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Intervention de Jean de Ponton d'Amécourt

Réunion du 10 juin 2009 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean de Ponton d'Amécourt :

Je remercie la commission de me recevoir. Il est du devoir d'un ambassadeur nommé dans un pays où l'engagement militaire de la France est si profond de vous exposer notre action sur place. Certes, les parlementaires – et peut-être, plus généralement, l'opinion – ont une connaissance de plus en plus fine de cette action. Néanmoins, si je peux contribuer à éclairer tel ou tel point, j'en serai heureux.

M. Pierre Lellouche vous a déjà fait bénéficier de son excellente connaissance du dossier. Je veux cependant devancer une question souvent posée : quelle est l'utilité de sa mission et la mène-t-il de façon satisfaisante ? En sa présence, je peux confirmer qu'il accomplit un travail remarquable et que sa nomination a été très importante pour nous. M. Richard Holbrooke, avec énergie et talent, a imprimé sa marque sur la politique américaine en Afghanistan et a constitué autour de lui un véritable parlement de représentants spéciaux. Pierre Lellouche est le seul, parmi ceux-ci, à être un homme politique. De par son énergie et sa connaissance du dossier, il est parfaitement à la hauteur du représentant américain.

En 2001, les Américains, suivis par les Britanniques, les Allemands et les Français, sont entrés dans un pays totalement détruit par une guerre qui avait duré 30 ans et qui avait fait 2 millions de morts et 9 millions de réfugiés. Parce qu'ils y avaient rencontré une forte résistance, les Soviétiques avaient dévasté les campagnes. Les moudjahidines, eux, s'en sont pris aux villes, détruisant Kaboul et différentes capitales provinciales d'importance, telles que Herat, Mazar-e-Charif, Djalalabad et Kandahar. Enfin, les talibans se sont employés à détruire les institutions et l'administration. Ils ont chassé les femmes qui exerçaient des fonctions dans le système de santé, dans l'éducation et dans l'administration.

Tout était donc à construire, et cela a été fait. Sous le mandat des Nations-Unies (c'est-à-dire en association avec des pays qui ne font pas partie de l'Alliance, comme l'Inde, la Russie, le Pakistan et l'Iran), nous sommes parvenus à reconstruire des institutions politiques : adoption d'une loi électorale puis d'une Constitution en 2004 ; élection du président la même année puis de l'assemblée nationale – la chambre basse, ou Wolesi Jirga – en 2005. À la tête de la Direction indépendante pour la gouvernance locale, M. Popal contribue aujourd'hui à la mise en place de nouvelles autorités, avec des gouverneurs plus représentatifs que de simples chefs moudjahidines et une administration de meilleure qualité pour les provinces et les districts.

En particulier, la France a participé à la formation de l'administration du Parlement afghan – effort interrompu pour des raisons pratiques mais que nous allons reprendre – et à la formation des juges.

Autre point majeur : le rétablissement de la situation sécuritaire. L'Alliance est actuellement déployée dans l'ensemble du pays mais elle est plus ou moins présente selon les zones. C'est pourquoi les Américains vont répartir les nouveaux effectifs – 21 000 hommes dont 17 000 combattants – principalement dans l'est et le sud. Une brigade entière, avec notamment des hélicoptères et de artillerie lourde, sera déployée dans le Helmand ainsi qu'une unité de marines d'importance équivalente dans la province de Kandahar. Les Américains prennent également le relais des Italiens dans les provinces de l'ouest, Farah et Nimroz.

Après les émeutes de 2006, consécutives à l'incident du « camion fou » américain, la situation sécuritaire a connu une dégradation considérable en 2007. Les choses se sont stabilisées en 2008, puis aggravées de nouveau en 2009. L'évolution est cependant contrastée. À Kaboul, la situation est bien contrôlée après les événements dramatiques de 2008 (attentat contre l'hôtel Serena, attentat consécutif à la tentative d'assassinat du président lors de la fête nationale en avril 2008, attentat contre l'ambassade de l'Inde, qui a fait 60 morts et 150 blessés, attentat contre le ministère de l'information). En 2009, le groupe Haqqani a tenté un attentat similaire à celui qu'il avait perpétré à Bombay, mais les terroristes ont été neutralisés. En contrepartie de cette sécurisation, le centre de Kaboul finit par ressembler à la « zone verte » de Bagdad.

Dans le reste du pays, les situations sont diverses. À l'exception de la province de Kunduz et d'une province limitrophe de celle d'Herat, où trafic de drogue et infiltrations iraniennes prédominent, le Nord est à peu près tenu. En revanche, on constate une augmentation très préoccupante des incidents dans le Sud, l'Est et l'Ouest, en particulier dans des provinces proches de Kaboul, celles de Wardak et du Logar. L'accroissement du nombre des incidents est de 25 à 30 % par rapport à l'année précédente. On déplore une dizaine d'attentats-suicides par mois et de très nombreux enlèvements.

Pourtant, il est clair que l'insurrection armée n'a absolument aucune possibilité de contrôler le pays. Elle peut investir telle ou telle ville ponctuellement, mais la police, l'armée afghanes et les forces de l'Alliance sont à même de se déployer et de les déloger assez rapidement. La capacité de nuisance de l'insurrection reste toutefois considérable.

En matière de gouvernance, un travail important a été accompli pour essayer de créer une administration locale, pour disposer de juges sur place et pour constituer une police. Celle-ci compte environ 80 000 hommes et n'est malheureusement pas de très grande qualité, contrairement à l'armée, dont les effectifs passeront de 80 000 à 120 000 hommes. Nous soutenons fortement le nouveau ministre de l'intérieur, M. Atmar. La France a engagé trois projets en matière de police. Dans un cadre européen, 150 gendarmes français – et probablement 150 autres membres des gendarmeries européennes – formeront la gendarmerie afghane destinée , en ce qui concerne les unités formées et encadrées par nos forces, à se déployer dans les quatre districts où nous opérons, en Kapisa et en Surobi. Leur méthode s'inspirera de celle de nos OMLT (Operational Mentoring Liaison Teams) qui encadrent l'armée afghane au combat.

Cet aspect est essentiel. Il faut se rappeler que le schéma opérationnel de l'Alliance est clear (éliminer les forces de l'insurrection), hold (mettre en place une police et une justice afin que les personnes se sentent protégées) et build.

Sur ce dernier point, qui est celui du développement, le travail accompli est considérable. Une grande partie des infrastructures du pays a été reconstruite. Le nombre d'enfants scolarisés s'élève à 7 millions (dont près de la moitié de jeunes filles), alors que 80 % de la population est analphabète. Par ailleurs, 80 % de la population a aujourd'hui accès à des soins. On a aussi reconstruit les administrations. Une liaison électrique est en cours d'achèvement entre l'Ouzbékistan et Kaboul. Un grand réseau routier en forme d'anneau assure la connexion entre les grandes villes afghanes et de nombreuses routes reliant Kaboul aux principales capitales provinciales ont été rétablies.

Cela reste néanmoins insuffisant. La tâche était très lourde et elle n'a pas toujours été accomplie avec efficacité. La corruption, en Afghanistan comme dans toute la région, est considérable. La population, notamment rurale, a toutes les raisons de se plaindre : il n'y a toujours pas de route pour aller au village, pas de puits, pas de système d'irrigation, le dispensaire le plus proche est souvent à une journée de distance, l'école n'est pas toujours accessible… Cela signifie-t-il que le gouvernement actuel et la communauté internationale qui le soutient ont perdu leur légitimité ? Les sondages montrent que ce n'est pas le cas.

Ce qu'il faut souligner, c'est l'extrême prudence de la population. Dans certaines zones, l'administration est présente jusqu'à 16 heures, puis arrivent, Kalachnikov sur le dos, des jeunes religieux qui ressemblent aux paysans locaux. Ils se proposent de rendre la justice. Or, après trente ans de guerre, les litiges sont nombreux : beaucoup de personnes ont été victimes de violences, se sont fait voler leur terre, leur maison… C'est la charia qui est alors appliquée, non sans efficacité : les gens savent très bien ce qu'ils risquent s'ils ne s'exécutent pas et préfèrent rester en vie ! Ce n'est pas qu'ils aiment les talibans – ils en gardent un très mauvais souvenir –, mais, dans leur esprit, tant qu'il n'est pas certain que le gouvernement et ses alliés l'emporteront, mieux vaut rester prudent. En tout cas, ils n'informent pas les alliés des mouvements des talibans, si bien qu'il est difficile d'opérer dans certaines zones.

M. Karzaï, qui est un remarquable manoeuvrier sur le plan politique, est bien parti pour emporter l'élection présidentielle. Notre principale préoccupation est de nous assurer que cette élection se déroulera de la façon la plus démocratique possible. L'Union européenne enverra 120 personnes pour assurer la préparation technique des Afghans et 50 observateurs. Cela peut paraître insuffisant pour les 7 000 points de vote d'un pays qui compte 30 millions d'habitants et dont la superficie dépasse celle de la France, mais cet encadrement est sans précédent dans un pays en guerre et il permettra un minimum d'objectivité.

Si M. Karzaï est élu, il se peut que la fraude électorale soit telle que l'on se retrouve dans une situation de type ukrainien, où une partie importante de la population conteste le résultat du scrutin. Par ailleurs, le président Karzaï, aussi intelligent et charmeur soit-il, est de l'avis général un très mauvais manageur. Les Américains insistent pour qu'il s'adjoigne un secrétaire général. À la demande de MM. Bernard Kouchner et Pierre Lellouche, le professeur Guy Carcassonne se rendra prochainement à Kaboul pour assister le président dans sa réflexion sur une telle nomination - ou sur celle d'un Premier ministre, moyennant une modification de la Constitution. On imagine mal, en effet, que le président Karzaï puisse continuer à gouverner de la même manière pendant cinq ans.

L'année 2010 sera critique. Pachtoune lui-même, le président Karzaï a beaucoup utilisé le thème de la réconciliation nationale afin de s'assurer de l'appui de son électorat naturel. Mais cette réconciliation passe par cinq ou six canaux, selon la représentation que peuvent avoir les talibans. Les élections législatives seront l'occasion ou jamais de faire accepter la Constitution à ceux-ci. S'ils obtiennent 60 ou 100 députés, ils réclameront le partage du pouvoir et des modifications institutionnelles. L'Afghanistan sera alors très différent de celui que nous connaissons, mais il sera peut-être plus pacifique. Nous devons nous y préparer. Notons d'ailleurs que, comme les États-Unis, la France a retenu l'année 2011 pour établir le bilan de son action.

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