M. Alain Rousset attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur les inquiétudes exprimées par les généalogistes suite aux préconisations du rapport Ory-Lavolée intitulé « Partager notre patrimoine culturel », dont l'une d'entre elles propose de mettre en place des licences payantes pour la réutilisation des données d'archives publiques. Jusqu'à présent, l'égalité d'accès aux archives publiques était garantie par une totale gratuité et ce, depuis la loi du 7 messidor an II. Ce principe n'a pas été remis en cause par le législateur ni par la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives ni par la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives. Alliée aux différents procédés de reproduction des documents et aux principes d'entraide et de partage, cette gratuité a permis à notre pays de disposer d'archives qui figurent parmi les plus riches du monde, les mieux organisées et les plus accessibles. S'agissant des contrats passés entre les collectivités territoriales et leurs prestataires, l'obligation de remettre une copie des travaux de reproduction à l'entité détentrice garantissait, jusqu'à présent, leur libre consultation par les chercheurs de métier ou les amateurs. Or la recommandation n° 15 du rapport Ory-Lavolée issu d'un groupe de travail dépendant du ministère de la culture et de la communication préconise que la réutilisation des données des archives fasse l'objet de licences payantes qui seraient gérées par des sociétés privées. Dès lors, nul doute que l'objectif financier affiché par certaines de ces sociétés sera très éloigné des motivations de recherche universitaire ou de loisir des historiens et généalogistes habitués à consulter ces archives. Une telle disposition est d'une part contraire à l'esprit du législateur et rendrait par ailleurs impossible la poursuite des projets d'entraide et de partage des archives en octroyant un rôle d'intermédiaire à des sociétés privées, françaises ou étrangères. En somme, comme le titrait le Figaro du 22 novembre 2008, « des pans entiers de notre état civil » passeraient « aux mains du privé ». Face à cette crainte légitime, il lui demande si le Gouvernement entend bien préserver les archives publiques en tant que bien commun libre d'accès et gratuit pour tous, notamment pour les acteurs de la généalogie, les historiens, les archivistes et les utilisateurs réguliers de ces fonds d'archives.
La réutilisation des informations publiques soulève de délicates questions d'ordre juridique, économique et éthique. Sur le plan juridique, la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public a ouvert, pour chaque État membre, la possibilité de créer un marché de la réutilisation des informations publiques, tout en excluant de ce marché les établissement culturels, au nombre desquels figurent les services d'archives publics. L'ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 transposant cette directive a ouvert ce marché pour notre pays et l'a encadré par les dispositions des articles 10 à 19 de la loi du 17 juillet 1978, qui fixent le droit applicable à la réutilisation des informations publiques. L'article 11 de cette loi prévoit cependant un régime dérogatoire pour les services d'archives publics, lesquels peuvent fixer des conditions spécifiques de réutilisation. Mais aucun texte ne précise dans quelle mesure et dans quelles limites ces conditions spécifiques peuvent déroger au droit commun de la réutilisation et à d'autres règles de droit applicables à ce domaine, notamment la protection des données personnelles, le droit de la concurrence et le principe d'égalité. Les services d'archives publics sont en train de se doter de licences encadrant leur relation avec les réutilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers, d'associations ou de sociétés commerciales. Ces licences fixent notamment les limites de la réutilisation et les redevances qui peuvent, le cas échéant, en constituer la contrepartie. Elles seront déterminées, s'agissant des services territoriaux d'archives, par la collectivité territoriale dont elles dépendent, en application du principe de libre administration. Le service interministériel des archives de France a diffusé auprès de ces services une note visant à harmoniser les pratiques, dans le respect de ce principe. Sur le plan économique, différentes sociétés privées souhaitent procéder à la réutilisation des documents d'archives publics. L'application d'une redevance à une réutilisation commerciale de ces documents est justifiée et acceptée par la plupart des acteurs économiques souhaitant intervenir sur ce marché. Elle constitue en effet la contrepartie des investissements réalisés par l'État et les collectivités territoriales pour microfilmer ou numériser les documents conservés dans les services d'archives publics. Le montant de cette redevance fait en revanche débat, les acteurs économiques souhaitant que celui-ci soit le moins élevé possible. Le ministère de la culture et de la communication estime néanmoins que le prix de la réutilisation doit refléter la part déterminante que le service public a prise pour rendre possible, par les opérations de microfilmage et de numérisation des documents qu'il a financées, le développement d'une activité économique fondée sur la réutilisation de ceux-ci. Sur le plan éthique enfin, de nombreux élus et acteurs de la société civile, notamment l'Association des archivistes français, se sont émus de la constitution par certaines sociétés engagées dans le marché de la réutilisation de bases de données nominatives indexant les documents d'archives réutilisés et interrogeables par toute personne sur Internet. Le croisement des informations figurant dans ces documents, qui peuvent être extrêmement sensibles, pourrait permettre de constituer de véritables profils individuels, sans que le consentement des personnes concernées n'ait été recueilli. Se pose donc la question de l'exclusion du champ de la réutilisation des documents d'archives publiques comprenant des données personnelles sensibles, tels que les actes d'état civil, les recensements de population, ou encore les fichiers de police, alors que ces documents font fréquemment l'objet de demandes de réutilisation en vue d'une indexation nominative diffusée sur des sites commerciaux payants. Dans ce contexte, le ministère de la culture et de la communication, sans refuser le principe d'une réutilisation commerciale des documents d'archives publiques, a recommandé aux services d'archives publics la plus grande prudence vis-à-vis des demandes dont il est saisi, notamment lorsque des données personnelles sont en jeu, et incite ces services à se doter de licences sécurisant toutes les formes de réutilisation. Seule une intervention du législateur pourrait poser un cadre plus contraignant pour la réutilisation de données sensibles, au travers d'une modification de l'ordonnance de 2005.
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