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Intervention de Philippe Mills

Réunion du 28 janvier 2009 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor :

Comment les conditions de financement de la dette de l'État ont-elles évolué depuis dix-huit mois dans un contexte de crise financière et économique généralisée ?

Mon message sera simple : dans un contexte de crise qui conduit à une réappréciation généralisée des risques, qui fragilise fortement les intermédiaires financiers et diminue ipso facto leur capacité à tenir les marchés de titres, la France est confiante dans sa capacité à se financer. Cette confiance est partagée par les investisseurs, les intermédiaires et les agences de notation.

Quelques éléments en premier lieu sur la crise et ses manifestations sur les marchés de titres de dette.

Dans les années précédentes, l'abondance de la liquidité mondiale et le niveau très faible d'aversion au risque se traduisaient par une volatilité historiquement basse, c'est-à-dire par un écart très faible, de quelques points de base, entre les prix d'achat et de vente des titres. Ils garantissaient aussi aux États des conditions de financement très sûres – les montants offerts par les intermédiaires financiers dépassant les montants adjugés – et très resserrées entre les différents États membres de la zone euro.

En décembre 2007, au début de la crise, en prenant comme référence le coût moyen de financement de tous les États de la zone sur l'ensemble des titres émis – et non uniquement sur la maturité de dix ans –, l'Allemagne, qui avait la meilleure situation relative, se finançait à 0,13 % en dessous de la moyenne et la Grèce, qui était la plus pénalisée, à 0,17 % au dessus ; soit un écart de 0,3 %. Tous les pays de la zone euro se situaient à l'intérieur de ce corridor. Le 27 janvier 2009, selon le même calcul, l'Allemagne se finance 0,77 % en dessous de la moyenne, et la Grèce 1,75 % au-dessus. L'écart, de 2,52 points, est huit fois plus important qu'il y a un an, et inconnu depuis l'entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001.

Les conditions de financement relatives de la France se sont, elles aussi, améliorées : le taux moyen était de 0,08 point en dessous de la moyenne en décembre 2007, il est désormais de 0,48 point en dessous, soit 40 points de base de mieux. Le seul pays vis-à-vis duquel nous enregistrons une détérioration relative est l'Allemagne, pour environ 0,25 point.

Quelles sont les causes de cette évolution ?

L'accroissement des écarts au sein de la zone euro est l'une des manifestations les plus spectaculaires de la crise que connaissent actuellement les marchés financiers. Elle se traduit par d'importants mouvements sur les prix relatifs des titres obligataires, donc sur les taux auxquels se financent les différents acteurs des marchés.

Les taux d'intérêt intègrent plusieurs types de risques, les deux principaux étant, d'une part, le risque de crédit, ou d'insolvabilité de l'emprunteur ; d'autre part, le risque de liquidité dont la prime rémunère la potentielle difficulté qu'aura l'investisseur à revendre le titre considéré à un prix qu'il juge acceptable.

Dans le contexte actuel, encore plus qu'à l'accoutumée, il est difficile de distinguer précisément la prime de risque de crédit de la prime de risque de liquidité. Ainsi, la dégradation récente des notes de la Grèce, de l'Espagne ou encore du Portugal renvoie au moins pour partie à des informations sur la taille et le niveau d'endettement du secteur financier, la compétitivité, le niveau initial de la dette publique, etc. Tous ces facteurs entrent en ligne de compte pour mesurer la qualité du crédit d'une économie.

Toutefois, différentes analyses, en particulier la note de l'agence de notation Fitch, publiée lundi, sur les émissions des États européens, suggèrent que la prime de liquidité joue un rôle important dans les variations relatives actuelles des taux d'intérêt au sein de la zone euro, notamment dans le positionnement de la France vis-à-vis de l'Allemagne. Quatre indices vont en ce sens.

Premièrement, le risque de défaut éventuel de la France et de l'Allemagne, à un horizon de cinq ans, mesuré par les Credit Default Swaps, les CDS, évolue en parallèle, et il est quasiment similaire avec un écart de 4 à 5 points de base.

Deuxièmement, l'élargissement de l'écart de taux entre les deux pays a eu lieu de façon non continue, un saut se produisant lors des périodes de stress financier – au moment de la crise des subprimes, de la reprise de Bear Stearns, de la faillite de Lehman Brothers, ou de l'annonce des plans de secours des systèmes bancaires. Or, à ces moments-là, les intermédiaires financiers, qui tiennent le marché secondaire de la dette, ont vu leurs capacités de portage se détériorer.

Troisièmement, le même phénomène d'écartement a touché d'autres pays aux conditions initiales économiques et de finances publiques très différentes de la France. Cela a été le cas pour les Pays-Bas qui sont, comme elle, classés triple A.

Quatrièmement, l'écart est à son maximum sur les titres allemands de maturité à deux, cinq ou dix ans qui bénéficient des contrats à terme de la bourse Eurex. Ce contrat à terme qui est l'outil le plus utilisé par les opérateurs financiers pour traiter la dette en euros, ne peut faire l'objet d'une livraison qu'en cash ou en titres de dette allemande. Cela crée une puissante incitation à l'achat de la dette allemande, au détriment de toutes les autres dettes d'État de la zone euro.

Autre caractéristique des conditions de financement actuelles : leur grande volatilité. En fonction des anticipations de politique monétaire, des incertitudes sur le régime d'inflation, de l'ampleur prévisible du ralentissement économique dans les différentes zones économiques et des attentes sur le degré de stabilisation du système financier, les conditions de financement à dix ans de la France ont oscillé depuis le début 2008 entre 3,3 % et 4,8 %. Cette volatilité, qui ne s'était jamais vue sur un temps aussi court depuis l'introduction de l'euro, correspond à une variation du prix des obligations de l'ordre de 12 % !

Or, cette volatilité ne s'est pas atténuée dans la période la plus récente, bien au contraire. Depuis le début de janvier, si la baisse des taux de la BCE a permis d'émettre les bons du Trésor à taux fixe, les BTF, à des taux historiquement très bas, soit une baisse de 40 à 70 points de base, en revanche, les taux longs ont significativement augmenté à partir de la maturité cinq ans, de 30 à 50 points de base selon l'échéance. Ils sont revenus à des niveaux proches de leur moyenne de moyen terme. Ainsi, aujourd'hui, le taux à dix ans est à 3,74 %, contre 3,96 % sur les cinq dernières années, et le taux à trente ans à 4,19 %, contre 4,35 % – soit un écart de près de deux points entre le deux ans et le dix ans, ce qui ne s'était pas vu depuis 1997.

Comment interpréter cela ? On entend dire que la forte hausse des émissions obligataires des émetteurs souverains, des agences publiques ou des emprunts garantis, en Europe et aux États-Unis, pèserait sur l'équilibre entre l'offre et la demande. D'autre part, les investisseurs anticiperaient une remontée brutale des taux directeurs des banques centrales une fois la crise passée.

Toutefois, ces explications sont sujettes à caution. En effet, l'éventuel excès d'offre obligataire est à relativiser dans la mesure où l'augmentation de l'endettement public compense le désendettement en cours du secteur privé, notamment du secteur financier mondial et des ménages américains. Par ailleurs, le président de la Réserve Fédérale américaine, dans ses déclarations les plus récentes, indique qu'il maintiendra durablement les taux courts à un niveau très bas. Au total, il est vraisemblable que la volatilité des conditions de financement devrait probablement perdurer dans les prochains mois.

En conclusion, la conjoncture est marquée par le prix élevé de la liquidité et par une volatilité accrue des conditions de financement. Néanmoins, la France est confiante dans sa capacité à se financer. Depuis toujours, la France est notée triple A par les trois principales agences de notation, avec une perspective stable. À titre d'exemple, l'analyse récente faite par Standard & Poor's, publiée le 13 janvier dernier, se fonde sur plusieurs facteurs, en particulier la diversité de l'économie française, son degré d'ouverture, la qualité de sa main d'oeuvre, l'efficacité de son secteur financier, le faible endettement des ménages et les réformes structurelles engagées par le Gouvernement.

En outre, la dette publique française affiche une réelle liquidité en comparaison de celle d'autres États. Cela tient à son encours, qui vient de dépasser les 1 000 milliards d'euros au 31 décembre dernier, à la taille des souches qui la composent – de 15 à 20 milliards d'euros pour une OAT –, au volume d'échanges quotidiens et à un écart relativement faible entre prix d'achat et prix de vente sur le marché secondaire, qu'il s'agisse des fourchettes affichées sur les plateformes électroniques ou des prix offerts par les courtiers. Or, l'importance du critère de liquidité n'a fait que se renforcer, ce qui procure à la France un avantage comparatif vis-à-vis des autres États.

Par ailleurs, le financement de la dette française repose sur une gamme diversifiée d'instruments, à taux fixe ou indexés sur l'inflation française ou européenne, dont la durée va d'un mois à cinquante ans, qui sont considérés comme des titres de référence pour la zone euro.

Ces différents éléments nous permettent de bénéficier d'une demande régulière émanant d'investisseurs tant publics – banques centrales, fonds souverains... – que privés comme des compagnies d'assurances, des OPCVM ou des fonds de pension, qu'ils soient français ou étrangers. La dette française est détenue à près de 64 % par des non-résidents, ce qui rend son placement plus sûr et diminue son coût de financement.

En outre, notre stratégie d'émission fondée sur les principes de prévisibilité, de transparence et de régularité constitue un atout dans ce monde très incertain, d'autant que la flexibilité de l'offre a été accrue, pour satisfaire au mieux la demande.

Enfin, l'augmentation du besoin de financement pour cette année est liée pour une grande part à la hausse en 2009 des amortissements de titres émis les années précédentes, notamment lors du précédent ralentissement économique. Dès 2010, le pic se résorbera très nettement, ce qui est de nature à rassurer les investisseurs.

Les chiffres annoncés par l'Agence France Trésor à la fin du mois de décembre prévoient, pour l'État stricto sensu, des émissions nettes d'instruments à moyen et long terme à hauteur de 145 milliards d'euros en 2009 – à comparer aux 128 milliards de 2008. Pour l'Allemagne, elles devaient atteindre 157 milliards, avant l'annonce du dernier plan de relance. La CADES, quant à elle, a établi un programme d'émissions de 33 milliards d'euros, dont la moitié environ à moyen et long terme sur le marché de l'euro. La Société de financement de l'économie française, la SFEF, détenue aux deux tiers par les principales banques françaises et à un tiers par l'État, et dont la dette est garantie de façon inconditionnelle par l'État, a déjà émis pour 23 milliards d'euros, dont une partie en dollars, depuis la mi-novembre. Son président, M. Michel Camdessus, a indiqué que son programme d'émissions, d'ici à la fin 2009, serait compris entre 50 et 70 milliards d'euros. Nous avons également émis à hauteur de 10 milliards pour le compte de la Société de prises de participation de l'État fin 2008. Et une seconde tranche est prévue.

Un dernier point : l'insertion de l'AFT au sein du ministère permet de maintenir un lien direct entre l'identification des besoins de financement et l'intervention sur le marché. Cela permet aussi d'éviter les chocs sur les canaux de financement de l'État, chocs qui pourraient fragiliser la capacité de l'État à faire appel au marché.

Au total, la capacité de l'État à solliciter le marché n'est pas menacée, dès lors que les investisseurs comprennent la politique sous-jacente à l'évolution des besoins de financement, que l'évolution de cette politique est transparente et qu'elle ne remet pas en cause la « soutenabilité » des finances publiques.

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