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Intervention de Lionnel Luca

Réunion du 7 février 2008 à 9h30
Ratification du traité de lisbonne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionnel Luca :

On a donc changé le flacon, mais pas le contenu – on a encore moins eu l'ivresse ! –, en le rendant parfaitement abscons.

Car ce traité, contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, n'est pas un traité ordinaire qui s'ajouterait aux autres, tel celui d'Amsterdam ou de Nice : il est une étape décisive de la Constitution européenne puisque l'Union européenne se substitue désormais à la Communauté européenne et qu'elle se trouve dotée de l'essentiel des attributions ordinairement dévolues aux États. Comme l'explique le professeur, ancien recteur d'Académie, Armel Pécheul : « La nation se dilue au profit d'une citoyenneté européenne en gestation. La souveraineté des États devient résiduelle et s'efface devant un système de compétences “exercées en commun”. La représentation internationale des États est partagée avec la représentation de l'Union. Le pouvoir est légitimé par le droit, de par les experts et non plus de par la volonté des peuples souverains. Le contrôle des gouvernants n'est plus politique : il est exclusivement juridique. »

J'aborderai en particulier deux points.

Premièrement, les nouvelles compétences externes attribuées à l'Union européenne fixent à l'intérieur de l'Union la sauvegarde de « son indépendance et de son intégrité », selon les termes du traité. De fait, l'Union Européenne entend devenir un partenaire international des États autres que ses États membres, ainsi que des organisations internationales dans « tous les domaines des relations internationales ».

L'Union européenne devient un acteur international appelé à se substituer aux États membres dans le concert des nations, puisque, selon le nouvel article 19, les États membres du Conseil de sécurité – la France et la Grande-Bretagne – s'effaceront au profit du Haut représentant invité à présenter la position de l'Union au sein du conseil. Ce Haut représentant deviendra « ministre des affaires étrangères », comme le prédit Valéry Giscard d'Estaing, parce que les journalistes finiront bien par retenir cette appellation. Mais pour quelle politique étrangère commune ? Celle de la Grande-Bretagne alignée sur les États-Unis avec les vingt-cinq autres États, comme lors de la guerre en Irak, ou celle de la France en résistance avec l'Allemagne contre l'aventure américaine ?

Le traité de Lisbonne prévoit aussi une coopération structurée aux côtés de l'OTAN, et des engagements renforcés des États auprès de celle-ci. L'inscription d'une alliance de l'Union européenne avec l'OTAN dans le traité, c'est-à-dire d'un système militaire sous commandement étranger, fût-il ami, met à mal le concept d'une Europe de la défense que l'on veut indépendante.

Mais le veut-on ? L'article 28B nouveau du traité de l'Union évoque « des missions qui peuvent contribuer à la lutte contre les terrorismes, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ». Cela met à mal l'usage d'une Constitution européenne présentée comme un gage de paix pour les nations, dans la mesure où le système d'alliance sous commandement américain permet toutes les confusions. Les États-Unis et l'Union Européenne ont-ils la même conception de la lutte contre le terrorisme ?

Sur le plan interne, la conquête la plus sournoise réside dans le principe du droit européen, qui n'est plus inscrit comme précédemment dans le traité constitutionnel, mais qui y figure discrètement parmi les dispositions du chapitre II, et plus encore dans la déclaration n° 27, qui considère la primauté du droit communautaire comme un principe fondamental du droit. Avec la Charte des droits fondamentaux agrégée au traité, la Cour de justice est ainsi dotée de la valeur juridique qui faisait défaut jusqu'alors, même si elle l'avait, sans attendre le nouveau traité, déjà intégrée parmi les éléments de contrôle de la légalité communautaire.

Avec ce nouvel instrument, la Cour devrait voir ses pouvoirs renforcés, notamment dans le domaine du droit des minorités, rangé parmi les droits de l'homme et figurant ainsi parmi les valeurs de l'Union en faveur du respect de « la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Cette reconnaissance d'un vrai droit des minorités nationales va s'opposer aux articles 1er et 3 de notre Constitution, et à notre conception de l'égalité qui va voler en éclats, puisque le droit européen reconnaît des droits particuliers. Cette ouverture à la discrimination prépare le droit à l'autonomie future.

De même, l'article 10 du traité affirme « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Ce droit heurte fondamentalement et frontalement le principe constitutionnel français de la laïcité. La seule limite posée par la Cour européenne des droits de l'homme est celle de « la sauvegarde du régime démocratique ». D'évidence, notre récente loi sur la laïcité est condamnée à terme : la pratique de la polygamie, les mariages arrangés, les choix alimentaires et les signes ostentatoires seront érigés en « droits de l'homme », puisqu'ils ne portent pas, en eux-mêmes, « une atteinte grave au régime démocratique ». Ainsi donc, nos propres droits fondamentaux risquent d'être ravalés au second rang, au profit de nouveaux droits, contraires aux principes les mieux établis de la République française.

Échappant de plus en plus au contrôle des États et des nations sans lesquels il n'existe aujourd'hui guère de légitimité démocratique, cette construction européenne risque aussi de pâtir de l'absence de tout contrôle parlementaire et populaire. Voilà pourquoi elle risque d'être, davantage encore, soumise aux contrôles d'intérêts économiques supranationaux, ce qui ne peut que me préoccuper.

Cela étant, comment s'opposer à un tel texte, malgré tout, puisqu'il n'y a aucune autre proposition crédible des vingt-six autres chefs d'États européens, un peu prisonniers d'une pensée héritée de la guerre froide, qui n'est pas sans rappeler le fameux « sens de l'histoire » marxiste ? Comment ne pas accorder sa confiance au Président de la République, malgré tout, et quels que soient les éloignements de ses engagements, alors que la France assumera la présidence de l'Union dans quelques semaines ?

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