite pas d'envisager un départ anticipé à la retraite comme nous le demandons pour les carrières répondant aux critères, désormais bien définis, de pénibilité.

Le capital que nous souhaitons voir taxer plus fortement est celui qui n'est pas réinvesti dans les entreprises : les profits, les revenus financiers. Il va de soi, par ailleurs, que nous aimerions qu'il y ait beaucoup plus de capital réinvesti dans les entreprises pour améliorer l'emploi, augmenter les salaires et accroître la compétitivité des industries françaises.

Quant au maintien du pouvoir d'achat des retraités, il passe pour nous par une réforme fiscale et, notamment, par la suppression du bouclier fiscal. Si nous estimons légitime de payer des impôts, nous voulons que ceux-ci soient justes, c'est-à-dire progressifs et redistributifs. L'argent dégagé par la suppression du bouclier fiscal rentrerait opportunément dans les caisses de l'État pour combler quelques déficits. Quand on veut enlever aux mères de trois enfants la possibilité de partir plus tôt, mais qu'on hésite à augmenter un peu l'impôt de ceux qui ont plus de 11 000 euros de revenu, il y a vraiment deux poids, deux mesures !

PermalienDaniel Gascard, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire, FSU

Le taux marginal d'imposition, aujourd'hui de 40 % en France, était de 70 % entre les deux guerres – et de 92 % en Grande-Bretagne, à la même époque. Il y a donc de la marge !

PermalienPhoto de Dominique Dord

Entre les deux guerres, on était en économie fermée, ce qui est tout à fait différent.

PermalienDaniel Gascard, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire, FSU

C'est exact. Mais considérons la répartition des richesses : depuis 1983 – on était déjà en économie ouverte –, la part consacrée aux salaires a diminué de 5 à 7 % dans tous les pays développés. Chaque pays faisant exactement la même chose, cela ne sert à rien, si ce n'est contribuer au dumping social. Les plans d'austérité européens se mettant en place tous en même temps, ils n'auront aucun effet compétitif entre les pays. Le seul effet sera la paupérisation des populations.

Selon le rapport du Conseil d'orientation des retraites, on consacre aujourd'hui 13 % du PIB aux retraites. L'idée serait d'avoir le même taux en 2050. Or, à cette date, 30 % de la population aura plus de 55 ans, contre 18 % aujourd'hui. Personne, je pense, ne considère que les retraites moyennes sont trop élevées : une partie de la population retraitée vit en dessous du seuil de pauvreté et la désindexation des retraites sur les salaires et leur indexation sur les prix produit de la pauvreté chez les retraités âgés. Selon les projections qui ont été réalisées, pour maintenir les retraites au niveau actuel en 2050, il faudrait y consacrer entre 18 et 20 % du PIB. Cela ne semble pas totalement extravagant ni irréalisable. À la limite, c'est plus le cap de 2020 qui risque de poser un problème que celui de 2050.

Comme y a insisté Elisabeth Labaye, pour nous, le débat sur les retraites est plus un débat de société et sur le partage des richesses qu'un débat technique.

Le groupe de travail qui s'est réuni il y a un an pour étudier la situation des « titulaires sans droits », c'est-à-dire des personnes qui ont travaillé moins de quinze ans dans la fonction publique, a clairement identifié les populations concernées : cette situation est liée, pour 80 %, à la professionnalisation des armées : il s'agit de gens qui ont souscrits des contrats courts, d'une durée de cinq ans et renouvelables une seule fois – à peine 1 ou 2 % continuent au-delà. Nous pensons que la solution serait de les affilier directement au régime général et à l'IRCANTEC, tout comme ceux, d'ailleurs, qui sont titularisés tardivement – souvent après 50, voire 55 ans – dans la fonction publique territoriale. Cela éviterait à la fois beaucoup de problèmes et de désillusions au moment où ces personnels partent à la retraite, et beaucoup de travail aux caisses de retraite, qui gagneraient ainsi en efficacité.

Aujourd'hui, le minimum garanti dans la fonction publique est calculé par rapport à l'indice 234, proratisé sur trente ans, c'est-à-dire qu'on multiplie un trentième de la retraite calculée sur l'indice 234 par le nombre d'années d'activité. La durée d'une carrière étant de quarante ans, M. Tron a envisagé de proratiser sur quarante ans. Non seulement cela conduirait à une baisse de ce minimum garanti, alors que les personnels qui le touchent sont celles qui gagnent le moins, mais cela ne correspondrait à aucune situation existante : pour percevoir une pension calculée sur l'indice 234 après une carrière de quarante ans, il faudrait appartenir à la catégorie C, ne pas avoir eu de promotion et avoir tout le temps travaillé à mi-temps ! Les personnes qui touchent le minimum garanti ont souvent des carrières courtes, de quinze, vingt ou vingt-cinq ans. Depuis la réforme de 2003, la proratisation se fait sur trente ans au lieu de vingt-cinq ans. La faire sur quarante ans serait une véritable régression pour les plus petites retraites de la fonction publique.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Madame, monsieur, nous vous remercions.

Puis la Commission entend M. François Bellanger, président de la Confédération française des retraités (CFR), sur la réforme des retraites.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous accueillons maintenant M. François Bellanger, président de la Confédération française des retraités (CFR), accompagné de MM. Christian Bourreau et Sylvain Denis, vice-présidents.

Après avoir lu l'article que vous avez fait paraître dans Le Monde en réponse à certaines analyses de groupes de réflexion, nous aimerions savoir, monsieur Bellanger, quelles sont les mesures que vous souhaitez voir figurer dans le projet de loi qui sera dévoilé demain, afin de préserver la situation des retraités.

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Nous vous remercions de nous recevoir aujourd'hui. La Confédération française des retraités (CFR) regroupe quatre grandes fédérations d'associations de retraités – les Aînés Ruraux, la Confédération nationale des retraités, la Fédération nationale des associations de retraités et l'Union française des retraités – soit environ un million et demi de retraités en tout.

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Oui. Constituée il y a une dizaine d'années, notre organisation a pour principale raison d'être d'aider les retraités à peser un peu plus dans le débat sur tout ce qui les concerne : systèmes de retraite, système de santé, conditions de vie des personnes âgées. Il nous a fallu un certain temps avant d'être entendus, sinon écoutés. Votre invitation montre que les choses progressent.

Ce rendez-vous de 2010 sur les retraites, la Confédération l'a demandé à un moment où personne ne l'envisageait. Quand nous avons constaté que celui de 2008 n'avait pas atteint ses objectifs et que les négociations ARRCO-AGIRC de mars 2009 avaient échoué, nous sommes allés voir les conseillers du ministre du travail et ceux du Premier ministre pour les alerter sur la situation des régimes de retraite, notamment de celui du secteur privé qui était en tel péril qu'on ne pouvait attendre les échéances électorales pour agir. Nous avons eu l'agréable surprise de constater que nous avions été entendus : peu de temps après, le Président de la République annonçait que le dossier des retraites serait rouvert en 2010. Nous avons écrit au Premier ministre pour l'informer que nous souhaitions être associés au débat et pour présenter un certain nombre de mesures qui nous paraissaient indispensables.

Pour la Confédération française des retraités, la correction du rapport démographique, dont la dégradation est une source de difficultés majeures pour le système de retraite, nécessite une mesure de type démographique, notamment le relèvement de l'âge minimum de départ en retraite. Un certain nombre de précautions doivent être prises pour effectuer ce relèvement : comme tout changement de paramètre en matière de retraite, il doit, pour être socialement acceptable, être très progressif. C'est une règle générale, qui a prévalu également pour la réforme de M. Balladur en 1993 et pour celle de M. Fillon en 2003.

Un certain nombre d'associations nous contestent le droit, en tant que retraités, de donner notre avis sur des décisions qui vont concerner des actifs. Nous répondons à cela qu'en tant que parents et grands-parents, nous avons le devoir de léguer à nos descendants un système de retraite en état de fonctionnement. Nous avons payé la retraite de nos parents. Nos enfants paient la nôtre. La moindre des choses est qu'ils aient l'assurance qu'il en sera de même quand ils arriveront à l'âge de la retraite. Or, des menaces sérieuses pèsent aujourd'hui sur ce système, faute d'avoir pris à temps les mesures nécessaires. Vous qui êtes sans doute, comme nous, des parents, vous devez savoir que les jeunes sont inquiets de leur avenir. Certains pensent même qu'ils n'ont pas grand-chose à attendre du système de retraite actuel, qu'ils ne devront compter que sur leurs propres efforts. Nous avons le devoir de les rassurer et, d'abord, de dire notre mot dans le débat.

Dans le propos qu'a tenu M. Woerth, nous approuvons la défense inconditionnelle du système par répartition et l'engagement de ne baisser ni les retraites actuelles ni les retraites futures. Un certain nombre d'orientations présentées par le ministre nous conviennent tout à fait, car nous pensons qu'on ne peut pas se passer d'une réforme qui permette de rétablir l'équilibre démographique, ce qui suppose de relever soit l'âge minimum de la retraite, soit la durée d'activité. Mais, on a déjà agi sur ce dernier levier et, comme l'ont montré les études du Conseil d'orientation des retraites (COR), ce n'est plus suffisant. Il faut donc relever l'âge légal de départ en retraite.

C'est de toute façon inévitable, l'important étant, d'une part, comme je l'ai dit, de procéder progressivement et, de l'autre, de préserver le dispositif adopté en 2003 par M. Fillon pour les carrières dites longues. En effet, ce relèvement, souvent qualifié de mesure injuste, ne le serait que si on ne prenait pas en compte la situation particulière des gens qui ont commencé très tôt leur vie professionnelle. Le dispositif arrêté en leur faveur peut très bien être maintenu, comme le prévoit d'ailleurs le document d'orientation, en l'adaptant à mesure qu'augmentera l'âge minimum de la retraite.

Quand on parle d'âge de la retraite, il convient de distinguer l'âge minimum et l'âge de liquidation à taux plein : les deux bornes actuelles du système français, l'une placée à 60 ans, l'autre à 65. On peut hésiter sur le choix des leviers : faut-il relever la seule borne inférieure ou les deux ? Notre Confédération pense, je le répète, qu'un relèvement de l'âge minimum est inévitable. En revanche, en ce qui concerne la borne supérieure, nous sommes beaucoup plus réticents. Nous pensons même que ce serait une erreur d'y toucher dans la mesure où elle est surtout utile à ceux qui ont eu des carrières interrompues ou hachées. La relever pénaliserait donc des gens en situation difficile, notamment des femmes.

Nous pensons également que les mesures démographiques ne seront pas suffisantes. Le document d'orientation fait certes référence à des mesures financières, complémentaires, mais est assez peu disert sur le sujet. Nous l'avons fait remarquer aux conseillers du ministre. On nous a répondu que des mesures seraient bien prises pour assurer le redressement financier du système de retraite à l'horizon de 2020, ce à quoi nous avons opposé que c'était un peu court si on voulait vraiment garantir une certaine visibilité pour nos enfants, les quadragénaires ou quinquagénaires d'aujourd'hui, et qu'il serait souhaitable que le projet définitif soit plus ambitieux, de manière à assurer l'avenir au moins jusqu'à 2030.

Nous avons également fait observer que très peu était dit sur la convergence entre les régimes du secteur public et du privé, thème qui nous a toujours tenu à coeur. Pour rassurer vraiment les générations qui nous suivent, non seulement il convient d'aborder le sujet, mais il faut même lancer le processus, sachant qu'il prendra presque une génération, ou au minimum minimorum une dizaine d'années. Il serait donc très souhaitable que le projet de loi comporte un calendrier pour la remise à plat de l'ensemble des régimes de retraite. C'est une spécificité très française d'avoir 31 régimes de base, 31 régimes complémentaires, plus quelques régimes supplémentaires. Tout cela est difficilement compréhensible pour le commun des mortels et difficilement acceptable parce que, dans les temps difficiles que nous traversons, chacun lorgne vers l'assiette du voisin et se plaint d'être moins bien traité. Prenons donc le temps qu'il faut, mais travaillons dès maintenant pour avoir la certitude de disposer, en 2025 ou 2030, d'un système universel de retraite ou, du moins, d'un système cohérent dans lequel tous auront les mêmes droits, avec les mêmes niveaux ou les mêmes durées de cotisation.

Sur la pénibilité du travail, thème également beaucoup débattu ces derniers temps, la Confédération française des retraités a une position très claire, qui ne fera pas forcément l'unanimité. Nous pensons que le sujet est de la responsabilité de l'employeur. En France, une bonne partie des effets de cette pénibilité sont mis à la charge des caisses de retraites. C'est une erreur. La pénibilité résulte de l'organisation du travail, qui est du ressort de l'employeur, et c'est lui qui peut prendre des mesures pour l'alléger, ou aménager une fin de carrière de sorte que le salarié puisse poursuivre le plus longtemps possible son activité en bonne santé. Bien entendu, le financement sera soit direct, soit indirect via le système adéquat de protection sociale, mais, en tout cas, cela ne doit pas être à la charge des caisses de retraites.

À quoi bon relever l'âge minimum de la retraite tant que le taux d'emploi des seniors sera ce qu'il est en France, se récrie-t-on. J'observe que les chiffres avancés à ce propos résultent d'une statistique en soi exacte, certes, mais qui se rapporte à une tranche d'âge qui n'est pas appropriée : celle des 55-65 ans. En effet, entre ces deux bornes, il y a la barre des 60 ans ! Quand on découpe cette tranche en deux, les choses prennent une tout autre tournure : pour les gens de 55 à 60 ans, notre taux d'emploi est un tout petit peu en dessous de la moyenne européenne – 57 % contre 59 %. En revanche, tout change dans la tranche des 60 à 65 ans. C'est un effondrement : ce taux est là de 17 %, alors que le taux européen est au moins double. L'explication est toute simple : c'est l'effet de la retraite à 60 ans.

On élève une deuxième objection : de toute façon, lorsqu'ils arrivent à l'âge de liquider leur retraite, les seniors ne sont déjà plus employés. C'est assez souvent vrai mais, pour avoir travaillé dans un grand groupe industriel qui a beaucoup pratiqué les réductions d'effectifs en recourant aux mesures dites d'âge, c'est-à-dire de mise à l'écart des seniors, je sais que celles-ci sont fondées sur un calcul à partir de l'âge de liquidation de la retraite à taux plein. On vous dit : vous allez pouvoir liquider votre retraite à taux plein à 62 ans ; l'entreprise, soit directement, soit par le biais des systèmes collectifs d'indemnisation du chômage, peut vous prendre en charge pendant trois ans ; eh bien, vous allez partir à 59 ans ! Voilà comment se construit un plan de licenciement avec mesures d'âge et voilà pourquoi, si on relève l'âge minimum de la retraite, le taux d'emploi des seniors remontera mécaniquement, sans même qu'on ait à forcer les entreprises. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas essayer de les faire changer de comportement : je dis simplement que la vraie raison pour laquelle le taux d'emploi des seniors est si faible en France, c'est tout simplement l'âge de la retraite à 60 ans.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Un débat s'est ouvert récemment sur le fait de savoir si les retraités actuels devaient participer davantage au financement du système. Qu'en pensez-vous ?

Une réforme systémique vous semble-t-elle nécessaire à terme ?

Enfin, puisque vous avez parlé de convergence, quelles pistes privilégiez-vous pour le rapprochement entre le public et le privé ?

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Qu'on veuille faire participer les retraités au financement des retraites me choque un peu. Ce n'est pas dans cet esprit que ma génération a conclu le pacte social des retraites. Il n'a jamais été question de faire payer les retraites par les retraités. Cela étant, ce sont des citoyens comme les autres et si l'impôt doit être utilisé pour rétablir l'équilibre des régimes de retraite, ils seront des contribuables comme les autres. Mais, il est hors de question, à mon sens, de leur imposer un traitement particulier, en tant que contribuables, au motif que c'est le système de retraite qui est en difficulté financière.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Si, pour financer le cinquième risque, on demandait un alignement du taux de la CSG payée par les retraités imposables sur le taux de droit commun, quelle serait la position de votre Confédération ?

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Il n'est pas inutile de rappeler l'origine de l'écart de 0,9 point. Cela remonte à 1991. Mme Cresson, Premier ministre à l'époque, avait, pour je ne sais plus quelle raison exacte, fait un troc assez bizarre avec les retraités. Elle leur devait normalement un relèvement du niveau des retraites, au 1er juillet, de 1,7 % mais ne leur a accordé que 0,8 %. En contrepartie, l'augmentation des cotisations d'assurance maladie demandée à tous, retraités et actifs, a été réduite pour les premiers de 0,9 %.

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Depuis, les cotisations d'assurance maladie ont été intégrées dans la CSG. Ce 0,9 % n'a donc pas été un cadeau fait aux retraités.

Nous aurons peut-être du mal à le conserver. Si nous devons en faire le sacrifice au bénéfice de l'alignement, sans doute faudra-t-il alors poser la question d'autres distorsions, cette fois au détriment des retraités. Quand on est une fois entré dans la mécanique fiscale pour déterminer si les retraités sont bien ou mal traités, on ne peut manquer, par exemple, de s'intéresser au crédit d'impôt pour les services à la personne, dont bénéficient les actifs non imposables, mais non les retraités dans la même situation. On pourrait également citer la déduction fiscale des cotisations de complémentaires santé, possible pour les actifs mais non pour les retraités…

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Après ce texte sur les retraites viendra un autre sur la perte d'autonomie. Au cours des auditions que j'ai tenues sur le sujet, il m'a semblé que, s'il devait y avoir une augmentation de la CSG pour les retraités imposables, alors que mes interlocuteurs retraités se montraient résolument hostiles à ce qu'elle serve aux retraites, leur réponse était moins péremptoire en ce qui concerne la dépendance. Nous sortons là un peu du sujet, mais il n'empêche : le jour venu, certains songeront à faire payer les retraités pour financer la perte d'autonomie.

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Ce sera bien évidemment, pour notre confédération, l'autre grand dossier de l'année. Nous, retraités, sommes en première ligne pour aider nos parents âgés en situation de perte d'autonomie, y compris financièrement. Nous souhaitons donc fortement qu'on définisse un financement pérenne et acceptable et, à cet égard, il est exact que nous serions plus enclins à consentir un effort fiscal particulier, alors que nous ne voyons rien qui justifierait de consacrer le relèvement de la CSG au redressement des régimes de retraite.

Le rapprochement public-privé est une tâche extrêmement complexe, parce qu'il existe des différences majeures, relatives à plusieurs paramètres : âge de liquidation de la retraite, base de calcul des pensions, taux de cotisation. Le gros avantage d'une réforme systémique, inspirée du modèle suédois de comptes notionnels, serait de faire l'économie de cette course d'obstacles. Si l'on ne s'y résout, il faudra examiner chaque différence une par une.

Selon les statistiques, il existe un écart de trois ans entre les âges de liquidation de la retraite dans le public et dans le privé. On ne voit pas ce qui, du point de vue de la pénibilité, peut justifier une telle différence.

Cependant, la principale source de contestation et de malentendu est la différence dans le mode de calcul des pensions : dans le secteur public, on prend pour référence les six derniers mois ; dans le secteur privé, les vingt-cinq meilleures années. Cela apparaît vraiment injuste, mais les fonctionnaires font valoir que leurs primes ne sont pas prises en compte. Ce point exigera donc un examen approfondi.

Enfin, il ne paraît pas logique que, pour atteindre un même niveau de pension, le taux de cotisation soit inférieur dans le secteur public à ce qu'il est dans le secteur privé.

Je pense qu'il ne faut pas privilégier une piste par rapport à une autre, mais avancer sur tous les fronts en même temps, en commençant par les différences majeures que j'ai citées, qui cristallisent aujourd'hui les crispations. L'important est d'annoncer clairement, dès maintenant, notre volonté de nous orienter vers un système convergent et de décrire les grandes étapes de cette démarche, puis de nous y engager tranquillement, car elle prendra du temps.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Vous semblez relativement optimiste quant à la réforme annoncée et confiant dans le maintien du niveau des retraites. Je côtoie pour ma part des retraités qui se plaignent de la baisse continuelle de leur pouvoir d'achat.

Vous avez néanmoins eu l'honnêteté de reconnaître que le relèvement de l'âge minimum de départ en retraite ne serait pas suffisant. Je crois même pouvoir dire qu'il ne réglera que 50 % des problèmes. Pour l'instant, la seule mesure envisagée par le Gouvernement pour trouver des recettes est de taxer les revenus supérieurs à 11 000 euros. Quelle est votre opinion à ce sujet ? Quels autres types de ressources serait-il, selon vous, possible de mobiliser ?

Peut-être faudra-t-il unifier les différents régimes de retraite en adoptant le système des comptes notionnels, mais il me paraît important de rappeler qu'aujourd'hui, en dépit de toutes les différences existant entre les deux régimes, le niveau des retraites dans le public et dans le privé est sensiblement équivalent, à cent euros près en moyenne.

Quant à la pénibilité, vous décrivez un monde qui ne correspond pas à la réalité. Que faites-vous des travailleurs soumis au régime des 3 x 8 ou exposés en permanence à des produits chimiques ? Le Gouvernement semble vouloir prendre en compte cette pénibilité dans sa réforme, mais vous semblez dire, vous, que ce problème ne doit pas être lié à celui des retraites. Pouvez-vous être plus explicite ?

(M. Georges Colombier remplace M. Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance.)

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Je ne nie pas qu'il faille prendre en compte la pénibilité du travail. Je dis simplement qu'on se trompe de méthode de financement en la mettant à la charge des caisses de retraites.

Encore faut-il parler de la vraie pénibilité parce que, dans le secteur public, il en est qui relèvent du passé, et même du passé lointain – je pense par exemple aux conducteurs de train.

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Je l'admets, mais je pourrais citer d'autres cas. Cela étant, je ne suis pas ici pour faire le procès du secteur public.

Qu'il puisse y avoir des départs anticipés à la retraite quand il y a une vraie pénibilité, je l'admets tout à fait. Cela me paraît même inéluctable. Mais ce « dégagement » anticipé doit être financé, non par les caisses de retraites, mais par une branche de la protection sociale : l'assurance maladie ou l'assurance invalidité. Je le dis en forçant encore le trait : dès l'instant où on commence à confondre les modes de financement, on arrive vite à conclure, faussement, au déséquilibre des systèmes de retraite.

En matière de recettes, les orientations indiquées par le ministre sont loin, en effet, d'être satisfaisantes. Pour sa part, la Confédération française des retraités demande, depuis le début, que l'assiette des cotisations sociales soit élargie à des éléments non encore soumis à prélèvements, comme l'intéressement, la participation ou les stock-options. Mais, les effets de la crise sont tels que je ne suis plus tout à fait certain que cela suffise. Nous devrons inéluctablement recourir à des recettes supplémentaires et, en particulier, trouver une solution pour faire contribuer les titulaires de hauts revenus – y compris de très hauts revenus !

D'une manière générale, la Confédération préconise un financement par des impôts à assiette large et payés par tous, du type CSG ou TVA sociale.

PermalienPhoto de Patrick Roy

Je vous trouve très optimiste, monsieur Bellanger, et tout à fait en phase avec ce qui va nous être annoncé dans quelques heures. Vous vous félicitez, par exemple, du maintien du pouvoir d'achat des retraités. Or, il ne cesse de baisser depuis quelques années. Tous les retraités que je côtoie le déplorent chaque jour.

Vous n'avez dit mot, non plus, d'un problème majeur : l'indigence des toutes petites retraites. Des millions de Français perçoivent des pensions qui ne leur permettent pas de vivre et attendent de la réforme annoncée qu'elle améliore leur situation, qu'elle leur assure enfin le minimum vital. J'ai bien peur pourtant que le projet de loi qui sera présenté demain déçoive leur espoir. Que répondrai-je demain à ces retraités qui me demandent de me faire leur interprète ?

PermalienPhoto de Dominique Dord

Il n'aura toutefois pas échappé à notre collègue Patrick Roy que, même si le montant du minimum vieillesse reste faible, il a été augmenté de 25 % en cinq ans !

Je rappelle aussi que c'est une centaine de milliards d'euros qu'il nous faudrait d'ici à 2050 pour combler le déficit du système de retraite, tandis que le bouclier fiscal ne porte que sur 600 millions ! Tous ces propos sur la contribution du capital sont certes intéressants, mais les montants en cause sont assez symboliques au regard de l'enjeu !

Le Conseil d'orientation des retraites a fourni une piste plus sérieuse lorsqu'il estime que le retour à un taux de chômage de 4,5 % – que, certes, la France n'a pas connu depuis des années – permettrait de basculer dix milliards des cotisations de l'UNEDIC vers l'assurance vieillesse. Partagez-vous ce point de vue ?

Je mentionnerai une autre piste intéressante, mais qui fait débat : une trentaine de milliards d'euros ont été accumulés dans le Fonds de réserve pour les retraites, qu'on continue d'alimenter chaque année à raison de 1,5 milliard, tandis que le Fonds de solidarité vieillesse, dont je préside le conseil de surveillance, perd 4 milliards par an et aura plus de 7 milliards de dettes consolidées. Il semble complètement absurde de continuer ainsi à faire un tas d'un côté et à creuser un trou de l'autre. Il est donc question de ponctionner le fonds de réserve sans attendre 2020 ou, à tout le moins, de cesser de l'alimenter. Quelle est votre position à ce sujet ? Êtes-vous de ceux qui considèrent ce fonds comme une sorte de vache sacrée, ou vous paraît-il, au contraire, de bonne politique de commencer à opérer des prélèvements ?

PermalienPhoto de Élie Aboud

Je vous remercie, monsieur Bellanger, pour votre approche démographique réaliste. J'ai été surpris d'apprendre qu'on vous avait reproché de prendre part au débat sur les retraites, alors que celles-ci reposent sur la solidarité intergénérationnelle.

En matière de pénibilité, le seul élément qui compte me semble être la morbidité, voire la mortalité Des analyses sont en cours et des statistiques seront prochainement publiées. Je ne veux pas entrer dans le débat qui oppose à ce propos fonction publique et secteur privé. Je suis issu de la première et il est clair que ce qui était vrai hier peut ne plus l'être aujourd'hui, tout comme ce qui est vrai aujourd'hui peut ne plus l'être demain. En revanche, je suis un peu gêné de vous entendre dire que la pénibilité ne serait pas du ressort des caisses de retraites et que le législateur n'aurait pas à s'en occuper. Nous n'avons pas le droit de faire reposer la responsabilité sur l'employeur seul, tout en laissant le corps médical décider, en fin de compte, du degré de pénibilité et de l'aménagement des temps de travail.

PermalienPhoto de Paul Jeanneteau

Je suis heureux que votre confédération soit entendue par notre commission ce matin, car elle est représentative de nombreux retraités.

Vous avez dénoncé la complexité de notre système de retraite actuel, avec ses 31 régimes de base et des 31 régimes complémentaires, et vous avez insisté sur la nécessité d'amorcer un mouvement de convergence. Or, pour que les dispositions proposées par le Gouvernement apparaissent justes, il faut qu'il soit tenu compte de la pénibilité du travail. On peut le faire soit de manière individuelle, soit de façon collective, c'est-à-dire par branche professionnelle. Ne risque-t-on pas, dans ce dernier cas, de créer un 32ème ou un 33ème régime spécial ? J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Poursuivant la réflexion sur la pénibilité, je vais me faire l'avocate des employeurs. Dans certaines très petites entreprises, on aura beau améliorer les conditions de travail et les conditions de sécurité, il restera toujours des métiers pénibles : ainsi celui de couvreur. Si ce n'est pas la branche retraite qui doit prendre en charge la pénibilité, à quelle autre confier cette mission ? À la branche accidents du travail-maladies professionnelles ? Par ailleurs, êtes-vous pour une prise en compte de la pénibilité à la carte, comme le propose M. Woerth, ou par branche professionnelle ?

Vous avez expliqué que le relèvement de l'âge légal de départ à la retraite entraînerait automatiquement une augmentation de l'employabilité des seniors. Or, nous avons réussi l'exploit, dans notre pays, d'avoir une très faible employabilité à la fois des seniors et des moins de 25 ans. Cela ne pose-t-il pas problème ?

Je vous ferai observer, par ailleurs, qu'un salarié ne peut déduire de ses impôts sa cotisation à une mutuelle, comme vous avez semblé le dire.

Même si le pouvoir d'achat des retraités se maintient plus ou moins, il est un élément qui contribue à le réduire : ne pouvant plus bénéficier de contrats de groupe, ils sont obligés de payer, au titre du régime complémentaire, des cotisations très élevées, surtout quand ils commencent à développer des polypathologies.

Dans la situation économique, sociale et financière actuelle, je crains fort que les parcours dans le privé ne soient de plus en plus chaotiques, avec des périodes de chômage très longues. Or, pour avoir travaillé dans le privé, je sais à quel point le chômage « use » un individu. La convergence public-privé montrera là toute son importance.

PermalienPhoto de Simon Renucci

J'ai été très heureux d'apprendre que les retraités n'étaient pas opposés au fait de participer au financement de la perte d'autonomie.

Comme l'a souligné Elie Aboud, le premier élément à considérer en matière de pénibilité est la morbidité, car elle détermine non seulement le départ en retraite mais aussi et surtout le nombre d'années de retraite bien méritée dont on peut espérer profiter.

En France, nous aimons critiquer les systèmes en place. Quel est, selon vous, le système idéal ? Que faut-il faire pour conserver le modèle relativement satisfaisant qui est le nôtre ?

PermalienPhoto de Fernand Siré

Les retraités français qui s'expatrient dans des pays comme le Maroc ou la Tunisie, parce que la vie y est moins chère, ne participent pas à l'économie du pays qui leur verse leur retraite. Ne peut-on envisager de taxer ceux qui passent plus de huit ou neuf mois à l'étranger ?

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

La Confédération française des retraités tient à jour une courbe des retraites nettes depuis 1992. L'érosion du niveau de vie est certaine et l'alourdissement des prélèvements fiscaux et sociaux, via la CSG notamment, y a contribué. On constate certes, depuis 2001 à peu près, une certaine stabilisation, liée à l'indexation sur les prix. Il y a quand même des « sauts de puce » par-ci par-là, dus au fait que cette indexation intervient avec retard. Par exemple, quand l'inflation remonte, comme cela a été le cas en 2008, la courbe s'infléchit. À l'inverse, en 2009, les revalorisations ayant été plutôt supérieures à l'inflation, la courbe se redresse… pour le moment : en 2010, la tendance risque de s'inverser ! En tout état de cause, sur l'ensemble de la période, il y a bel et bien une baisse des retraites nettes.

S'agissant du financement, les recettes générées par l'élargissement de l'assiette pourraient être plus importantes que vous ne semblez le penser : en 2007, faisant l'inventaire des niches sociales, la Cour des comptes relevait que les employeurs tendaient à privilégier certains modes de rémunération complémentaire qui présentaient pour eux l'avantage de ne pas être soumis à cotisations sociales, et elle appelait à corriger cela. Néanmoins, nous sommes bien conscients que ces recettes seront insuffisantes et qu'il faudra donc trouver des ressources complémentaires : j'ai suggéré de les chercher du côté de la CSG ou de la TVA sociale.

Pendant longtemps, la Confédération française des retraités a manifesté beaucoup d'intérêt pour le Fonds de réserve pour les retraites, mais il faut reconnaître qu'aujourd'hui, il n'est plus à la hauteur de l'enjeu. Destiné à lisser les effets du papy boom, il était prévu qu'il atteigne 150 à 200 milliards d'euros en 2020. Au niveau où il est aujourd'hui – 35 milliards –, largement écrêté par la crise financière, il est manifeste qu'il n'a plus la taille critique pour remplir la mission qui lui était assignée et la question se pose donc de savoir s'il faut le maintenir. Si l'on opte pour sa liquidation, il faut le faire en tout cas à un rythme qui n'ajoute pas aux dégâts déjà provoqués par la crise financière. Ensuite, il faudra veiller très scrupuleusement à l'emploi de ces fonds. Il n'est pas question de les verser dans un tonneau des Danaïdes en les faisant servir au comblement des déficits publics : ils doivent clairement être affectés aux seules retraites.

La pénibilité est de la responsabilité de l'employeur, ai-je dit, ce qui semble avoir été mal compris. Je m'explique donc. Dans la mesure où c'est lui qui organise le travail, c'est à l'employeur qu'il appartient – dans la mesure du possible, bien évidemment – de prendre des dispositions pour alléger la pénibilité ou pour aménager les fins de carrière. Cela étant, je reconnais que les très petites entreprises n'ont pas toujours cette possibilité. D'autre part, je ne voulais pas signifier que l'État devait se désintéresser du problème : c'est notamment à lui d'organiser le financement des départs anticipés pour cause de pénibilité. Celui-ci ne doit en aucun cas être supporté par les caisses de retraites. Doit-il être pris en charge par la branche accidents du travail-maladies professionnelles ? Ma réponse est, sans ambages, positive.

À propos des seniors, vous avez parlé d'employabilité et moi d'emploi. Ce n'est pas tout à fait la même chose. Mon idée est que le seul fait de relever l'âge légal de départ en retraite va améliorer mécaniquement le taux d'emploi des seniors parce que, même si elles continuent de recourir à la cessation anticipée d'activité, les entreprises seront obligées de les « dégager » plus tardivement.

Que la France ait le triste privilège d'avoir l'un des taux d'emploi les plus bas d'Europe à la fois pour les seniors et pour les jeunes démontre très clairement que le Gouvernement a commis une erreur historique à la fin des années 1970 en mettant en place les préretraites – les conventions Fonds national pour l'emploi (FNE). Nous ne sommes toujours pas sortis de cette ornière : ces conventions ont disparu, mais les entreprises ont pris le relais. On n'a pas reconnu qu'il n'y avait pas transfert des emplois des seniors vers les jeunes – ou, si on l'a reconnu, on n'a pas pris les mesures correctrices qui s'imposaient. L'idée est séduisante intellectuellement, mais ça ne fonctionne pas !

Les complémentaires santé ne donnent pas lieu à déduction fiscale pour les actifs, avez-vous dit. Si. Ce n'est pas vrai pour tous les actifs, j'en conviens : il y faut un accord collectif d'entreprise. C'est donc le cas dans les grandes entreprises, beaucoup moins dans les petites entreprises.

PermalienMarie Bellanger, président de la Confédération française des retraités, CFR

Vous avez raison, madame. Et, pour être tout à fait complet, les fonctionnaires non plus ne bénéficient pas de cette déduction quand ils sont en activité. Sur ce plan, la discrimination n'est donc pas strictement entre retraités et actifs, mais il n'empêche que les retraités sont fortement pénalisés. C'est que, quand on arrive à l'âge de la retraite, on voit sa cotisation de mutuelle brusquement augmenter. La loi encadre certes cette augmentation, mais elle la tolère dans la limite de 50 %, ce qui n'est pas rien. L'abondement de l'entreprise disparaît au même moment. On perd également la déduction fiscale que l'on avait si l'on était dans une grande entreprise. On subit donc une sorte de triple peine, sans compter que ces cotisations, dans un certain nombre de mutuelles, augmentent à mesure que l'on passe d'une tranche d'âge à une autre…

Quel serait le système idéal de retraite ? Malgré tous ses défauts – complexité, manque d'équité, etc. –, le système français a tout de même quelques côtés extrêmement positifs. D'abord, même si trop de gens ont de trop petites pensions, il assure un certain niveau de vie, assez confortable, quand on le compare avec ce qui prévaut ailleurs. La France est l'un des pays les plus généreux avec ses retraités : elle y consacre 13,5 % de son produit intérieur brut, ce qui la met à la troisième place en Europe, après l'Italie et l'Autriche.

Ensuite, le fait que le système français soit fondé sur la répartition est aussi un atout majeur. Cela protège les retraités actuels, mais les futurs retraités aussi, contre les crises qui, dans les pays où la retraite repose davantage sur la capitalisation, ont si brutalement fait chuter le niveau des pensions.

Quant au problème actuel, qui est celui de son déséquilibre financier, il résulte en partie de la crise, mais aussi, en partie, de ce que l'on n'a pas pris à temps – alors qu'on aurait pu le faire – les mesures correctrices qui s'imposaient. On savait depuis longtemps que le papy boom allait avoir des effets dévastateurs au début des années 2000 – on le savait notamment en 1982, quand l'âge de la retraite a été abaissé de cinq ans. Et, depuis, on n'a pris de mesures correctrices que tardives et partielles. Il est clair maintenant qu'il faut redresser la barre, et de façon pérenne.

Ces éléments étant rappelés, je dirai que le système idéal est un système qui assure une équité parfaite et, surtout, qui évite toute suspicion entre les différentes catégories de retraités. Pour la Confédération française des retraités, il s'agirait donc plutôt d'un système universel, du type suédois. Compte notionnel ou système par points ? Le premier système a, à notre sens, deux vertus. D'abord, il laisse une marge de liberté au salarié, qui peut choisir, dans une certaine tranche, l'âge de son départ à la retraite. Ensuite, c'est un système qui incite à prolonger son activité : chaque année travaillée supplémentaire augmente le capital notionnel et réduit en même temps la durée de la retraite théorique, puisque celle-ci est calculée sur la base de l'espérance de vie de la génération à laquelle vous appartenez. De ce fait, vous accroissez doublement votre rente. Il y a donc une sorte de régulation automatique, qui incite les salariés à travailler plus longtemps, sans leur en faire une obligation. Mais, le fait d'être universel est la première vertu de ce système.

Pour ce qui est des retraités expatriés, je partage assez votre vision des choses. Je trouve regrettable de voir des retraites versées sans qu'aucun effort contributif ne soit demandé aux retraités qui vont couler des jours heureux au Maroc ou ailleurs. Je dirai même que le système français pousse sa grande générosité un peu trop loin. Cela peut paraître un détail mais est-il bien normal que le coût de l'expédition des fonds soit à la charge des caisses de retraites ? Je pense effectivement comme vous qu'il ne serait pas déraisonnable de prévoir quelque chose comme une retenue à la source.

La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.