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Daniel Boisserie
Question N° 9083 au Ministère des Affaires étrangères


Question soumise le 30 octobre 2007

M. Daniel Boisserie interroge M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur la reconnaissance du génocide ukrainien de 1932-1933. La grande famine de 1932-1933 a fait de quatre à dix millions de morts en Ukraine, dans les régions essentiellement agricoles. Elle est le résultat de la politique délibérée de l'URSS visant à affamer les paysans et à confisquer les terres agricoles au profit de la collectivisation de l'économie. Les 75 000 Français d'origine ukrainienne réclament, à l'occasion du 75e anniversaire de cette tragédie, la reconnaissance officielle par la République française de ce qu'ils considèrent comme un holocauste et qu'ils dénomment « Holodomor ». Il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître la position Gouvernement sur ce sujet.

Réponse émise le 15 janvier 2008

La grande famine de 1932-1933 que l'historiographie ukrainienne désigne par le terme Holodomor (ou « extermination par la faim ») a été pour l'Ukraine une véritable catastrophe nationale. Provoquée par le régime totalitaire soviétique dans le cadre de la collectivisation forcée des campagnes ukrainiennes et du processus de dékoulakisation qui l'a accompagnée, elle a entraîné des millions de victimes (de 3 à 10, selon les différentes sources) et constitue, à ce titre, l'un des crimes du totalitarisme soviétique au XXe siècle ainsi qu'un événement majeur de l'histoire et de la mémoire nationales ukrainiennes. Il ne fait guère de doute qu'à travers la liquidation de la paysannerie, un des groupes sociaux porteur de l'identité nationale ukrainienne, le régime stalinien a également cherché à abattre le sentiment national ukrainien. La reconnaissance - au niveau national comme international - de cette tragédie, largement occultée, voire niée par le pouvoir soviétique, revêt une importance particulière pour l'Ukraine engagée depuis son indépendance en 1991 - et plus particulièrement depuis la révolution « orange » de 2004 - dans un processus d'affirmation de l'identité et de l'unité nationales. En Ukraine, en dehors du parti communiste, l'ensemble de la classe politique est unanime pour dénoncer le caractère organisé de cette tragédie. Ainsi, le parlement ukrainien a adopté le 28 novembre 2006 une loi sur la grande famine qui comporte deux dispositions essentielles : l'Holodomor est qualifié de « génocide du peuple ukrainien » et sa négation « est illégale ». Cette loi succède à la « déclaration au peuple ukrainien » précédemment adoptée par le Parlement ukrainien le 16 mai 2003, dans laquelle la grande famine était qualifiée d'« acte de génocide contre le peuple ukrainien » mais qui n'avait pas force de loi. L'Ukraine vise également une pleine reconnaissance de cette tragédie au niveau international. Ainsi, à l'occasion de la commémoration en 2003 du 70e anniversaire de l'Holodomor puis cette année de son 75e anniversaire, l'Ukraine a présenté dans les grandes enceintes internationales - Assemblée générale de l'ONU, Conseil de l'Europe, UNESCO, OSCE - des projets de déclaration appelant à se souvenir de cette tragédie, à honorer la mémoire des victimes ukrainiennes, russes, kazakhes et d'autres nationalités et à ne pas occulter cette période tragique dans les programmes d'enseignement de l'histoire. Plusieurs États se sont associés à ces déclarations. Le texte de l'Assemblée générale de l'ONU de 2003 a recueilli un large soutien, y compris de la Russie qui a été associée à son élaboration. La France reconnaît pleinement cette tragédie et ce crime du totalitarisme soviétique, conformément à la résolution 1481 du Conseil de l'Europe du 25 janvier 2006 sur la « nécessité d'une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires ». Elle a ainsi salué, dans le cadre de l'Union européenne, la déclaration présentée par l'Ukraine au cours des travaux de l'Assemblée générale des Nations unies en 2003. Le ministre des affaires étrangères français a, lors de sa visite à Kiev le 11 novembre 2005, rendu hommage aux victimes en déposant en compagnie de son homologue ukrainien une gerbe de fleurs au monument à l'Holodomor. Cette année, la France a également soutenu les démarches ukrainiennes visant une reconnaissance internationale de l'Holodomor en tant que tragédie nationale pour le peuple ukrainien : cosignature de la résolution de l'UNESCO relative à l'Holodomor qui a été adoptée le 8 octobre dernier ; soutien à la déclaration nationale présentée par l'Ukraine dans le cadre de la réunion ministérielle de l'OSCE à Madrid(29-30 novembre dernier). Il convient de souligner que ces textes ne mentionnent pas le terme de « génocide », ce qui a contribué à faciliter leur soutien. En effet, s'il ne s'agit en aucun cas d'amoindrir l'ampleur, la gravité et la portée de l'Holodomor, sa reconnaissance en tant que crime de génocide est un sujet de débat entre historiens et juristes. Le crime de génocide est défini par les instruments internationaux - convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, dont la rédaction a été reprise sur ce point dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002 - comme un acte « commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». L'élément intentionnel et, partant, la dimension criminelle de la politique des autorités soviétiques de l'époque ne font certes guère de doute. Le terme « grande famine » présente, à cet égard, le défaut de passer sous silence la responsabilité du régime soviétique dans cette famine provoquée, conséquence directe de sa politique de collecte des productions agricoles menée dans le cadre du processus de collectivisation et de dékoulakisation. Les réquisitions forcées ont en effet privé les paysans des réserves destinées à leurs propres besoins ou à être utilisées comme semences. Elle a été aggravée, en connaissance de cause, par les mesures visant à empêcher l'exode rural vers les villes, ainsi que par les dispositions répressives (retrait de tous les produits des magasins d'État, arrêt total du commerce, remboursement immédiat de tous les crédits en cours, imposition exceptionnelle, arrestations massives des « saboteurs » et des « éléments étrangers ») prises spécialement à l'encontre de plusieurs districts céréaliers accusés de saboter le plan de collecte. Cependant, l'emploi du terme de « génocide » pour qualifier cette politique criminelle délibérée serait impropre selon un certain nombre d'experts. Si l'Ukraine a été principalement visée et touchée, la collectivisation forcée, la dékoulakisation, et les mesures punitives spécifiques ont également frappé des régions de la Russie (en particulier les plaines du Don et du Kouban), le Caucase du Nord ainsi qu'une grande partie du Kazakhstan. Il s'agissait en réalité des terres agricoles les plus riches et les plus dynamiques, dans lesquelles la paysannerie libre était le mieux implantée. En outre, s'il est indéniable que le régime soviétique visait également par cette politique l'éradication des « nationalismes » de certaines régions, en particulier de l'Ukraine et des régions cosaques du Don et du Kouban, il n'est cependant pas établi qu'il ait cherché à exterminer la population ukrainienne dans son ensemble. L'objectif affirmé (ou la propagande) était d'en fondre la spécificité au sein d'un nouveau « peuple soviétique ». En l'absence de consensus parmi les historiens et les juristes, le gouvernement français n'envisage pas à ce stade de se prononcer sur la qualification politique et juridique de la grande famine comme crime de génocide. Cette position est partagée notamment par l'Allemagne.

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