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Michel Havard
Question N° 91725 au Ministère de l'Écologie


Question soumise le 26 octobre 2010

M. Michel Havard appelle l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, sur la question de la valeur économique des différents services rendus par les écosystèmes. Le rapport sur l'état de la biodiversité en Europe, publié octobre 2010 par l'Agence européenne pour l'environnement (AEE), a confirmé le déclin de nombreuses espèces et habitats naturels. Ce rapport montre également que l'UE n'atteindra pas l'objectif de stopper la perte de la biodiversité en 2010. Les écosystèmes aquatiques sont parmi les plus menacés en Europe. Les zones humides (marais et marécages) ont ainsi diminué de 5 % entre 1990 et 2006. Les écosystèmes marins et côtiers ont également perdu une biodiversité considérable dans les décennies récentes, principalement à cause de l'érosion des zones humides côtières, des dunes et des estuaires, de la pollution et de la surpêche. Près de 45 % des stocks de poissons sont ainsi sous le seuil de sécurité biologique. La biodiversité des écosystèmes agricoles qui dominent les paysages européens a drastiquement diminué. Les populations d'oiseaux des champs ont par exemple décliné de 50 % depuis 1980. La situation des forêts européennes montre que la déforestation se limite désormais à quelques régions et qu'une expansion significative a eu lieu dans plusieurs zones. Toutefois, l'érosion de la biodiversité s'y poursuit, principalement à cause de la fragmentation des habitats et des incendies. Les zones montagneuses, spécialement riches en habitats et en espèces, sont très vulnérables aux changements des pratiques agricoles et touristiques, au développement des infrastructures et au climat. On voit donc que, en dépit des efforts accomplis, l'érosion de la biodiversité perdure en Europe ce qui pourrait entraîner de graves conséquences à terme et notamment réduire l'efficacité des mesures prises pour lutter contre le réchauffement climatique. Face à cette menace, le rapport de l'AEE préconise quatre leviers d'action majeurs : améliorer la mise en oeuvre des mesures de protection de la biodiversité ; mettre en place une politique cohérente de protection de la biodiversité ; promouvoir une approche plus intégrée entre secteurs et institutions et favoriser une prise de conscience du public sur le rôle de la biodiversité. Ce rapport montre que l'attribution d'une valeur économique à la biodiversité et aux écosystèmes peut jouer un rôle majeur. En effet, l'évaluation rigoureuse et la connaissance de la valeur économique des différents services rendus par les écosystèmes sont devenues des conditions nécessaires à la mise en oeuvre de politiques efficaces de prévention et de protection de ces sites et à la détermination des moyens financiers qui doivent y être alloués, comme le montre également le rapport final sur l'intégration des aspects économiques de la nature, publié par le programme des Nations unies pour l'environnement). Il lui demande donc à de bien vouloir lui préciser quelles mesures il envisage pour généraliser, dans les meilleurs délais, dans l'ensemble des documents comptables et budgétaires de la Nation, l'intégration de la valeur économique de nos sites et écosystèmes naturels.

Réponse émise le 1er mars 2011

L'objectif 2 du plan stratégique de la convention sur la diversité biologique, adopté en 2010 à Nagoya, préconise une incorporation des valeurs de la diversité biologique dans les comptes nationaux d'ici 2020. Les recommandations de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi portent notamment sur la nécessité d'ajuster ou de corriger les grandeurs macroéconomiques de la comptabilité nationale. Les conclusions de la conférence française sur la biodiversité soulignent l'importance d'« exploiter durablement les ressources naturelles renouvelables », en utilisant les outils économiques, à commencer par l'évaluation des services rendus par la biodiversité, et en développant une comptabilité des actifs naturels. Plusieurs travaux déjà menés, notamment au sein du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement (MEDDTL) apportent des éléments essentiels à la réalisation de cet objectif. Le rapport du centre d'analyse stratégique (CAS), « l'économie de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes », publié en 2009, donne un état de l'art de l'évaluation économique des écosystèmes en France, pour les écosystèmes « forêt tempérée » et « prairie permanente ». Il précise les aspects méthodologiques à observer pour réaliser une telle évaluation et propose des axes pour approfondir l'exercice, comme notamment de travailler à la spatialisation des valeurs ainsi qu'à une prise en compte plus exhaustive des différents services rendus par les écosystèmes étudiés. Le MEDDTL travaille sur ces questions. En parallèle, il continue à conduire des études visant à obtenir des valeurs monétaires pour différents écosystèmes : récifs coralliens, zones humides, forêts méditerranéennes, etc. En outre, une réflexion se poursuit sur l'intégration de ces valeurs dans les analyses coûts-bénéfices lors de l'évaluation des projets. Le MEDDTL concentre aussi ses efforts sur l'évaluation physique des écosystèmes. En 2010, deux documents ont ainsi été publiés : « Vers des indicateurs de fonctions écologiques » vise à proposer des indicateurs permettant de mesurer « la bonne santé » des écosystèmes et leur capacité à délivrer des services utiles à l'homme ; « Étude exploratoire pour une évaluation des services rendus par les écosystèmes en France » s'appuie sur le millenium ecosystem assessment (MA) de 2005 pour identifier les services rendus par les écosystèmes et proposer une méthodologie pour les qualifier et les quantifier. Elle devrait conduire à un MA pour la France. Ces deux études s'attachent à évaluer les écosystèmes à partir des processus biologiques qui s'y opèrent jusqu'aux services qu'ils délivrent, proposant ainsi un cadre solide à une prise en compte de la valeur des écosystèmes dans des systèmes de comptabilité. Il existe des difficultés techniques à la quantification et à la mesure des phénomènes physiques sous-jacents à la biodiversité. Néanmoins, la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) initiée en 2004 a été adossée à un ensemble d'indicateurs définis en étroite articulation avec les travaux menés au niveau européen (cf. le programme streamlining european biodiversity indicators towards 2010). On pourrait chercher à construire un indicateur agrégé unique qui permette de synthétiser l'état ou l'évolution de la biodiversité en particulier afin de modifier les agrégats monétaires usuels sur lesquels se fondent les jugements de progrès et de bon état des sociétés, comme le produit intérieur brut (PIB). Le rapport Stiglitz indique cependant qu'il conviendrait de construire un indicateur de « patrimoine », agrégeant des stocks d'« actifs environnementaux », plutôt qu'un indicateur tel le PIB assimilé à une mesure du bien-être. Cette approche par les stocks permet d'obtenir des signaux sur la durabilité du mode de production et consommation actuel, entendue comme la possibilité de transmettre un stock de capital équivalent aux générations futures. La prise en compte des écosystèmes dans la comptabilité environnementale nationale suit actuellement trois approches distinctes et complémentaires : la première consiste à corriger ou ajuster les grandeurs de la comptabilité nationale, en donnant une valeur monétaire aux services - gratuits - rendus par la nature. On aboutit ainsi à un ajustement du PIB ; l'épargne nette ajustée, indicateur synthétique de soutenabilité de la Banque mondiale, relève de cette approche. De nombreuses limites s'opposent à cette approche et imposent de centrer l'agrégation monétaire sur une part seulement des actifs naturels. La révision en cours du manuel international de comptabilité environnementale (SEEA, System Of Integrated Environmental And Economic Accounting) développé par l'ONU reflète d'ailleurs cette absence de consensus puisque la prise en compte des écosystèmes est absente de son premier volume. La prise en compte des formes non appropriatives du patrimoine naturel, comme la biodiversité, nécessitent un cadre plus large que celui d'une approche marchande. C'est ce à quoi se sont attelés les comptables nationaux depuis 1993 en améliorant le SEEA. En France, des travaux exploratoires ont récemment été engagés pour ajuster les grandeurs de la comptabilité nationale à partir de la comptabilisation des coûts non payés des dommages aux actifs naturels (cf. recommandations de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi). Toutefois, aucune production statistique officielle n'est encore disponible ; la deuxième approche est centrée sur la production de comptes satellites de dépenses environnementales. La France produit chaque année de tels comptes, selon une structure normalisée à l'échelon européen, qui visent exclusivement des dépenses de protection de l'environnement ; la troisième approche est le développement de comptes environnementaux exprimés en termes physiques, s'intéressant soit aux stocks, en comptabilisant l'ensemble des systèmes naturels présents sur le territoire et les éléments qui le composent (c'est ce que la France avait tenté d'établir en 1986 en publiant des comptes du patrimoine naturel), soit aux flux traversant le système économique à partir ou à destination de l'environnement. Dans tous les cas, il importe de rapporter les flux aux stocks existants et de permettre une combinaison des données physiques avec celles de la comptabilité nationale. Le MEDDTL travaille ainsi à l'élaboration de comptes hybrides, liant des mesures physiques de pression environnementale à des comptes monétaires. Les plus aboutis concernent les émissions dans l'air (CO2 notamment) et les flux de matières, et devraient être prochainement étendus aux pollutions aquatiques et aux déchets. Ces travaux permettent d'informer sur la mobilisation des écosystèmes à l'étranger induite par la consommation des ménages français. Il est essentiel enfin d'aller vers une comptabilité à la fois physique et spatialisée, permettant une meilleure connaissance des stocks de patrimoine naturel (sites et écosystèmes) autorisant l'intégration progressive de leur valeur économique. Le MEDDTL envisage de compléter les dimensions prises en compte notamment pour mieux intégrer la biodiversité en s'appuyant sur les travaux d'évaluation physiques évoqués ci-dessus. Pour aboutir, il s'associe également aux travaux engagés par la Banque mondiale, l'Agence européenne de l'environnement et les Nations unies.

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