M. Christophe Priou attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement sur la situation des propriétaires de moulins à eau. Selon les présentations des services du ministère, la présence des 60 000 chaussées de moulins à eau de France serait la cause d'une rupture de la continuité biologique entre les grands ensembles naturels et dans les milieux aquatiques, notion introduite en 2000 par la directive-cadre sur l'eau. Pour améliorer ou rétablir cette continuité biologique il est préconisé d'effacer ou abaisser les ouvrages. Cette interprétation de la directive-cadre européenne n'est pas sans conséquences sur le terrain et suscite de très vives inquiétudes dans toute la France. Araser les chaussées de moulins ne contribuera pas à améliorer la qualité de l'eau des rivières mais seulement à déplacer le problème en privant les Français de la capacité motrice de cette énergie renouvelable dont les équipements existants et inscrits dans le paysage depuis près d'un millénaire tout en disposant d'autorisations réglementaires toujours en vigueur (depuis 1789). De telles modifications entraîneraient une perturbation instantanée d'un équilibre écologique en place depuis très longtemps, générant des désordres que nul ne peut prévoir. Il n'a jamais été démontré scientifiquement que le retour à l'état sauvage des cours d'eau entraînerait une meilleure qualité de l'eau. Il lui demande donc quelles mesures seront retenues pour ne pas bouleverser définitivement nos paysages familiers, hérités, façonnés, entretenus notamment par les usiniers des moulins à eau, pendant plus de cinq siècles durant lesquels nul n'a contesté leur présence et leur utilité.
La directive cadre sur l'eau du 23 octobre 2000 (DCE) impose d'appréhender la qualité de l'eau, non plus seulement dans sa dimension chimique, mais aussi dans sa dimension écologique. Cette dimension nouvelle implique la réorientation de la politique de l'eau en France vers une meilleure prise en compte des impacts sur la circulation des espèces aquatiques et sur le transport sédimentaire, c'est-à-dire sur les fonctionnalités naturelles des cours d'eau. Il a été évalué que les barrages et endiguements de cours d'eau seraient responsables d'environ 50 % des risques de non-atteinte du bon état des eaux en 2015. La restauration de la continuité écologique est donc indispensable au respect des objectifs de la DCE. Toutefois, la question du maintien ou non des barrages présents dans les rivières ne peut pas trouver de réponse générale de principe, dans un sens comme dans l'autre. C'est pourquoi le Gouvernement a lancé en novembre 2009 un plan national de restauration de la continuité écologique dont la mise en oeuvre progressive et hiérarchisée est encadrée par la circulaire du 25 janvier 2010. Cette circulaire fixe les priorités d'interventions au regard de l'enjeu majeur de la protection des cours d'eau à grands migrateurs amphihalins (plus particulièrement à anguilles dont la restauration répond à un règlement européen de 2007), de la réponse aux objectifs et aux programmes de mesure des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), et des gains écologiques attendus des interventions pour l'atteinte du bon état. Le plan de restauration de la continuité écologique ne saurait être réduit à un plan d'effacement systématique des moulins. Dans l'esprit du Grenelle de l'environnement, la circulaire fixe un objectif de 1 200 ouvrages dont l'influence sur la continuité écologique doit être prioritairement supprimée, soit par un aménagement, soit par un démantèlement, d'ici à 2012. Cet objectif est à rapprocher des 60 000 ouvrages recensés sur les cours d'eau métropolitains, dont environ 10 % seulement ont un usage identifié. Il impose de doubler le rythme annuel actuel de ces actions de suppression d'obstacles à la continuité écologique. Il s'agit donc d'un objectif à la fois ambitieux et mesuré. Les moulins en bon état, exploités, et dont le droit est reconnu, ne sont pas remis en cause par ce plan d'action. La circulaire préconise des mesures hiérarchisées, concertées, adaptées au cas par cas et visant en priorité le maintien des usages. Elle indique que, dès lors qu'un ouvrage a un usage identifié, et qu'il est actuellement autorisé, exploité et géré, notamment lorsque cet usage est hydroélectrique, l'intervention à privilégier doit concilier le maintien de cet ouvrage ainsi que son ou ses usages, avec la restauration d'un niveau de continuité écologique partiel mais dont l'efficacité est suffisante. Dans ce cadre, l'arasement des ouvrages n'est qu'une solution parmi d'autres, réservée en priorité aux ouvrages abandonnés ou sans usage. La circulaire insiste également sur l'importance de la prise en charge des opérations de restauration de la continuité écologique à l'échelle d'un cours d'eau par une collectivité publique, facilitant ainsi l'approche globale, la conciliation et la définition plus adaptée des interventions sur chaque barrage. Selon les témoignages des élus locaux porteurs de ces opérations, la concertation, l'information, l'écoute des riverains et des propriétaires de seuils ont été à chaque fois privilégiées et sont considérées comme indispensables à la réussite des projets. Il convient toutefois de préciser que l'obligation d'aménager les ouvrages dans les cinq ans sur les cours d'eau classés dans cet objectif est imposée par la loi. Ces opérations sont éligibles aux aides des agences de l'eau. De nombreuses expériences diversifiées en matière de restauration de cours d'eau ont déjà eu lieu. Elles sont toutes détaillées dans un « recueil d'expériences sur l'hydromorphologie » réalisé par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et accessible sur son site Internet : http ://wwvv.onema.fr/recueil_restauration_hydromorphologie. La consultation de ces expériences par les acteurs intéressés devrait apporter des réponses à la plupart des questions qu'ils se posent. Elles montrent parfaitement l'importance de la concertation, l'adaptation des mesures aux enjeux et au contexte local, l'absence de remise en cause d'un véritable patrimoine hydraulique et l'intérêt écologique de la démarche globale de restauration des cours d'eau. Enfin, il convient de relativiser les atouts des chaussées et barrages anciens que les défenseurs des moulins mettent régulièrement en avant. Certains d'entre eux, fonctionnels et entretenus, peuvent légitimement représenter un patrimoine local historique et parfois même un élément du paysage ayant éventuellement créé une zone humide. La circulaire préconise d'ailleurs de prendre en compte cet intérêt patrimonial dans le choix d'intervention. Cependant, dans leur ensemble, abandonnés et non exploités ces ouvrages ont plus d'effets négatifs que bénéfiques. N'ayant pas de réelle capacité de stockage, ils ne permettent pas de réguler les crues ou les étiages. En outre, tous les seuils présents dans les rivières ne peuvent pas faire l'objet d'un équipement hydroélectrique, soit pour des raisons administratives d'abandon, de ruine, d'absence d'autorisation, de gestionnaires multiples, de propriété dispersée, soit pour des raisons économiques, soit encore, en raison de la faiblesse de l'intérêt énergétique du site au regard des enjeux de restauration des milieux aquatiques concernés. La réhabilitation systématique de l'ensemble des moulins n'est pas une solution pertinente pour le développement de l'énergie hydraulique renouvelable. Pour une production supplémentaire qui resterait très limitée, leur nombre cumulé serait incompatible avec l'atteinte du bon état des cours d'eau et avec le respect de la préservation et de la restauration des milieux aquatiques, notamment des migrateurs amphihalins. Cette réhabilitation doit donc également se traiter au cas par cas.
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