L'uranium de retraitement : défis et enjeux
Audition ouverte à la presse
Marie-Claude DUPUIS, directrice générale de l'ANDRA
Thomas BRANCHE, sous directeur de l'industrie nucléaire (DGEC)
Christophe BÉHAR, directeur de l'énergie nucléaire (CEA)
Sylvain GRANGER, directeur de la division combustible (EDF)
Eric MAUCORT, conseiller au cabinet du Président (EDF)
Christian BARANDAS, directeur de la Business Unit Chimie (Areva)
Jacques REPUSSARD, directeur général (IRSN)
Jérôme JOLY, directeur de l'expertise nucléaire de la défense
André-Claude LACOSTE, président (ASN)
Marie-Pierre COMETS, commissaire (ASN)
Jean-Christophe NIEL, directeur général (ASN)
Jean-Luc LACHAUME, directeur général adjoint (ASN)
Alain DELMESTRE, directeur général adjoint (ASN)
Jérôme RIEU, directeur des installations de recherche et des déchets (ASN)
David LANDIER, directeur des activités industrielles et du transport (DIT) (ASN)
Ouverture
Claude BIRRAUX
Député
La mise en place étant faite, nous allons pouvoir ouvrir cette séance. Puisque la raison pour laquelle nous vous avons invités est tombée la veille d'une réunion de l'Office parlementaire, j'ai proposé à mes collègues d'organiser une audition ouverte à la presse sur le sujet, où l'ensemble des acteurs soit apte à répondre à nos questions.
Je vais vous rappeler le contexte : le 13 octobre dernier, un documentaire sur Arte « Déchets, le cauchemar du nucléaire », annoncé la veille par un article de Libération, affirmait en gros titre : « Nos déchets nucléaires sont cachés en Sibérie ». Nous avons souhaité procéder à l'audition des principaux acteurs concernés pour faire le point sur les défis, les enjeux de l'uranium de retraitement et les conditions dans lesquelles les opérations évoquées se déroulent.
Depuis que l'Office a pris cette initiative, divers autres sujets concernant le domaine nucléaire ont été évoqués par les médias. Il convient de rappeler que la commission de développement durable de l'Assemblée Nationale a entendu les représentants de l'ASN et de l'ANDRA sur les événements nucléaires de Cadarache.
Je voudrais, pour que les choses soient claires, vous signaler que Monsieur Henri Revol, notre ancien collègue du Haut comité pour la transparence, m'a envoyé un e-mail. Il me dit que le groupe Énergie de l'Assemblée Nationale, à l'époque présidé par celui qui est aujourd'hui le sénateur Poniatowski, s'est rendu à Tomsk, qu'il a visité l'installation, et qu'il a même vu le soutirage d'uranium provenant de France, qui devait être enrichi. Quelques personnes – on me donne quelques noms – dont notre collègue Claude Gatignol, entre autres, Monsieur Quilès, Monsieur Zuccarelli, Monsieur Valade et quelques autres, ont pu entrer à Tomsk.
Je précise encore qu'en ce qui concerne le site de Hanford, je m'y suis rendu en 1995. J'ai pu visiter de long en large le site, au cours d'une visite particulièrement intéressante, parce que le chauffeur du bus était un ancien employé de Hanford. Nous n'avons pas eu à nous adresser aux responsables, parce qu'il nous a tout raconté sur tout ce qui se passait partout. Lorsque nous avons demandé à voir les mesures dans l'environnement sur l'état du site de Hanford, on m'a répondu : « Quelles années voulez-vous ? ».
Peut-être y a-t-il encore dans les archives de l'Office parlementaire, si elles ont été gardées, les résultats des mesures d'environnement sur trois ans – qui devaient être 1994, 1993, 1992 – dans la rivière, dans les sédiments, dans le lait des vaches qui sont à proximité, dans l'herbe, dans les poissons. J'ai obtenu tout ceci.
Je voudrais encore ajouter une précision pour que les choses soient claires dès le départ. J'ai fait partie en 1997, à la demande du président d'EDF François Roussely, d'une commission sur l'information à EDF et la transparence. Celle-ci était présidée par Hubert Curien. Il me semble, qu'à cette époque, nous avions dit qu'il y avait une chaîne dans le nucléaire ; chacun devait se sentir concerné par ce qui se passait pour un des acteurs de la chaîne. A cette époque, on parlait de transport. Le producteur dit : « J'ai un prestataire ». Celui qui réceptionne dit : « Moi, j'ai le prestataire du producteur, donc je ne sais pas ». C'est quelque chose que nous avions dit que nous ne voulions plus voir. Je tenais simplement à vous le rappeler en préalable, parce qu'il est particulièrement désagréable de voir que, lorsqu'on interroge Pierre, il dit : « Ce n'est pas moi, c'est Paul ». Paul dit : « Ce n'est pas moi, c'est Jacques. » Jacques dit : « Ce n'est pas moi, c'est André ». On passe comme cela tous les saints du calendrier.
Pour ordonner les débats, pour des interventions qui seront d'environ dix minutes, je pense que je vais d'abord donner la parole à Monsieur Thomas Branche, qui est sous-directeur de l'industrie nucléaire à la Direction de l'énergie et du climat, du MEDDEM, qui commencera en présentant les règles d'échange de matières radioactives au niveau international. Monsieur Revol me dit qu'un accord qui doit dater de 1995 ou 1993 avait été passé entre la Russie et la France.
Monsieur Branche, pouvez-vous nous définir le cadre dans lequel cela se passe, et nous dire si c'est un accord interentreprises, si c'est un accord interétatique, si c'est un échange de lettres, ou si cela a été soumis à quelque ratification que ce soit.
Thomas BRANCHE
Pour présenter le cadre dans lequel les substances radioactives sont amenées à passer d'un pays à un autre, je crois qu'il est important de rappeler que quatre problématiques essentiellement sont regardées par les pouvoirs publics. Il y a en fait quatre champs de réglementation qui les accompagnent.
Le premier niveau est la lutte contre le vol ou le détournement, donc la sécurité, la protection physique. Un deuxième niveau est lié à la sûreté nucléaire, la sûreté de l'utilisation des matières. Le troisième niveau est la lutte contre la prolifération nucléaire, donc le contrôle de l'utilisation pacifique des matières. Le quatrième niveau, un peu différent des trois premiers, est relatif à la sécurité de l'approvisionnement. Je vous propose de décliner les quatre points. Vous verrez qu'il y a, à chaque fois, un cadre international et une déclinaison au niveau français, avec des compétences confiées à différents services.
Concernant la lutte contre le vol ou le détournement, le texte international qui fait foi est la Convention sur la protection physique des matières nucléaires du 3 mars 1980. L'organisme chargé du suivi de la mise en oeuvre de cette convention est l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique. Au niveau européen, il n'y a pas de réglementation en la matière. Au niveau national, c'est le Code de la défense nationale qui régit ce volet, les articles L 13-33-1 et suivants et R 13-33 et suivants.
Au niveau des services administratifs qui instruisent les dossiers, le pilote est le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministre chargé de l'énergie, au sein du ministère de Jean-Louis Borloo. Précédemment, c'était le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministre chargé de l'industrie. Cela a changé l'été dernier, dans le cadre de la création du MEDDAT, aujourd'hui MEDDEM. Ce haut fonctionnaire de défense et de sécurité s'appuie sur les concours de l'IRSN. Ils assurent l'autorisation générale de détention, de suivi et de comptabilité des matières, des mesures individuelles de protection physique des installations et des transports, et délivrent des autorisations pour chaque transport.
S'agissant de la sûreté, je serai bref, car l'autorité de sûreté nucléaire évoquera naturellement le droit en vigueur. Là aussi, comme pour tout sujet nucléaire, il y a une réglementation internationale autour de l'AIEA. Il y a évidemment des dispositions européennes, mais la directive sur la sûreté, prise cet été, ne concerne que les installations nucléaires, donc ne traite pas des transports. Au niveau national, il y a un champ de règles qui vous seront exposées par l'Autorité de sûreté nucléaire. Il s'agit de l'homologation des moyens de transport, du point de vue de la sûreté.
Concernant la non-prolifération, le contrôle de l'utilisation pacifique des matières, le texte chapeau qui fait référence est le traité de non-prolifération et également les statuts de l'AIEA. Il y a des accords de garantie, des mécanismes d'inspection qui sont faits dans un cadre international. Au niveau européen, il y a une réglementation : c'est le règlement double usage du 22 juin 2000. Il y a également le chapitre VII du traité Euratom qui porte le titre de « Contrôle de sécurité ». Au niveau national enfin, il y a un décret sur l'organisation de la délivrance des licences d'exportation, de 2001. Ce décret est en cours de modification.
Claude BIRRAUX
Sous quel ministre a-t-il été pris ?
Thomas BRANCHE
Le ministre pivot devait être le ministre chargé de l'Industrie. Au niveau national, au niveau des services administratifs, c'est la DGEC, Direction générale énergie et climat du ministère de Jean-Louis Borloo, que je représente aujourd'hui, qui est chargé d'être la planque tournante de l'instruction de ces dossiers. Bien entendu, un grand nombre des acteurs autour de la table sont sollicités dans le cadre de ces instructions.
Le comité technique Euratom est un organisme peut-être un petit peu moins connu, mais il a un rôle très important vis-à-vis de l'application du traité Euratom, qui est chargé de rendre compte, auprès d'Euratom, de la mise en oeuvre par la France de ses obligations. Une de ses fonctions est, notamment, la comptabilité des matières et la transmission à Euratom de toutes les informations qu'on doit transmettre. Ce comité est hébergé par le CEA.
Le quatrième volet concerne la sécurité d'approvisionnement en matières nucléaires. Au niveau international, il n'y a pas de réglementation. En revanche, il y en a une au niveau Euratom. Une des préoccupations, depuis l'origine, depuis la création d'Euratom, est d'avoir une sécurité d'approvisionnement nucléaire européenne, ce qui signifie que les contrats d'approvisionnement doivent être déclarés, homologués et autorisés par l'agence d'approvisionnement. C'est une agence qui dépend de la Commission européenne.
Il y a évidemment, avant tout mouvement transfrontière de matières, déclaration auprès de cette agence. Il y a un comité consultatif de cette agence – consultatif, je dis bien –, auquel participent la DGEC, EDF, Areva et le comité technique Euratom. Il y a une réglementation spécifique concernant l'introduction, sur le territoire national, des combustibles usés radioactifs ou des déchets radioactifs. C'est l'article 8 de la loi du 28 juin 2006 que vous connaissez bien, et qui stipule que ces introductions ne peuvent se faire, pour les combustibles usés, qu'à des fins de traitement. Elles doivent se faire dans le cadre d'un accord intergouvernemental. Les déchets qui sont issus du traitement doivent repartir à l'étranger. L'accord intergouvernemental doit, justement, prendre des dispositions précisant les conditions et les échéances auxquelles ces déchets devront être renvoyés. Voilà un panorama général du cadre de suivi des mouvements des matières.
Claude BIRRAUX
L'accord qui date des années 1990 a été passé entre EDF, Areva. Maintenant cela s'appelle Rosatom. Avant, cela s'appelait d'un nom plus compliqué. Qui a signé quoi ?
Thomas BRANCHE
Ce sont des accords industriels entre des industriels des pays en question.
Claude BIRRAUX
Est-ce EDF ou Areva qui a signé ? Levez la main.
Sylvain GRANGER
De quel accord parlez-vous exactement ?
Thomas BRANCHE
L'accord qui permet d'aller faire enrichir de l'uranium de retraitement en Russie.
Sylvain GRANGER
Si mes souvenirs sont exacts, parce que j'étais un peu jeune à l'époque, je pense qu'il s'agit d'un contrat qui a dû être passé historiquement entre le CEA et l'industrie nucléaire russe, de façon à permettre une sécurité d'approvisionnement au moment où on était en train de démarrer la construction de l'usine d'Eurodif. Ce contrat, complètement historique, avait été passé à des fins d'assurer la sécurité d'approvisionnement. De mémoire, ce contrat a dû être repris à l'époque par Cogema. Depuis le début des années 2000 – je n'ai pas la date exacte, 2000 ou 2002 – nous avons, à EDF, des contrats en direct avec TENEX qui est aujourd'hui l'institut russe qui s'occupe de ces opérations d'enrichissement. Par ailleurs, je crois savoir qu'Areva doit également avoir des contrats en propre.
Claude BIRRAUX
Le CEA, vous avez des contrats. Que représente l'uranium appauvri qui est produit à La Hague ? Quand on le reconcentre, c'est finalement l'opération qui se fait à Tomsk. A combien le concentre-t-on ? Ce qui reste, combien d'uranium fissile contient-il ? Est-ce considéré comme un déchet ? Quelle différence y a-t-il entre cet uranium encore plus pauvre que celui qui était arrivé, et du stérile de mine ?
Christophe BÉHAR
Sur le premier point, je pense que le CEA a passé ces contrats à l'époque où il intégrait en plus de la R & D des activités de production. Je pense clairement que ces contrats ont été repris par Areva, par Cogema, à l'époque, à la date de création de Cogema, dans les années 1976-1980.
Monsieur le Président, je vais essayer de répondre à quelques-unes de vos questions en rappelant peut-être quelques éléments. Vous savez bien que l'uranium est un minerai extrait des mines, qu'il contient essentiellement trois isotopes : l'uranium 235, à hauteur de 0,7 % en masse, quelques traces d'uranium 234 et en majorité de l'uranium 238.
Pour fonctionner, les réacteurs nucléaires actuels ont besoin d'un combustible produit à partir d'uranium qui contient une teneur en uranium 235 qui est de l'ordre de 4 %. Il est donc nécessaire, pour passer de la teneur en uranium 235 de 0,7 % à 4 %, de mener à bien ce que l'on appelle une opération d'enrichissement, dans une usine d'enrichissement. Une usine d'enrichissement a donc pour objectif d'augmenter, de concentrer la quantité d'uranium 235.
Différents flux entrent et sortent de cette usine : un flux dit d'alimentation de l'usine, qui est le flux d'uranium que l'on veut voir enrichi, et deux flux en sortie : un flux qui constitue le produit qui servira ensuite à fabriquer le combustible pour les réacteurs nucléaires, et c'est là qu'on a une teneur en 235, de l'ordre de 4 % ; un flux appauvri, qui est le reste du flux entrant, et qui contient une teneur en uranium 235 qui n'est pas nulle, se situant aux alentours de 0,2 à 0,3 %. Je pense qu'EDF et Areva vous en parleront, parce que la valeur de la teneur en 235 dans le flux appauvri est liée de manière intime, à l'économie de l'opération d'enrichissement.
Deux technologies, permettent d'enrichir l'uranium, technologies déployées au niveau industriel : la diffusion gazeuse que nous connaissons bien aujourd'hui en France, puisque cela fait l'objet du fonctionnement de l'usine Eurodif actuelle, et l'ultracentrifugation pour laquelle nous allons avoir une usine qui va fonctionner très bientôt dans la vallée du Rhône.
Il se trouve que la technologie de la diffusion gazeuse n'est pas très bien adaptée à l'enrichissement de l'uranium de retraitement, alors qu'elle est très bien adaptée à l'enrichissement de l'uranium naturel. C'est ce qu'elle fait actuellement.
Qu'est-ce que l'uranium de retraitement ? L'uranium de retraitement est obtenu après retraitement du combustible. C'est un des flux sortants de l'usine de La Hague. Comme l'uranium naturel, il est constitué de différents isotopes : du 235 à nouveau, à une teneur de l'ordre de 0,7 % à 1 %, assez comparable à ce qu'on trouve dans l'uranium naturel ; du 234 sous forme de trace, et surtout à nouveau de l'uranium 238, ainsi que des traces d'uranium 232, 233 et 236.
Parce qu'il contient de l'uranium 235 encore en quantité non négligeable, je pense qu'on peut dire assez clairement que c'est une matière nucléaire qui est valorisable. On peut donc penser à utiliser cette matière nucléaire valorisable et à réenrichir cet uranium de retraitement pour produire du combustible. Je pense qu'EDF et Cogema pourront vous en parler.
Il me semble intéressant de regarder précisément la problématique de l'uranium appauvri, que cet uranium appauvri provienne d'uranium naturel, ou bien d'uranium de retraitement après une opération d'enrichissement. Il est clair, vous l'avez vu, que cet uranium appauvri contient encore de l'uranium 238. A ce titre déjà, il peut constituer une part non négligeable de combustible pour les réacteurs sur lesquels le CEA est amené à travailler avec ses partenaires EDF et Areva. Je parle des réacteurs de quatrième génération.
Clairement, l'uranium appauvri sera une partie des combustibles des réacteurs de quatrième génération. Par ailleurs, cet uranium appauvri peut être, et est utilisé aujourd'hui dans des combustibles spécifiques qu'on appelle les MOX. Je pense qu'EDF et Areva pourront vous en parler. Parce que cet uranium appauvri contient un peu d'uranium 235, dont je vous disais que la teneur était ajustée en fonction de l'économie, on peut songer à nouveau à réenrichir cet uranium appauvri pour continuer à en extraire l'uranium 235 présent. Je pense qu'EDF et Areva pourront aussi vous en parler.
Claude BIRRAUX
Merci Monsieur Béhar. Je vais maintenant me tourner vers EDF. Monsieur Granger, vous êtes directeur de la division combustible nucléaire EDF. Vous faites retraiter à La Hague, et vous avez de l'uranium appauvri. Vous l'envoyez en Russie. Vous nous expliquez comment cela se passe, quels sont les contrats, quelles sont les quantités, combien de temps cela prend, ce que vous laissez en Russie. Est-ce payant ? Est-ce gratuit ? Est-ce un « cadeau » que vous faites aux Russes ? Quelle est la situation ? Que se passe-t-il ?
Sylvain GRANGER
J'ai préparé un petit jeu de transparents qui a été remis sur table. Peut-être peut-on le voir sur les écrans. Je vous propose, en particulier, de mettre une illustration qui permet de répondre, je pense, assez simplement – en tout cas c'est l'objectif – à toutes les questions concernant le cycle du combustible nucléaire d'EDF, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui. Sans illustration, ce sera un peu plus compliqué.
Pour lire ce schéma, il faut partir du centre qui est le réacteur, notre parc de cinquante-huit réacteurs qui permettent de produire de l'ordre de 430 TWh, soit 430 milliards de KWh électriques par an. Pour assurer cette production d'électricité, il nous faut – c'est la flèche que vous avez en entrée du réacteur – 1 200 tonnes d'assemblages combustibles neufs qui contiennent des pastilles d'uranium enrichi à 4 %, uranium enrichi à 4 %, dont parlait Christophe Béhar à l'instant.
Comment fait-on pour obtenir ces 1 200 tonnes d'assemblages combustibles neufs ? Il faut aller chercher l'uranium dans une mine. Il faut ensuite l'amener sous forme gazeuse, c'est l'étape de conversion. Il faut ensuite l'enrichir, comme l'expliquait Christophe Béhar, pour amener sa teneur de 0,7 % d'uranium 235 à 4 %. C'est ainsi qu'à partir de 8 640 tonnes d'uranium à teneur de l'ordre de 0,7 %, on peut obtenir de l'ordre de 1 100 tonnes d'uranium enrichi, qui servent ensuite à fabriquer les assemblages combustibles, qui permettent d'alimenter nos réacteurs. C'est ce qu'on appelle l'amont du cycle.
Sur l'aval du cycle, comme vous le disiez, Monsieur le Président, une fois que les combustibles ont produit leur énergie en réacteur, on a ce qu'on appelle un combustible usé. Une certaine quantité d'uranium a été brûlée dans le réacteur, qui se trouve remplacée par les cendres de la combustion, qui sont des déchets radioactifs de haute activité, qui représentent à peu près 4 % de la matière d'uranium. Le reste de la matière représente à peu près 95 % d'uranium résiduel, dont 1 % d'uranium 235. On a un uranium en sortie du réacteur, dans le combustible, qui est à peu près équivalent en teneur d'uranium 235 – donc en pouvoir énergétique – à l'uranium naturel. Il y a en plus à peu près 1 % de plutonium.
Que fait-on ? On va à La Hague, où on va séparer ces trois composants : les 4 % de déchets radioactifs, l'uranium recyclable proche de l'uranium naturel avec une teneur de 1 % en uranium 235 et le plutonium qui représente encore à peu près 1 %. Le plutonium est recyclé. A partir du traitement du combustible usé, on produit une certaine quantité de plutonium qui est immédiatement envoyé à l'usine de Melox à Marcoule. Cette usine permet de prendre ce plutonium, de reprendre de l'uranium appauvri – c'est une première utilisation possible de l'uranium appauvri, assez marginale, mais c'est une utilisation effective –, et de fabriquer un combustible dit MOX, qui est un mélange d'uranium appauvri et de plutonium, qui permet de faire 100 tonnes d'approvisionnement parmi les 1 200 tonnes d'assemblages combustibles neufs, dont je parlais tout à l'heure.
En ce qui concerne l'uranium recyclable, ce qu'on appelle dans notre jargon l'uranium de retraitement, il sort de La Hague sous forme liquide en nitrate d'uranyle. Si on retraite 850 tonnes, il y a à peu près 810 tonnes qui sont ainsi transportées à Pierrelatte. Cet uranium est oxydé, c'est-à-dire repassé sous forme solide stable. Sous cette forme, cet uranium peut être entreposé. Aujourd'hui, nous avons constitué ce que j'appellerai une mine d'uranium recyclable, qui représente à peu près 13 000 tonnes entreposées sur le site de Pierrelatte.
C'est en quelque sorte notre deuxième mine, en plus des mines d'uranium naturel. De cette mine, en fonction des conditions économiques mais aussi techniques, c'est-à-dire que si nous avons une mine d'uranium qui est défaillante – il peut arriver qu'il y ait des problèmes de production – on peut ressortir un petit peu plus, faire un petit peu plus appel à cette mine d'uranium recyclable. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, puisque nous avons un appel à cette mine qui est de l'ordre de 600 tonnes. Nous ressortons de cette mine environ 600 tonnes. Celles-ci viennent se cumuler aux 8 040 tonnes que nous sortons des mines d'uranium naturel, pour former le flux de 8 640 tonnes qui va être enrichi.
A quoi correspondent ces 600 tonnes en termes de combustible une fois enrichi ? C'est un petit peu moins de 100 tonnes de combustible enrichi, ce qui fait qu'avec ces 600 tonnes, qui deviennent à peu près 100 tonnes d'uranium enrichi, plus les 100 tonnes de MOX, nous avons pratiquement presque 200 tonnes de combustible dans notre approvisionnement de 1 200 tonnes qui sont du combustible recyclé.
Quel est le bilan ? Pour alimenter nos réacteurs, 1 000 tonnes proviennent des mines naturelles ; après enrichissement, un peu moins de 100 tonnes – 80 environ – proviennent de l'uranium recyclé, là aussi après enrichissement ; et environ 100 tonnes de MOX proviennent du recyclage du plutonium. Je voudrais signaler qu'à partir de 2010, dans le contrat que nous avons aujourd'hui avec Areva, il est prévu que nous ferons passer le traitement du combustible usé à 1 050 tonnes par an, ce qui, par équilibre des flux, permettra de passer les 100 tonnes de MOX à 120 tonnes de MOX. L'année prochaine, nous aurons 120 tonnes au lieu des 100 tonnes de MOX qui sont indiqués sur cette figure.
Pour ce qui concerne les déchets radioactifs – les 4 % de déchets de haute activité qui sont contenus dans la matière combustible usée, plus les structures métalliques des assemblages combustibles qui ont été irradiés en réacteur, qui constituent des déchets de moyenne activité – l'ensemble de ces déchets radioactifs est conditionné. Par exemple, les déchets de haute activité sont vitrifiés et placés dans des conteneurs en acier inoxydable. L'ensemble de ces déchets radioactifs est conditionné et entreposé en toute sûreté à La Hague. Ces déchets sont donc traités et conditionnés en France, et ils restent en France.
Claude BIRRAUX
L'uranium recyclé que vous reconvertissez et qui s'ajoute aux 8 040 tonnes, pour passer à 8 640 tonnes, est-il mélangé en quelque sorte à l'uranium qui sort de la mine, ou faites-vous des crayons séparés qui demandent une disposition, que j'appellerai « neutronique », différente ?
Sylvain GRANGER
Il y a plusieurs options. Ce que je représente là, le recyclage de l'uranium après traitement, est une pratique qui n'est pas que française. Les Allemands, les Suisses l'ont pratiquée. Il y a différentes options pour effectuer ce recyclage en réacteur, vous avez raison. Pour ce qui concerne ce qu'EDF a retenu, il consiste à faire des assemblages en uranium recyclé uniquement. Nous avons dédié quatre réacteurs, qui sont les réacteurs de Cruas, à ce recyclage. Avec cette option, il faut quelques aménagements du réacteur et obtenir une autorisation spécifique, comme pour le combustible MOX.
Claude BIRRAUX.
Tout cela tourne, mais il en reste à Tomsk. Que faites-vous de ce qui est à Tomsk ? Quel est le statut de l'uranium de Tomsk ?
Sylvain GRANGER
Pour l'uranium de Tomsk, comme tous les uraniums qui rentrent dans des installations d'enrichissement, qu'ils soient de l'uranium de retraitement recyclable, ou de l'uranium naturel, le statut est le même. L'électricien, en l'occurrence EDF, amène à l'ensemble de ces enrichisseurs 8 640 tonnes. Evidemment, on ne les amène pas d'un coup, et pas à tous les mêmes enrichisseurs. L'uranium enrichi revient à EDF et les enrichisseurs conservent l'uranium appauvri. C'est-à-dire que les 7 540 tonnes que j'ai indiquées au voisinage de l'installation d'enrichissement deviennent, contractuellement, la propriété des enrichisseurs qui les conservent. Ils ont, comme le rappelait Christophe Béhar, la possibilité de les réenrichir. C'est une possibilité d'une part ; c'est fait d'autre part.
Les données publiques de l'AIEA (Agence internationale pour l'énergie atomique) montrent clairement que depuis de nombreuses années les Russes, mais d'une manière générale les enrichisseurs qui disposent de la technologie de l'ultracentrifugation, trouvent un intérêt à utiliser leurs installations pour réenrichir cet uranium et le réutiliser soit pour leurs besoins propres, soit pour leurs clients. En effet, cette technologie a des coûts performants et le prix de l'uranium naturel est arrivé à des niveaux de 40 dollars la livre, alors qu'il était à 20 dollars la livre il y a dix ans.
Claude BIRRAUX
Si j'ai bien compris, à Tomsk, vous avez quelque chose qui contient 0,7 %. Les Russes vous le font repasser à 4 % ; il en reste de 0,2 à 0,3…
Sylvain GRANGER
De 0,2 à 0,3 %. Oui, tout à fait.
Claude BIRRAUX
C'est le cadeau que vous faites aux Russes.
Sylvain GRANGER
Je ne sais pas si on peut appeler cela un cadeau. Un contrat est un accord gagnant gagnant. Par ailleurs, je tiens à le signaler – on peut peut-être passer sur le slide d'après –, nous n'avons pas un approvisionnement uniquement avec les Russes. Le premier pilier de notre sécurité d'approvisionnement, c'est la diversité des sources d'approvisionnement, que ce soit au niveau de la mine, au niveau de la conversion, au niveau de l'enrichissement.
Si je prends l'enrichissement, nous avons aujourd'hui des contrats avec Areva, avec les Russes, avec le consortium URENCO qui a trois installations en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas. Nous avons également un contrat avec les Américains. Dans tous ces contrats, et depuis des dizaines d'années, que ce soit avec EDF ou avec l'ensemble des électriciens – je rappelle qu'EDF représente 15 % des besoins mondiaux – sur l'ensemble des besoins mondiaux, la pratique est la même pour tous les contrats, depuis des années.
L'électricien amène son uranium naturel ou son uranium recyclable, il récupère l'uranium enrichi, car c'est le seul uranium qu'il peut utiliser dans ses réacteurs. C'est une réalité technologique. L'enrichisseur conserve, lui, de l'uranium appauvri. Il a la possibilité de le réenrichir, selon ses besoins et parce qu'il a la technologie, car il a le levier de décider, en fonction des prix de l'uranium naturel, et en fonction des coûts de cette technologie. De fait, c'est cela.
Claude BIRRAUX
Payez-vous le réenrichissement, ou vous revend-il un produit ? Vous achète-t-il le produit et vous le revend-il ? Je sais bien que cela fait partie des choses commerciales.
Sylvain GRANGER
Revenons au transparent précédent dans ce cas. J'appellerai ce transparent « le transparent des trois mines ». Vous avez les mines initiales d'uranium naturel. Pour sortir de l'uranium d'une mine, c'est très compliqué. Dans l'uranium naturel, il y a aujourd'hui, avec les réacteurs actuels, moins de 1 % de l'uranium qui est effectivement utilisable. C'est notre première mine, notre mine initiale. Si on ne fait rien de plus, on va utiliser même largement moins de 1 % de cet uranium. On va laisser 0,2 à 0,3 %. Si vous faites le calcul, cela fait à peu près le tiers d'uranium 235 qui va être laissé dans l'uranium appauvri. Ensuite, si vous ne recyclez pas par le traitement, vous allez laisser de l'uranium – à peu près 1 % – dans les combustibles usés.
Il existe un système à trois mines : des mines qui sont la propriété des mineurs ; je dirai une mine secondaire qui est la propriété des enrichisseurs. C'est effectivement un bénéfice complémentaire qu'ils peuvent tirer de leur industrie d'enrichissement. Nous avons une mine qui est complètement à notre main, qui est la mine d'uranium recyclé, que nous récupérons à l'issue du traitement.
Claude BIRRAUX
Je suis d'accord. Je comprends qu'il y a trois mines, mais je voudrais savoir où vous avez placé vos sous. D'habitude, ce sont les banques suisses qui accueillent. Là, c'est Tomsk. Votre capital, c'est cet uranium appauvri que vous allez réenrichir. Tomsk est-il un prestataire ?
Sylvain GRANGER
Oui.
Claude BIRRAUX
Leur vendez-vous de l'uranium appauvri et vous revendent-ils de l'uranium enrichi en échange ? Êtes-vous rétribués pour cet uranium appauvri que vous leur laissez ?
Sylvain GRANGER
Les contrats sont faits de la façon suivante, que ce soit avec les Russes ou avec l'ensemble des autres enrichisseurs. Areva pourra confirmer, puisque nous avons les mêmes pratiques commerciales avec tout le monde, et tous les enrichisseurs ont les mêmes pratiques commerciales avec tous les électriciens. C'est un service, c'est un contrat. Nous amenons l'uranium naturel ou recyclable. Il nous est rendu l'uranium enrichi. Nous payons un prix pour ce service. Dans le cadre de cet accord, l'enrichisseur conserve de l'uranium appauvri. Il devient ensuite sa propriété, et il en fait ce qu'il veut.
Claude BIRRAUX
Cette fois, c'est clair. Avant qu'on ne passe à l'intervenant suivant, peut-être pouvez-vous passer la troisième diapositive.
Sylvain GRANGER
Cette diapositive illustre le fait que nous avons trois piliers. Il faut retenir de tout cela, que le principe de base de gestion du cycle de combustible nucléaire fait par EDF est d'essayer d'assurer la sécurité maximale d'approvisionnement, compte tenu de ce que nous n'avons plus de mine d'uranium naturel en France.
Pour faire cela, nous avons trois piliers : un premier pilier qui est la diversification, qui est illustré par ce transparent. Le deuxième pilier est la politique de stocks, illustré en particulier par le stock d'uranium recyclable dont je parlais tout à l'heure. Le troisième pilier est le recyclage, qui permet d'avoir à peu près 17 % d'économie d'uranium naturel, comme je l'ai illustré tout à l'heure.
En ce qui concerne la diversification des sources d'approvisionnement, au niveau des mines, c'est évident, l'intérêt de l'uranium est que cette matière est très diversifiée sur l'ensemble de la planète, avec quelques grandes régions productrices qui sont le Canada, le Kazakhstan, l'Australie et la zone Afrique, avec le Niger en particulier. Notre politique est d'avoir des contrats sur l'ensemble de ces zones, pour pouvoir diversifier notre approvisionnement et d'utiliser notre « mine française » via notre stock d'uranium recyclable.
Vous avez de la même manière, sur les plaques européennes, russes et USA, des installations de conversion, des installations d'enrichissement. Sur la plaque européenne, vous avez des installations de fabrication. Nous n'utilisons pas les installations de fabrication qui sont sur la plaque Etats-Unis. Nous essayons de gérer des filières d'approvisionnement qui soient les plus logiques possible. Si nous achetons de l'uranium kazakh, il est assez logique de faire convertir et enrichir cet uranium en Russie. En revanche, quand nous utilisons de l'uranium Niger, en général cet uranium est converti et enrichi en France. Nous avons des contrats avec l'ensemble des fournisseurs qui sont positionnés sur ces différentes zones géographiques. Nous pouvons arbitrer entre ces différents contrats, en fonction des contraintes ou des optimisations en matière de logistique ou en matière de caractéristiques d'installation. Je rappelle que pour ce qui concerne l'uranium recyclable, si nous le faisons recycler en Russie, c'est parce que la technologie d'ultracentrifugation est maîtrisée, alors qu'elle est en cours de développement en France, par exemple.
On peut passer au transparent suivant. En pratique, l'ensemble de ces échanges internationaux se réalise de la manière suivante : en amont, au niveau du contrat, c'est ce que rappelait Thomas Branche, ces contrats sont passés d'abord en bilatéral, avec EDF ou l'électricien en général, et les différents fournisseurs. Pour la zone européenne, ils sont systématiquement agréés par l'agence Euratom, qui s'assure de la sécurité d'approvisionnement à l'échelle européenne, et qui a comme principe de s'assurer de la diversification des sources d'approvisionnement.
Le deuxième point que je voudrais signaler est que les importations et les exportations de matières nucléaires sont autorisées par les services des douanes, comme toutes importations et exportations. Les informations sur les flux de matières aux frontières françaises sont disponibles sur le site Internet des douanes, ceci pour les questions d'information.
Troisièmement, pour les questions pratiques de transport, même si ce n'est pas EDF qui réalise en direct le transport, nous sommes concernés, comme le rappelait Thomas Branche : les transports sont encadrés par des réglementations internationales. Il est important de préciser ce que cela signifie en pratique. Les réglementations internationales vont vous imposer le type de matière que vous pouvez transporter, la quantité de matières que vous pouvez transporter ; en fonction de ce type et de cette quantité, les types d'emballages qu'il faut mettre. Ceux-ci sont normés par la réglementation. On ne va pas mettre n'importe quel type d'emballage pour n'importe quel type de matière.
Ensuite, en fonction du type, de la qualité des matières et des emballages, on va choisir l'équipement du bateau. Il y a ensuite tout un système d'organisation et de suivi des transports qui est prescrit. Pour illustrer cela, vous voyez sur la figure de gauche, les conteneurs qui apparaissent en noir, dans lesquels se trouve l'uranium recyclable qui est expédié en Russie. C'est ce que j'appellerai le conteneur primaire, ce conteneur d'entreposage standard quand il est à Pierrelatte. Pour le transport, il est mis dans un second conteneur qui est un conteneur parallélépipédique, qui est ici ouvert. Vous voyez que les conteneurs primaires sont calés, dans la partie supérieure notamment, par un airbag.
Quand l'uranium enrichi revient de Russie, il revient dans un autre type de conteneur, qui est présenté sur la figure du centre. C'est le conteneur qui est à l'intérieur de la coque jaune, laquelle est un conteneur de protection supplémentaire, qui est mis au moment du transport. Enfin, pour que tout soit clair, j'ai rajouté le bateau Kapitan Mironov, qui n'est pas le petit bateau noir, mais le gros bateau rouge sur la photo, qui comporte un certain nombre d'équipements spéciaux, dont un renforcement, notamment à la proue et à la poupe, et une cale spéciale pour le transport de ces matières.
Claude BIRRAUX
L'AIEA a les caméras. L'AIEA a des inspecteurs au départ, à l'arrivée. Comment vous prémunissez-vous contre les risques d'éventuels piratages ? Vous ne passez pas au large de la Somalie.
Sylvain GRANGER
Pour les questions de sécurité, le processus rappelé par Thomas Branche est mis en place. Sur la zone Europe, l'AIEA sous-traite à Euratom tout un ensemble de contrôles concernant la sécurité et le contrôle des matières. Sur les questions de sûreté, des inspections sont réalisées par l'Autorité de sûreté.
Je veux juste conclure si c'est possible. Pour résumer – c'est mon dernier slide – je serai très bref. Premièrement, je pense qu'il est important de bien faire la distinction entre déchets radioactifs et matières. Les déchets radioactifs restent en France où ils sont traités, entreposés et stockés. Pour la sécurité d'approvisionnement de la France, il est important de pouvoir avoir accès à un approvisionnement en matières et à un service de transformation de ces matières diversifiées, à l'échelon international. C'est ce que nous faisons. Dans ce cadre, les transports de ces matières sont organisés selon les réglementations internationales ; les imports et les exports sont autorisés et tracées par les pouvoirs publics. Je pense qu'il est important de se souvenir que, in fine, les matières recyclables qui sont enrichies en Russie et qui reviennent en France, permettent d'économiser, avec le recyclage du plutonium, 17 % des matières premières, que nous n'avons pas besoin d'extraire des mines.
Claude BIRRAUX
Monsieur Barandas, avec AREVA, vous êtes un des maillons de la chaîne. Vous êtes prestataire d'EDF. Quel rôle jouez-vous dans cette affaire ? L'uranium, le pauvre, sort de chez vous. Est-ce vous qui assurez la continuité ? Est-ce le propriétaire ? Je rappelle qu'EDF reste propriétaire des déchets et matières nucléaires.
Christian BARANDAS
Je vous propose une présentation qui devrait permettre d'éclairer les premiers éléments qui ont déjà été présentés. Je vais l'axer un peu plus sur les outils industriels dont nous disposons et sur la manière dont nous les pilotons.
Cette première vue est une représentation du cycle du combustible, tel qu'il a été présentée par EDF, mais il est personnalisé : nous avons représenté les outils industriels que nous avons en France pour réaliser ces opérations. Je propose de nous centrer essentiellement sur la partie aval, à partir de la sortie du réacteur, puisque notre sujet est essentiellement sur le recyclage.
Comme l'expliquait Monsieur Granger, les combustibles usés peuvent être recyclés à travers un premier outil industriel qui est l'usine de La Hague, où on sépare les déchets ultimes – à peu près 3 à 4 % - des matières énergétiques qui peuvent être utilisées. Ces déchets sont appelés produits de fission. Ils sont conditionnés de façon sûre pour leur entreposage, puis stockage. La première des matières valorisables est le plutonium qui représente 1 % et qui est recyclé dans l'usine Melox, sous forme de combustibles de MOX. Aujourd'hui, c'est une réalité industrielle. Vingt et un réacteurs EDF sont moxés, trente-six réacteurs en Europe le sont aussi. Nous avons un plan actuellement avec les électriciens Japonais qui va nous permettre aussi de « moxer » une majorité de leurs réacteurs. C'est donc une réalité industrielle.
Le deuxième sujet est celui que nous avons déjà évoqué : l'uranium de recyclage, qui représente à peu près 95 % du combustible usé. Comme cela a été dit rapidement, cet uranium de recyclage est transféré sur le site de Pierrelatte, où il est mis sous une forme solide, sous forme de poudre, et entreposé de façon intérimaire. Nous n'avons pas en France les outils pour pouvoir le recycler directement. Pourquoi ? Pour le recycler, il faut faire deux choses. Il faut lui faire subir un peu les mêmes opérations que l'uranium naturel. Il faut le retransformer chimiquement, le mettre sous une forme qui permette l'enrichissement. Cette forme c'est UF 6. C'est ce que font les usines de conversion. Vous voyez sur le transparent les usines de conversion que nous avons : ce sont les usines de Comurhex. Ces usines sont adaptées pour l'uranium naturel. Elles ne sont pas faites pour l'uranium de retraitement.
Nous avons un projet qui s'appelle le projet URT2. C'est un projet que nous pourrons déployer, que nous pourrons construire. Nous sommes actuellement en discussion avec nos clients. Il faut que nos clients acceptent notre projet, acceptent de contractualiser, pour qu'il puisse être réalisé dans le futur.
Claude BIRRAUX
Vous ne pouvez pas, parce qu'il faut une ligne spécifique. Pourquoi faut-il une ligne spécifique ? Parce qu'il y a de l'uranium 232, 234, et que cela demanderait un pilotage spécial pour l'ensemble du combustible.
Christian BARANDAS
Je voudrais apporter des précisions. Uranium naturel, uranium de recyclage: on a dit que c'était quand même un petit peu différent. Il est vrai que leurs capacités énergétiques sont à peu près comparables. Mais, l'uranium de recyclage contient des isotopes un peu particuliers, ce qui fait que sur le plan de la radioprotection, il doit être traité de manière un peu différente. Les installations pour l'uranium naturel comme celles de conversion ne sont pas adaptées pour l'uranium de recyclage. Par contre, on sait très bien construire des installations adaptées pour cela.
Le deuxième outil que nous n'avions pas jusqu'à maintenant est l'outil d'enrichissement. Comme il a été dit, AREVA utilise la technique de diffusion gazeuse, qui est tout à fait adaptée pour l'uranium naturel, mais qui n'est pas adaptée pour l'uranium de retraitement, compte tenu des hold-up importants de matière qu'il y a dans ce type d'usine. Par contre, avec la nouvelle usine Georges Besse II qui est l'usine basée sur la technique de centrifugation, nous avons l'outil qui nous permettra de faire l'enrichissement de l'uranium de recyclage.
Claude BIRRAUX
Qu'entendez-vous par hold-up ?
Christian BARANDAS
Des quantités importantes de produit sont mobilisées dans des usines d'enrichissement par diffusion gazeuse. En fait, c'est une usine « tuyau ». Vous imaginez qu'il y a des quantités de produits qui sont extrêmement importantes. Ce n'est pas adapté pour l'uranium de retraitement, car l'ensemble du produit serait mélangé entre uranium de retraitement et uranium naturel, alors qu'avec la centrifugation, on est sur des concepts beaucoup plus modulaires. Elle est plus adaptée à l'enrichissement de l'uranium de recyclage. C'est pour cela que la filière de recyclage utilise des outils qui ne sont pas ceux de l'uranium naturel. Elle utilise des outils qui n'existent pas en France, car nous n'avons pas les outils de conversion, ni les outils d'enrichissement. Demain, il y aura une possibilité, si nos clients sont attirés par cette solution, de pouvoir le faire dans le cadre d'une filière française adaptée.
Claude BIRRAUX
Puisque URENCO fait de l'ultracentrifugation aux Pays-Bas, pourquoi ne lui avez-vous pas demandé de traiter votre uranium de recyclage ?
Christian BARANDAS
L'uranium de recyclage est la propriété du client électricien. C'est donc le client électricien qui choisit l'opérateur.
Claude BIRRAUX
Monsieur Granger, pourquoi n'avez-vous pas choisi URENCO ? C'était moins loin que Tomsk.
Sylvain GRANGER
Il se trouve que nous l'avons fait. De mémoire, cela fait deux ans, je crois, que nous travaillons avec les Russes. Avant, lorsque nous avons repris les contrats en direct, après le groupe Cogema, nous avons commencé à travailler avec URENCO. Effectivement, vous avez raison, l'enrichissement se pratiquait aux Pays-Bas, puisque c'est une installation qui permet également de faire l'enrichissement de l'uranium de recyclage. Il y a différentes raisons au changement. Je crois me souvenir qu'à l'époque, nous pratiquions la conversion encore chez Areva.
Claude BIRRAUX
Si je ne vous pose pas la question, vous ne me parlez pas d'URENCO aux Pays-Bas. Y a-t-il encore d'autres lieux où vous faites enrichir cet uranium ? En Grande-Bretagne ?
Sylvain GRANGER
L'uranium de recyclage nécessite, au niveau de l'installation d'enrichissement, d'avoir une ligne particulière, pour les raisons qui ont été évoquées. A priori, toute installation qui fonctionne sur l'ultracentrifugation peut avoir une ligne particulière, qui est adaptée, et qui permet de réaliser cette opération. URENCO a adapté son usine des Pays-Bas ; les usines anglaises et allemandes ne sont pas adaptées.
Claude BIRRAUX
Cela ne veut pas dire qu'elles ne peuvent pas l'être. Poursuivez Monsieur Barandas.
Christian BARANDAS
Je voudrais rappeler l'intérêt du recyclage, parce que c'est important, lorsqu'on va parler de nos mines qui ont été évoquées par Monsieur Granger. Il y a le recyclage du plutonium, une matière hautement énergétique - c'est le combustible MOX ; et le recyclage de l'uranium qui représente 95 % du combustible usé, et qui est réintroduit aussi dans la fabrication de combustible. Il faut savoir que chaque tonne d'uranium de recyclage utilisée, c'est une tonne d'uranium naturel économisée, puisque l'enrichissement résiduel de cet uranium de recyclage est comparable à l'uranium naturel. Si on recycle le combustible usé sous cette forme, c'est 20 à 25 % de matières premières qui sont économisées.
Dit différemment, chaque fois qu'on recycle huit combustibles usés, on sait faire deux combustibles neufs avec ces matières, ce qui n'est pas négligeable. On pourra aller bien au-delà, avec les générateurs de génération IV, tel que l'a évoqué tout à l'heure Monsieur Béhar. Je rappelle qu'il y a d'autres avantages : réduction du volume des déchets d'un facteur 5 ; la toxicité réduite d'un facteur 10, puisqu'on extrait le plutonium, alors qu'autrement il reste dans le combustible usé. On fait des déchets utiles qui sont facilement stockables, compte tenu du fait qu'ils sont conditionnés dans des conteneurs universels qui permettent leur manutention.
L'opération d'enrichissement vise, à partir d'uranium naturel ou d'uranium de retraitement – c'est à peu près la même chose – qui contient 0,7 % d'uranium 235, à l'amener autour de 3,7 ou 4 %. Cela dépend des caractéristiques du réacteur. Pour cela, l'usine d'enrichissement va consommer du travail qui se mesure en UTS. Cela veut dire : « unité de travail de séparation ». Cette unité, complexe, permet de caractériser le travail qui va être réalisé dans l'usine d'enrichissement, et de mesurer à partir de là les coûts à facturer.
Quand on enrichit cet uranium, deux flux se forment : un flux d'enrichi et un flux d'appauvri, tels qu'on l'évoquait, entre 0,2 et 0,3 %. Le choix du niveau d'appauvrissement est en fait dicté par des considérations économiques. Finalement, on a plusieurs manières d'utiliser l'usine d'enrichissement :
- si l'uranium n'est pas très cher, et les UTS très coûteuses, il s'agira d'utiliser beaucoup d'uranium. C'est le cas que vous voyez en rouge : pour faire un kilo d'uranium enrichi, il faut consommer 8,3 kilos d'uranium naturel, apporter 4,7 UTS, et l'on obtient ainsi 7,3 kilos d'uranium avec un appauvrissement relativement peu élevé à 0,3 % ; on laisse alors encore beaucoup de valeur énergétique dans l'uranium appauvri ;
- si, par contre, on est dans un contexte où l'uranium naturel est très cher, et les UTS pas très chères, on va, au contraire, se mettre dans le cas bleu : on va essayer d'appauvrir considérablement l'uranium naturel, on va en consommer moins, on va consommer plus d'UTS ; par contre, il restera un peu moins aussi d'uranium appauvri.
Claude BIRRAUX
Je comprends bien ce calcul, mais quelle est votre option aujourd'hui ? Combien laissez-vous aux Russes ? 0,2 ? 0,3 ? Dans quelles conditions est-ce stocké ? Après, vous êtes au-delà de la ligne d'horizon, et vous ne voyez plus rien.
Christian BARANDAS
Je vais répondre aux questions. Ce que je voulais surtout illustrer là, c'est que le choix d'appauvrir plus ou moins l'uranium est dicté par des considérations économiques qui changent avec le temps, qui sont le coût des UTS et le coût de l'uranium. Le choix est fait avec le client. Quand celui-ci nous passe une prestation de service d'enrichissement, on définit quel va être le taux de rejet.
Ce que je veux illustrer là - cela répondra à votre question – c'est qu'on voit très bien que l'uranium appauvri a une valeur énergétique. Comme on le disait, quand il est à 0,3 %, il contient encore, en gros, un tiers de la capacité énergétique qu'il avait initialement. C'est un produit qui, en fonction des conditions économiques, peut être réutilisé. D'ailleurs, une partie de cet uranium appauvri est aujourd'hui recyclée. On en a recyclé, entre autres, quand l'uranium était très cher, beaucoup plus cher qu'actuellement.
Claude BIRRAUX
L'épicerie, c'est compliqué. L'épicier est ROSATOM, ce sont les Russes. Vous allez lui en racheter. Que lui rachetez-vous ? Dans les conditions d'aujourd'hui, allez-vous à 0,2 ou 0,3 ?
Sylvain GRANGER
Dans les conditions d'aujourd'hui, nous sommes, en fait, au milieu de la fourchette, c'est-à-dire à 0,25. Historiquement, Christian Barandas a raison. Les valeurs de taux de rejet, principalement pour l'uranium naturel ont évolué entre 0,2 et 0,3. Je dis principalement pour l'uranium naturel, car l'arbitrage est beaucoup plus sensible pour l'enrichissement de l'uranium naturel, puisqu'il y a un arbitrage immédiat, en fonction des coûts de l'uranium naturel. En revanche, sur l'uranium de recyclage, nous nous sommes mis sur le milieu de la fourchette. C'est une valeur raisonnable, et cela n'a pas beaucoup bougé.
Claude BIRRAUX
Monsieur Barandas, avez-vous terminé ?
Christian BARANDAS
Je voudrais vous donner une illustration des entreposages d'uranium appauvri et d'uranium de recyclage. Ce sont des matières recyclables, pas des déchets. Vous avez ici une représentation de l'entreposage d'uranium appauvri qui se fait sur deux sites : le site de Bessine, à côté de Limoges, où il y a aujourd'hui 100 400 tonnes d'uranium appauvri ; et le site du Tricastin où il y en a 158 400. Cet uranium appauvri appartient à l'enrichisseur. C'est la propriété d'Areva. En fonction des conditions économiques du marché, cet uranium appauvri peut être réenrichi. Il en sort de l'uranium naturel. Dans un premier temps, tant qu'on est dans la filière des réacteurs que nous connaissons, où le pilotage est plutôt en valeur en U5
Claude BIRRAUX
Celui-là est du recyclage, première génération.
Christian BARANDAS
C'est de l'uranium naturel, qui n'a pas vu le réacteur. Celui-ci peut être réutilisé dans la filière qu'on connaît aujourd'hui, en fonction de sa valeur en U5. Demain, il pourrait être recyclé de manière beaucoup plus importante dans les réacteurs de génération IV, dans les surgénérateurs, compte tenu du fait qu'il y a beaucoup d'uranium 238 dans cette matière. C'est la première mine.
Claude BIRRAUX
En êtes-vous le propriétaire ?
Christian BARANDAS
Nous en sommes le propriétaire, puisqu'en tant qu'enrichisseur, comme cela a été dit, nous récupérons l'uranium appauvri issu de l'opération d'enrichissement.
Dernier transparent. L'illustration montre comment est entreposé l'uranium de retraitement dans ces conteneurs bleus que vous voyez ici, sur plusieurs niveaux. L'entreposage se fait majoritairement sur le site de Tricastin. Cela représentait 23 000 tonnes d'uranium au 31 décembre 2008. Ce ne sont pas des appauvris, c'est véritablement de l'uranium de retraitement qui n'a pas encore été recyclé, et qui a un enrichissement résiduel, qui est de l'ordre de l'uranium naturel. Cette ligne peut être utilisée à tout moment. Vous avez bien compris que nous n'avons pas aujourd'hui d'appauvri URT issu d'une opération d'enrichissement, puisque nous n'avons pas d'usine d'enrichissement d'URT.
Claude BIRRAUX
Monsieur Repussard, avec l'IRSN vous êtes en charge du contrôle des accords internationaux, de la surveillance. Expliquez-nous.
Jacques REPUSSARD
Moi aussi, Monsieur le Président, j'ai quatre vues qui peuvent être montrées. Je voudrais commencer par rappeler la place de l'IRSN dans le système national de gestion des risques nucléaires et radiologiques. C'est une question qui est souvent posée. Tel que le dispositif est issu des réformes qui se sont succédées depuis 2000, et en dernier lieu en 2006 avec la loi transparence et sécurité nucléaire, il y a quatre grands acteurs : l'exploitant, d'abord, qui est responsable des opérations qu'il conduit. Deuxièmement, s'agissant d'opérations qui génèrent des risques, il faut qu'elles soient autorisées : c'est le rôle des autorités publiques avec les ministères d'une part, et l'Autorité de sûreté nucléaire qui est une autorité administrative indépendante. ces autorités sont en charge globalement des réglementations et du contrôle.
Ce contrôle des installations et activités nucléaires présente une caractéristique particulière : il n'est pas, contrairement à d'autres domaines, encadré par des prescriptions réglementaires détaillées. La réglementation conserve un caractère assez général, et fixe les objectifs à atteindre. Il appartient à l'exploitant de démontrer comment il atteint cet objectif. S'agissant d'une démonstration technique qui repose sur des bases scientifiques, souvent complexes, il y a, dans le système national, un acteur, l'IRSN, qui est en charge de l'appréciation de ces dossiers de démonstration par rapport aux objectifs réglementaires, et par rapport à l'état de l'art en sûreté.
L'IRSN est saisi régulièrement par les autorités : l'ASN, son équivalent en défense, le DSND, et le Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité évoqué tout à l'heure pour les questions de contrôle des matières nucléaires. Nous remettons des avis à ces autorités après avoir, en tant que de besoin, dialogué avec l'exploitant ou le responsable des transports.
La loi de 2006 a ajouté un quatrième pilier, qui est le pilier de la transparence, en donnant un rôle aux acteurs de la société civile, à travers les CLI et le Haut comité que préside le président Revol. Dans ce schéma, la transparence, qui est une des innovations de la loi, implique des échanges nourris entre les quatre partenaires, dont les parties prenantes, c'est-à-dire les mouvements associatifs, mais aussi les élus et les parlementaires.
Il ne s'agit pas de transparence spectaculaire et médiatisée ; il s'agit d'une transparence technique, qui suppose que les différents acteurs des quatre piliers s'investissent sur les sujets, lisent les documents, les comprennent, posent les questions et partagent un certain nombre d'informations.
Concernant la question posée sur l'uranium de retraitement, du point de vue de l'IRSN – vous avez compris que l'IRSN, c'est l'appréciation des risques – l'enrichissement à l'étranger est une pratique ancienne, et qui n'est pas qu'une pratique française. C'est une pratique licite, au regard de la réglementation nationale et des accords et conventions internationaux. La France ou les opérateurs français ne font d'ailleurs pas enrichir en Russie que de l'uranium de retraitement. On fait aussi enrichir de l'uranium issu directement de la filière naturelle. Il y a une offre, cela a été expliqué. Il y a un besoin de diversification des acteurs français. Il y a des plates-formes technologiques étrangères qui ont une offre, qui sont plus ou moins attractives, et qui proposent des prix différents. Ce marché s'organise, et s'il est parfaitement licite, il est aussi sujet à contrôle. Il n'y a aucune activité illégale, contrairement à ce qu'on a pu lire dans certains journaux.
En revanche, on peut toujours se poser la question – c'est le sens de cette audition – sur l'opportunité de ces pratiques : il faut l'apprécier au regard de trois critères. L'IRSN n'est directement concernés que par le troisième.
Le premier est celui de l'enjeu économique : c'est le jeu de l'offre et de la demande. Cela a été très bien expliqué. Ce qu'il faut comprendre s'agissant de la Russie, c'est qu'après le démantèlement de l'Union Soviétique, la Russie s'est trouvée à la tête d'une capacité d'enrichissement phénoménale, qui était liée à l'industrie de défense. Par ailleurs, elle a été coupée pendant un certain temps des mines d'uranium qui se trouvaient dans les Républiques qui ne faisaient plus partie de la Russie.
La Russie avait une offre d'enrichissement et un déficit d'uranium. Elle était donc très intéressée à des contrats avec un pays comme la France qui, lui, avait besoin de compléter sa capacité d'enrichissement pour les raisons qui ont été expliquées : à la fois pour l'uranium de retraitement, mais aussi pour l'uranium naturel. Les opérateurs français avaient des besoins de diversification. Tout était donc en place pour que ce marché fonctionne bien. Jusqu'à présent, cet enjeu économique a conduit à la réalisation de ces contrats. Mais cela peut changer à l'avenir.
Le second sujet est celui de l'enjeu éthique, puisque l'enrichisseur prend possession du solde de l'enrichissement, c'est-à-dire de l'uranium appauvri s'il s'agit de l'uranium de retraitement, ou de l'uranium ultra-appauvri dans le cas du second enrichissement d'uranium naturel. Cet uranium reste dans le pays d'enrichissement. Il a une valeur énergétique, mais à condition de s'en servir effectivement pour cela, et dans un délai raisonnable.
De ce point de vue, la Russie et la France sont deux pays qui, d'une manière très officielle, ont une politique de fermeture du cycle et de développement de réacteur de quatrième génération, ces deux pratiques énergétiques supposant l'utilisation d'uranium appauvri, en tout état de cause. On peut donc comprendre qu'il ne s'agit pas de déchets, et que l'uranium appauvri doit être stocké, comme on l'a vu, de manière tout à fait sûre, et dans des conditions telles qu'on puisse le réutiliser le moment venu. Ceci est absolument clé, et il faut s'assurer que cela reste dans l'avenir. Pour ce qui est en France, c'est de la responsabilité nationale ; pour ce qui est en Russie, c'est l'affaire des Russes. Je pense donc que cet question éthique (déchet matière valorisable) n'existe pas dans la situation évoquée aujourd'hui, compte tenu de la politique énergétique aussi bien en France qu'en Russie.
Troisièmement, cette pratique d'enrichissement à l'étranger génère des risques : on transporte des matières radioactives. Quels sont les risques ? Y a-t-il un transfert de risques vers la Russie? C'est aussi presque un point d'éthique. Nous passons au transparent suivant. Pour apprécier ces risques, il faut regarder trois choses : à quel moment ces risques interviennent ? De quoi il s'agit ? Quels sont ces risques selon les différentes matières en cause ?
Sur la nature des risques, il y a évidemment le transport, puisqu'on transporte du Havre ou de Cherbourg, de Pierrelatte au Havre, etc., jusqu'en Russie, via Saint-Pétersbourg. Ensuite, il y a un processus industriel d'enrichissement dans le pays, à Tomsk, ou dans d'autres usines. Il y a ensuite l'entreposage. Les matières en cause ont une importance, à cause de la nature des risques.
Evoquons d'abord la nature des risques. Vous avez cité tout à l'heure le risque de vol ou de détournement de matières. Il y a le risque radiologique, en particulier pour les personnes qui travaillent autour de ces matières. Il y a enfin un risque chimique, dans certains cas, du fait de la nature des matières en cause.
Quand l'uranium de retraitement sort de l'usine de La Hague, c'est un produit liquide, qui s'appelle du nitrate d'uranyle, produit peu réactif, liquide, froid, assez visqueux, qui ne présente pas de grands risques chimiques en cas d'accident.
Il en va différemment de l'hexafluorure d'uranium, qui est le composé permettant le processus d'enrichissement. Ce composé se trouve sous forme solide à la température ambiante. Dans les conteneurs que nous avons vus sur les photos, c'est un solide à l'intérieur qui n'est pas réactif spontanément, mais si on chauffe vers 50 ou 60 degrés, cela devient gazeux, avec une réaction potentiellement exothermique en cas d'incendie. Il y a un risque de nature chimique, car le fluor génère des substances toxiques en cas d'inhalation. Et bien sûr, c'est un produit radioactif.
La troisième forme chimique est la plus stable. Le stockage de l'hexafluorure d'uranium, on le voit, n'est pas l'idéal. Il vaut mieux le stocker – c'est ce qui est fait en France – sous forme d'oxyde d'uranium, obtenu par une conversion chimique. Ce sont les conteneurs bleus que nous avons vus tout à l'heure. Ce produit est très stable, et peut être stocké en l'état, sans risque de nature chimique ou radiologique particulier, et on peut le retransformer en hexafluorure pour l'enrichissement.
Voilà la grille d'analyse des risques. Je vais passer la parole à Jérôme Joly qui va vous expliquer, en particulier sur les transports, la nature des contrôles qui sont effectués, contrôles qui visent à prévenir les risques de détournement de matières, et les risques radiologiques.
Jérôme JOLY
Si l'on s'intéresse aux risques de sûreté accidentels : il est transporté entre la France et la Russie de l'uranium de retraitement, sous forme d'oxyde. Il y a quelques années, c'était sous forme d'UF6. Cela fait quatre ou cinq ans que cela a changé. En 1984, c'était encore sous forme d'UF6. Tout le monde se rappelle de l'incident du Mont-Louis : un bateau transportant de l'UF6 entre la France et la Russie qui avait coulé au large de Zeebrugge. A cette époque-là, les recherches sur la résistance de ces emballages ont été relancées et ont conduit à une nette amélioration de la sûreté de ces transports. Les transports d'appauvri, d'uranium sous forme d'UF6, ont été renforcés, en particulier à la résistance au feu, suite aux études faites, de façon commune entre la France et le Japon. Tout cet UF6 est transporté dans des emballages qui reçoivent un agrément par l'autorité compétente du pays qui a délivré le certificat de type de l'emballage. On va retrouver des certificats.
Pour l'UF6 appauvri ou contenant de l'URT, ce sont des emballages qui doivent résister aux conditions normales de transport : aux chutes libres sur une surface indéformable jusqu'à 1,20 mètre ; au feu de 800°C d'une demi-heure ; à des surpressions, du fait que l'hexafluorure d'uranium change de forme physique quand on le chauffe.
Quand il revient, il est enrichi. Il y a un risque supplémentaire lié à la criticité. Il est transporté dans des emballages plus petits, que sont les emballages 30 B. Du fait du risque