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Intervention de Jean Leonetti

Réunion du 16 février 2010 à 9h30
Organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargé des sports, mes chers collègues, depuis quelques années, une « démocratie participative » s'est mise en place, apportant une aide utile aux décisions de la « démocratie représentative » des élus, issue des urnes. Si cette forme de dialogue permanent entre les citoyens et les décideurs est un succès reconnu dans nos villes et nos territoires, le débat au niveau national a du mal à se dérouler dans la sérénité pour apporter une contribution populaire aux décisions du législateur. La question du débat public et de son organisation reste posée dans notre pays.

Les débats sur les organismes génétiquement modifiés, et plus récemment sur les nanotechnologies, n'ont pas évité des tensions, parfois violentes, s'appuyant sur des points de vue apparemment inconciliables.

Or une démocratie moderne, comme le soulignait le Président de la République dans son discours au Congrès de Versailles, n'est pas une société dans laquelle tout le monde est d'accord sur tout, mais où chacun est capable d'écouter l'autre et de le respecter. Il est donc nécessaire de faire l'analyse de ces échecs et de proposer des solutions concrètes pour permettre à la fois, sur des sujets souvent complexes, l'information et la participation utile de l'ensemble de nos concitoyens.

Certains considèrent, à tort, que le débat public est inutile. Ils pensent que le politique peut solliciter l'avis autorisé de groupes d'experts et s'appuyer sur des sondages d'opinion, pour avoir le reflet de la volonté populaire. Ils oublient que le diagnostic de l'expert ne vaut pas la décision politique et ne peut en aucun cas se substituer à elle. Ils semblent également ignorer que, dans de nombreux domaines, les avis des spécialistes sont contradictoires et leurs conclusions démenties dans les faits – nous l'avons constaté récemment à propos de la crise économique. L'expertise apparaît bien plus comme une hypothèse que comme une certitude, et ne constitue évidemment pas le guide infaillible à la prise de décision politique, qui nécessite courage, détermination et conviction.

Le sondage d'opinion ne traduit que l'avis de l'instant d'une population, certes représentative mais sollicitée pour répondre le plus souvent de manière binaire ou simpliste à une question complexe dans un contexte de réaction à un événement plutôt que de réflexion approfondie.

Enfin, l'éclairage médiatique d'une situation individuelle douloureuse ou d'un événement dramatique pousse le politique, dans un contexte émotionnel, à légiférer quelquefois en urgence dans un contexte particulier et pour un cas particulier, oubliant le caractère normatif et universel de la loi, qui doit s'appliquer à tous de manière juste et équitable. Des groupes de pression, même minoritaires, peuvent parfois aboutir à donner une vision déformée de la volonté populaire, pour peu qu'ils s'expriment dans les médias avec habileté. Les problèmes de société risquent d'être toujours débattus dans un contexte médiatique et passionné si l'on ne met pas en place une organisation ouverte, apaisée et moderne du débat public.

L'information de la population doit se faire de manière claire, honnête – comme le disait récemment en commission le président du Comité consultatif national d'éthique – et intelligible par tous. Elle doit être également accessible au plus grand nombre, car aucune décision ne peut se prendre sans une information préalable qui aborde la réalité dans sa complexité et sa diversité.

Le débat public devrait s'organiser de manière permanente, et non ponctuelle, afin d'éviter les coups de projecteur déformants parfois générateurs de tension et de simplification.

Enfin, le débat public doit se faire avec des citoyens représentatifs de l'ensemble de la population, qui, au travers de conférences de consensus peuvent exprimer des avis éclairés, réfléchis et convergents, sinon consensuels. Cette méthode ne s'accommode pas d'une législation d'urgence, ni de décisions hâtives. Elle oblige à la modestie, au dialogue et au respect, qui sont les ingrédients indispensables à des décisions équilibrées sur des sujets qui engagent notre avenir commun. Cette démarche nécessite du temps pour écouter l'autre, se convaincre les uns les autres et passer du doute collectif à la décision motivée et équilibrée.

De nombreux dispositifs en France comme en Europe ont été mis en place. La commission du débat public traite déjà des problèmes d'environnement en France, alors qu'en Allemagne, des jurys citoyens émettent des avis après une formation. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne, en Australie ou au Japon, des modèles similaires se sont mis en place. Le Danemark fait figure de modèle avec les « conférences de consensus » et sont une expérience à suivre.

Nous proposons donc que dans les domaines de l'éthique et des questions de société, toute réforme, qu'elle s'opère par voie législative ou par voie réglementaire, puisse avoir recours à des états généraux organisés sur ce modèle.

Nous avons souhaité que le Comité consultatif national d'éthique soit à l'initiative de la démarche et qu'il soit ainsi le garant de l'impartialité des débats.

Il vous est proposé également que des conférences de consensus soient organisées à partir de citoyens tirés au sort, garantissant la représentativité de la population, laquelle aura accès à une information neutre et équilibrée sur le sujet en débat.

Nous nous en remettrons au Gouvernement concernant l'article 3 en sachant que les sommes engagées pour l'organisation de ces états généraux ne sont pas excessives au regard des services rendus.

Certains pensent que le débat public est dangereux et craignent de voir le législateur dépossédé de ses responsabilités. C'est pourquoi un amendement de la majorité permettra au législateur de recevoir les comptes rendus de ces débats par le biais de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques – l'OPECST– et sa décision restera libre et éclairée. Le législateur a plus à gagner d'un débat populaire équilibré, apaisé et moderne que de coups de projecteurs médiatiques sur des situations ponctuelles l'amenant à légiférer sous la pression de l'urgence, des sondages d'opinion, des groupes de pression ou des experts qui déclarent détenir la vérité alors que, le plus souvent, ils expliquent les événements lorsque ceux-ci se sont déjà produits.

L'expérience des états généraux de la bioéthique voulue par le Président de la République a été intéressante. Ils ont montré qu'en utilisant les espaces éthiques régionaux existants, qui vont, dans peu de temps, être confortés par décret, on pouvait faire vivre ce débat sur l'ensemble du territoire. La création d'un site internet dédié, comportant un volet informatif et un volet participatif, a constitué un outil largement utilisé. Participer sans être informé, c'est répondre à une question qui n'a pas été posée, et y répondre de manière erronée. Enfin et surtout, la création de conférences de consensus à partir de panels de citoyens tirés au sort et bénéficiant d'une information a permis de recueillir l'avis de Mme et M. « Tout le monde » sur des questions jusque-là réservées aux spécialistes – comme l'embryon, la greffe d'organes, les mères porteuses ou la génétique – a été, comme le disait Axel Kahn, décapant et rafraîchissant. Que des citoyens ordinaires – et ce terme n'a rien de péjoratif – discutent avec pertinence et cohérence de sujets qui engagent notre avenir commun nous est apparu comme un élément rassurant au regard de références communes – dont on dit qu'elles sont détruites – comme la solidarité, la dignité de la personne humaine, la non marchandisation du corps ou l'anonymat du don : bref, au regard des valeurs républicaines qui, peu ou prou et en dépit les imperfections, sont enseignées dans les écoles de la République.

Certes, cette expérience est perfectible – Alain Claeys me l'a amicalement fait remarquer. Cela étant, elle peut néanmoins servir de socle de propositions.

Cette proposition de la mission d'information sur les lois de bioéthique n'a fait l'objet d'aucun avis contraire de la part de nos collègues sur la nécessité d'un débat public systématique et indépendant. La proposition de loi qui vous est proposée aujourd'hui nous permet de franchir une nouvelle étape et va dans le sens de cette démocratie moderne, qui, sur des sujets qui dépassent largement les clivages de la droite et de la gauche, devraient rassembler l'ensemble des citoyens, au moins sur la méthode à adopter pour permettre au législateur d'appuyer ses décisions sur un débat public irréprochable, apaisé, serein et moderne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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