M. André Gerin attire l'attention de M. le ministre de la défense sur les traités de partenariat qui viennent d'être conclus avec la Grande-Bretagne. Il s'agit de la création d'une « force expéditionnaire conjointe » de plusieurs milliers d'hommes, mobilisable pour des opérations extérieures bilatérales ou sous drapeaux de l'OTAN, de l'ONU ou de l'Union européenne. S'il est rappelé que chacune des nations contractantes demeure libre de ses choix, nous sommes en droit de nous demander de quels types d'opérations extérieures il peut s'agir. Nul n'ignore les approches géostratégiques différentes de la Grande-Bretagne et de notre pays. Nos voisins d'outre-Manche se sont ainsi engagés sans réserve aux côtés des États-unis pour conduire la guerre en Irak, sous des prétextes initiaux - la présence d'armes de destructions massives - aujourd'hui démentis. La France non seulement ne s'est pas rangée aux côtés de cette coalition mais a combattu à l'ONU cette décision de guerre. Certes notre pays a rejoint le commandement intégré de l'OTAN en rupture avec tout ce qui avait fondé sa stratégie originale et sa vision du monde. Ces accords de défense avec la Grande-Bretagne font craindre des allégeances encore plus grandes à l'égard de l'OTAN et des États-unis, l'engagement de notre pays dans des aventures militaires que nous avons jusqu'à présent combattues. Le maintien de notre présence en Afghanistan est un exemple de cette dérive. En plus de la force conjointe, Paris et Londres partageront, à partir de 2020, leurs deux porte-avions afin de permettre à l'un des pays d'opérer à partir du navire de son voisin, ce qui revient à dire que nous serions susceptibles d'intervenir, par la mise à disposition du Charles-de-Gaulle, dans des opérations où nos forces ne seraient pas engagées et que nous pourrions ne pas approuver. Plus grave encore est le second traité concernant la coopération technologique sur le nucléaire militaire. La France va ainsi permettre aux Britanniques de vérifier l'état des matières destinées à leurs ogives en leur offrant l'accès aux technologies du site de Valduc en Bourgogne, rattaché à la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). De la matière fissile sera ainsi transportée au Royaume-uni vers Valduc pour y être testée, soumise à des simulations, puis rapatriée. Un centre de recherche sera en parallèle ouvert aux spécialistes des deux pays, dans le sud-est de l'Angleterre. Il serait infiniment plus souhaitable que la coopération se déploie en vue du désarmement nucléaire et non d'un renforcement de l'arsenal. L'inquiétude est d'autant plus vive que, comme dans le domaine conventionnel, la France et la Grande-Bretagne, cette dernière dépendante des États-unis, n'ont pas les mêmes approches du rôle et de la place de l'armement nucléaire dans leur stratégie de défense. Nous nous apprêtons donc à opérer des transferts de technologies dont nous ne maîtrisons pas les éventuelles finalités d'utilisation. Il lui demande de lui préciser le contenu de ces accords qui seront, au final, au nombre de dix-sept, et de prévoir un débat au Parlement sur ce sujet.
La France et le Royaume-Uni sont des partenaires naturels en matière de sécurité et de défense. Membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, alliés de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), membres de l'Union européenne (UE) et États dotés d'armes nucléaires, nos pays ont en commun un grand nombre d'intérêts et de responsabilités. Depuis le début de l'année 2010, la France et le Royaume-Uni se sont progressivement rapprochés afin de définir les modalités d'une coopération de défense renforcée, permettant d'optimiser leurs capacités, de mieux rentabiliser leurs investissements et d'identifier les moyens de réaliser des économies d'échelle. Dans ce contexte, lors du 31e sommet franco-britannique, qui s'est déroulé à Londres le 2 novembre 2010, le Président de la République française et le Premier ministre du Royaume-Uni ont conjointement décidé de structurer la coopération militaire et le dialogue stratégique entre les deux parties, mais aussi de développer une collaboration dans le domaine de la dissuasion nucléaire, ainsi que divers partenariats conventionnels. Cette coopération est inscrite dans le double cadre de l'UE et de l'Alliance atlantique comme le prévoit explicitement le traité. S'agissant de la coopération militaire et du dialogue stratégique, un traité a été conclu entre le Royaume-Uni et la France afin de développer la coopération entre leurs forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipements, la construction d'installations communes, l'accès mutuel aux marchés de défense et une collaboration industrielle et technologique. Par ailleurs, une lettre d'intention portant création d'un nouveau cadre d'échanges entre nos forces armées sur des questions opérationnelles a été signée, dans la perspective d'identifier les moyens de rapprocher nos armées dans les domaines de la doctrine, des besoins capacitaires et de l'interopérabilité. Concernant la dissuasion nucléaire, les deux seuls États dotés de l'arme nucléaire au sein de l'UE vont être conduits à coopérer de façon inédite en matière de technologies liées à la gestion de leurs arsenaux nucléaires. Encadrée par un accord conclu pour 50 ans et un arrangement technique, assortis d'une feuille de route, cette coopération se traduira par la mise en place d'une installation commune à Valduc (France), où sera modélisée la performance de nos têtes nucléaires et des équipements associés. Un centre de développement technologique commun à Aldermaston (Royaume-Uni) soutiendra ce projet. Ce partenariat permettra aux deux parties de gagner en efficacité et en productivité, d'accélérer les progrès scientifiques et de réaliser des économies d'échelles par une mise en commun, lorsque cela est utile et efficace, des installations et des compétences. Enfin, s'agissant du développement de partenariats conventionnels, les coopérations envisagées concernent les activités opérationnelles, les équipements et capacités, les drones, la recherche et technologie, l'industrie de défense et la cyberdéfense. Dans le domaine des activités opérationnelles, une force expéditionnaire commune interarmées capable d'assurer des missions de haute intensité va être mise en place. Cette force, non permanente, pourra être déployée avec un préavis pour les opérations bilatérales, de l'OTAN, de l'UE, des Nations unies ou pour d'autres opérations. Son emploi n'aura aucun caractère contraignant pour les deux États qui conserveront en permanence le contrôle de leurs propres forces. Des exercices aériens et terrestres conjoints menés en 2011 seront mis à profit pour assurer la montée en puissance de cette force. Par ailleurs, une coopération conduisant à l'intégration de personnel britannique au sein du groupe aéronaval français sera développée. Il a été décidé, en parallèle, que le Royaume-Uni et la France se doteraient, d'ici au début des années 2020, de la capacité à déployer une force aéronavale de projection intégrée francobritannique composée d'éléments des deux États. S'agissant des équipements et capacités, un contrat unique sera signé par les deux pays à la fin de l'année 2011 pour le soutien des futures flottes d'avions de transport A400M. Un groupe bilatéral d'utilisateurs sera en outre créé pour coopérer en matière de développement des systèmes de formation A400M, de techniques et de procédures opérationnelles, ainsi que pour les formations sur simulateur et en vol. Dans le domaine maritime, le Royaume-Uni et la France ont également prévu de développer ensemble, d'une part des équipements et des technologies pour la prochaine génération de sous-marins, d'autre part des moyens dans le domaine de la guerre des mines. Enfin, le potentiel de collaboration sur les futures communications militaires par satellite sera évalué ; l'objectif étant de réduire les coûts généraux tout en préservant les souverainetés nationales. En ce qui concerne les drones, la coopération portera sur un partenariat industriel pour la prochaine génération des drones de surveillance moyenne altitude et longue endurance, dont l'entrée en service est prévue en 2020. L'objectif est de partager les coûts de développement, de soutien et de formation, et de faire en sorte que nos forces soient interopérables. Pour les successeurs des avions de type Rafale/Typhoon, à l'horizon 2030, une feuille de route conjointe, industrielle et technologique, sera présentée au mois de juin 2012. La décision de lancer un programme de démonstrateur interviendra par la suite. Dans le domaine de la recherche et technologie, la France et le Royaume-Uni ont identifié plusieurs champs prioritaires de collaboration pour les deux prochaines années. Les travaux communs se concentreront sur dix principaux domaines incluant notamment des recherches essentielles pour les communications par satellite, les drones, les systèmes navals et les missiles. Ils porteront également sur des secteurs industriels nouveaux, tels que les capteurs ou les technologies de guerre électronique et sur des domaines innovants comme la simulation. En matière de coopération industrielle de défense, il est prévu de constituer, au cours de la prochaine décennie, un secteur franco-britannique des armes complexes, centré sur les filiales MBDA France et MBDA United Kingdom regroupées à terme au sein d'une même entité : One MBDA. Ce rapprochement constitue en effet l'unique garantie de compétitivité dans un secteur extrêmement concurrentiel. Dans cette perspective, il est envisagé de lancer conjointement, dès 2011, une série de plusieurs projets d'armement, au nombre desquels figurent le développement et la fabrication d'un nouveau missile antinavire léger, la définition du programme d'amélioration des missiles Scalp/Storm Shadow, ainsi que l'élaboration d'une feuille de route technologique pour la défense aérienne. Enfin, s'agissant de la cyberdéfense, la France et le Royaume-Uni développeront une coopération renforcée face aux menaces croissantes qui pèsent sur la sécurité de leurs systèmes d'information. Un cadre régissant la coopération dans ce domaine a été agréé pour permettre de renforcer la résilience de leurs systèmes nationaux et communs. Ce rapprochement historique doit permettre aux deux pays de maintenir leur capacité militaire au meilleur coût, tout en conservant leur indépendance nationale quant à la décision de déployer leurs forces. Il profitera à l'ensemble de nos alliés et contribuera à renforcer la sécurité de l'Alliance atlantique et de l'UE. Au demeurant, ce traité exemplaire a été favorablement accueilli par nos partenaires européens.
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