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Intervention de Martin Hirsch

Réunion du 23 septembre 2009 à 11h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse :

Je vais tenter de vous présenter de manière synthétique les méthodes, les orientations et les objectifs de notre politique de la jeunesse et de celle que nous menons en direction du monde associatif.

La politique de la jeunesse, tout d'abord.

Si la France se situe à un rang moyen ou bon parmi les pays de l'OCDE, elle se place parmi les trois derniers, avec la Corée et la Hongrie, pour ce qui est du taux d'activité des jeunes de 18 à 25 ans, très inférieur à celui de la population générale. Ce phénomène, qui s'observe depuis des années, est inacceptable. L'un de nos objectifs est donc de ramener la France dans le peloton de tête des pays de l'OCDE.

Sans vouloir noircir le tableau, je rappelle aussi que le taux de pauvreté, qui est de 12 % pour l'ensemble de la population, est de 18 % pour les moins de 25 ans, soit 50 % de plus. Les situations d'échec ou de sortie du système scolaire sans qualification représentent chaque année 15 % d'une classe d'âge. Cette vulnérabilité des jeunes, bien antérieure à la crise actuelle, est particulièrement sensible avec elle, et cela d'autant plus que nous nous trouvons à un moment crucial de l'évolution démographique. Dès avant la crise, les entreprises me faisaient part de leur crainte de perdre des marchés par manque de main-d'oeuvre et ressentaient comme un gâchis la mauvaise intégration des jeunes dans la vie active. Avec chaque année 100 000 départs de plus à la retraite et 80 000 arrivées de moins, le marché du travail devrait donc pouvoir intégrer les jeunes, à condition toutefois que nous résolvions les problèmes qui se posent notamment en matière d'éducation, d'accompagnement et de formation.

Pour pouvoir avancer, il nous a paru nécessaire d'impliquer tous les acteurs concernés par la problématique de la jeunesse. Nous les avons donc réunis, entre mars et juillet 2009, au sein de la commission de concertation sur la jeunesse. Deux parlementaires de la majorité et deux de l'opposition siégeant ès qualités et désignés par le Parlement, ainsi que d'autres qui étaient présents au titre de leur rôle dans les missions locales ont ainsi participé très activement à ses travaux. Les organisations patronales et syndicales, les collectivités territoriales et l'ensemble des réseaux qui s'occupent des jeunes étaient représentés, ainsi que les jeunes eux-mêmes.

L'exercice s'est révélé très intéressant. Alors qu'il est d'usage, lors de telles réunions, que l'absent – qu'il s'agisse de l'Éducation nationale, de Pôle emploi ou de l'Assemblée des régions de France – se voit attribuer tous les torts par les autres, nous avons cherché à faire en sorte que tous se sentent collectivement responsables de la situation des jeunes et admettent l'idée d'agir ensemble. Nous avons décidé de ne négliger aucune des dimensions du problème – formation, orientation, ressources, citoyenneté, emploi, santé, logement – pour imaginer une politique de la jeunesse susceptible d'apporter des améliorations.

Les propositions du Livre vert qui découlent de ce travail obéissent à une logique.

La première idée, c'est qu'il est difficile de rattraper une situation d'échec qui commence dès l'enfance. Or, de nombreux jeunes de 12 à 15 ans sont désignés comme mauvais en tout. Nous sommes partis, quant à nous, du postulat humaniste, auquel nous croyons, que nul ne peut être nul en tout et qu'un système qui détecte tant de nuls est peut-être lui-même nul. Nous en avons conclu que l'on pourrait ajouter aux missions du système éducatif celle de détecter les compétences qui ne sont pas détectables par le système classique. Je tiens beaucoup à cette idée, qui permet de tirer un fil très important. Plutôt que de rejeter dans les filières d'échec un élève de 13 ou 14 ans qui n'est pas très à l'aise dans le système scolaire, mieux vaudrait tirer parti de ses capacités à s'impliquer dans une activité civique, associative, artistique ou sportive, voire dans une matière scolaire moins prestigieuse que d'autres. Ces aptitudes détectées pourraient figurer sur un « livret de compétences » et faciliter les décisions d'orientation en permettant au jeune de développer ses capacités et de faire en sorte qu'elles soient rentables pour son avenir. Nous travaillons sur cette question avec le ministre de l'éducation nationale, à partir de programmes qui se mettent en place dans les établissements et pourraient devenir un élément important du système.

La deuxième barrière est celle, à 16 ans, de la fin de la scolarité obligatoire. Il en résulte un taux élevé de jeunes de 16 à 18 ans laissés pour compte, abandonnés, sans contrat ni contrainte. Nous proposons de prolonger l'obligation scolaire stricte par une obligation de formation entre 16 et 18 ans. Il ne s'agirait pas de prolonger des difficultés scolaires qui durent parfois déjà depuis plusieurs années, mais de proposer diverses formules, parmi lesquelles l'entrée dans une filière d'alternance ou dans la vie professionnelle, afin qu'aucun jeune de 16 à 18 ans ne soit livré à lui-même. Cette obligation d'intégration dans un système formateur jusqu'à 18 ans devrait peser, de façon symétrique, sur le jeune et sur les institutions publiques.

Cela passe par une politique de prévention et de lutte contre le décrochage, laquelle suppose l'intervention de divers acteurs. Un appel à projets a été lancé pour soutenir les « plateformes anti-décrochage » mises en place sur certains territoires ou pour en créer de nouvelles. Le Fonds d'expérimentation a permis de soutenir onze de ces plateformes régionales de prévention du décrochage, selon des modalités diverses. Dans la région Centre, par exemple, on a voulu s'assurer que tous les jeunes sortis des fichiers seraient reçus en septembre ou octobre, tandis que, dans la région Nord-Pas-de-Calais, on a choisi d'adopter une démarche exhaustive sur deux territoires. Ces projets, que nous laissons prospérer, pourraient être généralisés à terme si nous sommes suivis dans cette idée.

Il importe cependant d'assurer le « chaînage » des dispositifs. Celui qui sort du système, avec ou sans diplôme, ne doit pas se trouver en situation d'errance. Les statistiques ont montré que 3 % seulement des jeunes qui s'adressent aux missions locales ont été orientés vers celles-ci par le système, tandis que tous les autres y viennent par hasard, par bouche-à-oreille ou envoyés par Pôle emploi lorsqu'ils y sont déjà inscrits. Un jeune peut donc passer plusieurs mois ou années sans aucun suivi. Autant qu'à l'organisation du système, cette situation tient aussi à l'« année de carence » : pendant l'année qui suit la sortie du système scolaire, l'éducation nationale a normalement une mission de suivi, qu'elle ne peut pas assurer, et que les missions locales refusent d'assumer. Or, un an perdu, ce peut être une vie fichue. Nous avons donc préconisé de mieux « chaîner » les responsabilités : une institution ne doit pas laisser partir un jeune sans savoir par qui il va être suivi.

Les missions locales, créées voilà vingt-cinq ans, pourraient donc recevoir une responsabilité transversale concernant l'ensemble des jeunes et une mission plus spécifique en direction des jeunes en difficulté. Les conventionnements, les objectifs, les modes de financement et les moyens cohérents avec ces responsabilités doivent être assurés aux missions locales – qui, je le rappelle, emploient 20 000 personnes, quand Pôle emploi en emploie 40 000 – pour leur permettre de s'en acquitter. Encore faut-il assurer aussi, en matière d'entrée dans la vie active, de ressources et de soutien, des réponses adaptées aux différentes situations que connaissent les jeunes.

Le rapprochement entre le monde de la formation et celui de l'entreprise a été acté et ne fait plus l'objet, dans son principe du moins, de débats idéologiques.

La première manière de réaliser ce rapprochement est de développer l'alternance et tous les acteurs conviennent en effet que le doublement du nombre de jeunes en apprentissage est un objectif nécessaire. Il faudra plusieurs années pour l'atteindre, il supposera la réforme de la taxe d'apprentissage et l'ouverture d'autres formations à l'apprentissage. Il faudra également faire en sorte que les apprentis n'aient pas moins de droits que les étudiants ; ils devront par exemple avoir accès au Centre régionale des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS), disposer d'aides au logement adaptées à leur situation et voir régler les problèmes de mobilité. Des formules doivent être trouvées pour assurer une meilleure adéquation entre les besoins des entreprises et ceux des jeunes ; les entreprises se plaignant de ne pas trouver de main d'oeuvre formée et les jeunes hésitant, de leur côté, à entrer dans une filière de formation qui ne leur assure pas de trouver un emploi, notre commission a préconisé une solution originale consistant à transposer à l'entreprise un modèle que l'État applique depuis un siècle : une entreprise pourrait financer tout ou partie de la période de formation d'un jeune, contre l'engagement que prendrait celui-ci de travailler dans cette entreprise, pour une durée de trois ans par exemple, à charge pour le jeune formé ou pour son nouvel employeur de rembourser le coût de la formation s'il quitte l'entreprise avant la fin de la durée prévue. Cela peut s'appliquer aussi bien à une grande entreprise du secteur nucléaire qui cherche des chaudronniers qu'à une maison de retraite qui forme une aide soignante en alternance et souhaite éviter qu'elle parte immédiatement prendre un emploi dans un autre établissement. Ce mécanisme, qui supposerait l'adoption d'une disposition législative, a recueilli un large consensus, comme du reste bon nombre des mesures que nous avons élaborées sur ces questions.

Nous avons également proposé le renforcement de plusieurs dispositifs afin de mieux répondre à la diversité des besoins des jeunes. Pour les jeunes en difficulté, qui ont décroché, il est proposé de renforcer le dispositif du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) qui a succédé au Trajet d'accès à l'emploi (TRACE). Le dispositif du CIVIS est considéré par l'ensemble des acteurs comme un assez bon système, mais auquel ne recourent pas assez de jeunes et qui ne dispose pas de moyens suffisants pour chacun d'entre eux.

La commission de concertation a par ailleurs proposé un alignement de la durée des bourses sur celle de l'année universitaire, soit dix mois.

Pour les jeunes entrés dans la vie active, l'instauration du revenu de solidarité active (RSA) a pour effet de permettre à un jeune salarié de 25 ans et demi de bénéficier d'un complément de revenu auquel ne pourrait pas prétendre, dans la même entreprise, un salarié de 24 ans et demi qui aurait déjà plusieurs années d'expérience professionnelle. Il s'agit là d'un problème d'équité et cette discrimination nous a été fortement reprochée par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).

En outre, des jeunes de 24 ans qui ont travaillé dès 17 ou 18 ans, puis ont été licenciés, peuvent n'avoir plus aucun revenu au terme de leur indemnité de chômage. Le Livre vert propose donc d'étudier l'application du mécanisme du RSA à des jeunes déjà actifs. En effet, si personne ne veut qu'un jeune de 18 ans sorte de l'école pour frapper à la porte de la caisse d'allocations familiales ou du conseil général, personne ne veut non plus qu'un jeune de 24 ans puisse se trouver sans aucune ressource. Bien qu'un député m'ait comparé ce matin, lorsque j'évoquais cette question, à une « gangrène qui contamine », il me semble que l'ensemble des organisations syndicales et patronales, ainsi que les parlementaires de la majorité et de l'opposition qui participaient à ces travaux, étaient prêts à considérer que ce dispositif était une solution.

Une question sous-jacente, plus générale, est celle de savoir comment répondre à l'aspiration des jeunes à l'autonomie. C'est une question complexe, car la jeunesse est une période de transition et les jeunes ont à la fois besoin de voler de leurs propres ailes et de ne pas voir se couper brutalement le lien avec le soutien familial, qui peut être notamment affectif, pédagogique ou financier. L'une des réponses pourrait consister à faire basculer vers les jeunes certaines aides actuellement octroyées à des familles au titre de leurs enfants de plus de 18 ans. Sans prétendre trancher cette question, le Livre vert propose la mise en place de programmes expérimentaux, prévoyant par exemple une dotation ou un revenu d'autonomie, afin d'en examiner les effets en termes de qualification et d'emploi.

Nous avons également préconisé la création rapide d'un service civique volontaire, qui pourrait être mis en oeuvre de diverses manières et aurait vocation à concerner une grande partie de chaque classe d'âge. On pourrait d'ailleurs également envisager, à l'instar des Américains, de mettre en place un service civique senior, pour lequel il semble qu'il existe une demande.

En ce qui concerne l'autonomie, je souligne que les courbes « en V » montrant la faille qui existe entre les classes les plus modestes, qui peuvent être aidées, et les classes les plus aisées, qui peuvent l'être aussi, sont particulièrement applicables aux jeunes : les jeunes dont les parents ont des revenus de l'ordre de 3 000 euros par mois sont les moins aidés. Il serait donc préférable de mettre en place un système plus progressif.

J'en viens à la vie associative.

Si les associations sont très impliquées dans les questions liées à la jeunesse, par exemple pour ce qui concerne l'éducation populaire ou le service civique, le champ de la vie associative est bien sûr plus vaste. Après une première conférence tenue en 2006 et dont plusieurs d'entre vous ont été des chevilles ouvrières, une deuxième Conférence de la vie associative doit se tenir le 17 décembre prochain autour de trois grands thèmes.

Le premier est la place du milieu associatif dans la société. Sous cet intitulé très vaste, il ne s'agit pas d'enfoncer des portes ouvertes, mais de tenter de répondre aux interrogations du milieu associatif, au vu des progrès accomplis ces dernières années dans la notion de dialogue social, sur sa propre place dans l'élaboration de la norme et de la règle. Un premier pas va être franchi avec l'élargissement de la place des associations au sein du Conseil économique, social et environnemental, qui va vous être soumis dans un projet de loi organique, mais il faut aussi répondre à des questions plus larges sur la reconnaissance, la régulation et la représentation des associations au niveau national comme au niveau local.

Le deuxième thème est celui du nouvel équilibre des relations entre les associations et les pouvoirs publics. En la matière, le transfert de compétences de l'État aux collectivités territoriales a élargi le nombre d'intervenants. Les associations demandent une clarification car elles craignent parfois que le désengagement de l'un des acteurs prépare celui de l'autre. Les régions, les départements et les villes seront donc associés à la Conférence de la vie associative.

Pour ce qui est des relations financières entre les pouvoirs publics et les associations, les conditions de recours à des marchés ou à une mise en concurrence doivent être clarifiées. On impute en effet souvent à l'Union européenne des procédures qui sont en réalité liées à d'autres motifs. Cette question est liée à celle de la défense des directives sur les services d'intérêt général. Il est également nécessaire de définir une doctrine permettant d'assurer de la stabilité aux associations tout en permettant à de nouveaux entrants de participer.

Enfin, le troisième grand thème sera la reconnaissance des bénévoles, sujet sur lequel beaucoup de pistes peuvent être ouvertes. Les attentes des associations, qui sont parfois précises, devront dans certains cas être clarifiées et nous travaillerons avec elles à l'élaboration d'une doctrine partagée, sur ce volet comme sur les deux précédents. Je me réjouis que le Parlement s'implique dès maintenant sur ce sujet dont je souligne l'importance, eu égard au nombre des associations et du nombre d'emplois et de bénévoles que représente le secteur associatif.

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