Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean Labé

Réunion du 28 avril 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean Labé, président de la Fédération nationale des cinémas français, FNCF :

Je me réjouis de l'intérêt que la représentation nationale porte au cinéma en général, et à la salle de cinéma en particulier. Ce n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe. En France, le cinéma reste très vivant. D'une grande richesse et d'une grande diversité, il continue à s'exporter, contribuant ainsi au rayonnement de la culture française.

Ce dynamisme s'explique par une longue tradition d'accompagnement : depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs ont adopté une politique favorable à la production et à l'exploitation cinématographiques, avec la création du compte de soutien, l'encadrement des relations entre cinéma et télévision, les obligations de production et tout ce qui a entouré le débat sur l'exception culturelle. Dans notre pays, le cinéma est reconnu comme un art, et c'est ce qui justifie les mesures qui sont prises en sa faveur.

Le cinéma est par ailleurs la première pratique culturelle des Français, du moins lorsqu'ils sortent de chez eux. Le nombre annuel d'entrées est actuellement de 200 millions, alors qu'il était de 116 millions en 1992. A l'époque, pourtant, beaucoup nous prédisaient que les évolutions techniques permettant de voir les films à domicile allaient faire disparaître la salle de cinéma…

Si cette prédiction ne s'est pas réalisée, c'est parce que les exploitants ont opéré une véritable révolution et consenti des investissements très importants. Ce fut d'abord la création des multiplexes. Que n'a-t-on pas entendu à ce sujet ! On prétendait qu'ils seraient les porte-avions du cinéma américain, mais on s'aperçoit quinze ans plus tard que le cinéma français est celui qui a le plus profité de la création de ces nouveaux équipements. Plus il y a de salles, en effet, plus il y a de films, et plus les « petits » films, les plus fragiles, sont diffusés. Le grand nombre de spectateurs est donc lié aux investissements consentis – près de 2 milliards d'euros en quinze ans, ce qui est énorme pour un secteur comme le nôtre.

Comme l'a rappelé Mme Durupty, nous vivons un paradoxe : les Français nous plébiscitent, les entrées sont nombreuses, mais le secteur reste pourtant fragile. Il existe en effet deux types de salles : celles qui ne se sont pas suffisamment modernisées et sont en conséquence délaissées par le public, et celles qui au contraire ont investi, mais dont la rentabilité n'est pas garantie, dans la mesure où nous n'avons pas fait supporter aux spectateurs le coût de ces investissements. Le prix de la place de cinéma a augmenté à un rythme inférieur à l'inflation, et bien inférieur encore à l'augmentation du coût de la construction. Or les charges de toute nature tendent à augmenter : la climatisation des salles ou l'informatisation des caisses entraînent des frais supplémentaires. S'y ajoutent les dépenses bien normales effectuées pour rendre les salles accessibles aux personnes à mobilité réduite ou souffrant d'autres handicaps. Tout cela pèse sur la rentabilité des salles.

Toutes les catégories d'exploitation sont touchées, mais selon l'adage, quand les gros maigrissent, les maigres meurent : la rentabilité des grandes salles baisse, et la situation de la petite et moyenne exploitations est devenue critique. Nous avons donc cherché à alerter les journalistes, les parlementaires et le ministère sur la nécessité de prendre rapidement des mesures. Les élus sont généralement heureux de la présence d'un cinéma dans leur commune ou dans la communauté de communes, et la salle de cinéma est un lieu reconnu de mixité des publics ; mais malgré cela, les mesures prises en faveur de la petite et moyenne exploitations restent insuffisantes. Nous allons donc continuer à travailler avec le Centre national du cinéma sur ce sujet.

En ce qui concerne le numérique, la proposition de loi qui a été déposée est extrêmement importante, et j'en remercie son auteur. Le numérique représente un défi énorme pour l'ensemble du secteur, dont il est indispensable que les équilibres ne soient pas remis en cause par ce bouleversement : celui-ci doit rester uniquement technologique. Notre cauchemar serait que les écrans de toutes les salles de cinéma de France se transforment en grands postes de télévision diffusant les mêmes films, et d'abord ceux que le public demande le plus, c'est-à-dire les blockbusters – ou les cent films qu'évoquait Mme Durupty. Un tel affaiblissement de la diversité serait une perte pour tout le monde.

Cette proposition de loi a pour grand mérite de viser à instituer une obligation de contribution des distributeurs, via une « virtual print fee » (VPF) ou frais de copie virtuelle, plus communément appelée « contribution numérique » en français. A l'heure actuelle, une grande entreprise comme EuroPalaces est en train de négocier directement avec les majors américaines et avec les distributeurs français un système de contribution numérique directe, mais il est clair qu'on ne peut imaginer de telles négociations pour l'ensemble des salles françaises, notamment les plus petites. Celles-ci ont la possibilité de passer par un tiers opérateur, se chargeant de la négociation des contributions et de leur collecte au nom de l'exploitant, dans le cadre d'un contrat lui conférant soit un simple rôle de collecteur de VPF, soit également un rôle d'investisseur. Mais beaucoup de professionnels n'ont pas envie d'utiliser ce système : ils considèrent que le passage au numérique doit représenter une économie, laquelle est évidemment réduite par le recours à un tiers opérateur, puisque celui-ci doit se rémunérer. Ils privilégient donc les rapports directs entre exploitants et distributeurs. Mais si la loi n'impose pas un système de VPF, les plus gros distributeurs américains seront peu enclins à faire bénéficier les petites salles françaises de leur contribution… D'où l'importance de cette proposition de loi, à laquelle nous souhaitons néanmoins que certaines améliorations soient apportées.

Il est tout aussi important qu'elle soit adoptée rapidement car les grandes entreprises ont commencé leur mutation. Chez EuroPalaces, de nombreuses salles sont équipées. UGC avait déclaré « Nous serons les derniers » mais a également commencé. Il est vrai que le basculement vers le numérique est en quelque sorte « pollué » par l'arrivée de la 3D. Depuis Avatar, qui à cet égard a fait figure de déclencheur, le cinéma en trois dimensions est en effet à la mode. Il joue un rôle incontestable dans l'accroissement du nombre d'entrées que l'on peut observer en ce moment. En tout cas, dès lors que tous les grands circuits ont entrepris de passer au numérique, il faut absolument aider la petite et moyenne exploitations à effectuer elle aussi cette transition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion