M. Étienne Pinte attire l'attention de Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le détournement de la loi créant le statut d'auto-entrepreneur. Il est constaté qu'un certain nombre de commerçants, notamment sur les marchés qui emploient régulièrement à la journée des salariés une journée par semaine, souvent des jeunes, transforment, parfois même à leur insu, leur statut en auto-entrepreneur. Les intéressés découvrent ainsi qu'ils ont des charges supplémentaires à payer, les commerçants, eux, allégeant ainsi leurs charges sociales. Les services fiscaux des Yvelines constatent ainsi une hausse non négligeable de ce type de pratiques. Il lui demande quelles mesures elle compte prendre pour remédier à cette situation.
Le régime de l'auto-entrepreneur a été créé pour simplifier la création d'entreprises individuelles. Comme tous les entrepreneurs individuels, les auto-entrepreneurs sont des travailleurs indépendants. Une activité indépendante se caractérise notamment par le fait que celui qui l'exerce a pris librement l'initiative de la créer ou de la reprendre et qu'il conserve, pour son exercice, la maîtrise de l'organisation des tâches à effectuer ainsi que de la recherche de la clientèle et des fournisseurs. Tout autre est donc la situation de personnes, salariées ou engagées dans un processus de recherche d'emploi, à qui l'on demande de se déclarer comme auto-entrepreneur alors qu'elles travaillent en pratique sous l'autorité de leur ex-employeur ou de leur recruteur. Dans ce cas, la relation contractuelle peut, sous réserve de l'interprétation souveraine du juge, être requalifiée en contrat de travail. Il existe, certes, un principe juridique de présomption simple d'absence de contrat de travail, lorsqu'une entreprise est régulièrement immatriculée ou déclarée (L. 8221-6 du code du travail), sachant que les auto-entrepreneurs sont dispensés de l'obligation d'immatriculation (sauf s'ils exercent une activité artisanale à titre principal), mais non de l'obligation de déclaration d'activité. Toutefois, et selon une jurisprudence constante, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la qualification donnée (salaires, honoraires, indemnités...), mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur. Est ainsi considéré comme salarié celui qui accomplit un travail pour un employeur dans un lien de subordination juridique permanent. Il est défini comme « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. soc 13 novembre 1996 - Société générale). En cas de présomption grave d'externalisation abusive d'emploi salarié en auto-entrepreneur, il existe un important arsenal pour poursuivre et sanctionner ce type d'abus de droit : 1° l'action en requalification du contrat peut être introduite par un auto-entrepreneur devant le conseil des prud'hommes s'il conteste le caractère indépendant de la relation contractuelle qui le lie à son donneur d'ordre, et estime ainsi être de facto lié par un contrat de travail. Aux prud'hommes, la preuve est faite par tous moyens. Le juge prend sa décision par intime conviction, après avoir analysé la relation concrète qui lie les parties selon la méthode dite du « faisceau d'indices ». Si la requalification est prononcée, elle se traduit par : le paiement des salaires (avec les heures supplémentaires le cas échéant), primes, congés, indemnités de toute nature correspondant à un poste de salarié équivalent, et ce depuis le début avéré de la relation de travail (en tout état de cause, le salaire ne peut être inférieur au SMIC ou au minimum conventionnel s'il y en a un) ; l'octroi de dommages et intérêts pour préjudice matériel ou moral ; le paiement des cotisations sociales du régime général pour toute la durée de la relation contractuelle. 2° Le fait de maquiller sciemment une relation salariale en contrat d'entreprise ou de régie ou en paiement en honoraires de prestations de service ponctuelles ou régulières pour échapper à ses obligations d'employeur est équivalent à faire travailler un salarié de façon non déclarée ou sous-déclarée. Il est donc constitutif du délit de travail dissimulé, dans les conditions précisées à l'article L. 8221-6-II du code du travail. Il s'agit de l'une des infractions du code du travail les plus lourdement sanctionnées. Les poursuites peuvent être engagées par le parquet à la suite d'un procès-verbal d'un corps de contrôle (inspection du travail, URSSAF, police, gendarmerie, services fiscaux) ou d'un dépôt de plainte de salarié ou d'une organisation syndicale, ou encore d'une citation directe par le salarié auprès du procureur de la République. L'infraction de travail dissimulé peut donner lieu à de lourdes sanctions pénales (trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, voire plus si la victime est mineure), administratives (inéligibilité aux aides à l'emploi et à la formation professionnelle ainsi qu'à l'accès aux marchés publics), et civiles (à l'instar de l'action civile en requalification susmentionnée). D'autres sanctions pénales peuvent d'ailleurs être prononcés au surplus, selon les situations rencontrées, telles que : l'abus de vulnérabilité (art. 225-13 et 14 du code pénal) si, par exemple, l'employeur est convaincu d'avoir abusé de la faiblesse intellectuelle, de la situation sociale ou économique du salarié ou encore de son manque de maîtrise de la langue française, ou d'avoir procédé à des pressions à son encontre, ou si le salarié est soumis à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine ; l'emploi irrégulier d'étrangers, si le salarié est un étranger dépourvu d'autorisation de travail (art. L. 8251-1 du code du travail). Les pouvoirs publics sont mobilisés sur cette question. Le Gouvernement a entrepris de renforcer l'information sur le caractère illégal et les risques de toute pratique visant à dissimuler une relation salariale de subordination sous la forme d'une relation commerciale de sous-traitance, et demandé que des contrôles soient effectués par les différents services concernés afin de vérifier le respect du droit rappelé ci-dessus. À ce jour, sous l'égide de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude et de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, plus de 1 500 contrôles sur la situation d'auto-entrepreneurs ont été effectués au niveau national, auxquels il convient d'ajouter 1 000 contrôles réalisés par l'URSSAF de Paris, ainsi que des enquêtes plus ciblées, qui peuvent être réalisées à l'occasion de contrôles inopinés ou de signalements, par l'inspection du travail, les services fiscaux, la police ou la gendarmerie. Les services de contrôle poursuivent ces opérations dans le cadre du programme de lutte contre la fraude, et un bilan en sera tiré.
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