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Jacques Le Nay
Question N° 8928 au Ministère de la Culture


Question soumise le 30 octobre 2007

M. Jacques Le Nay attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la lutte contre le piratage des films. À la demande de l'ensemble des professionnels du cinéma (réalisateurs, distributeurs et exploitants de salles de cinéma) et de l'audiovisuel, il lui demande quelles mesures concrètes il envisage de mettre en place en étroite collaboration avec d'autres ministères, notamment le ministère de l'intérieur et le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, à l'instar des groupes d'interventions régionaux (GIR) pour lutter efficacement contre ce fléau.

Réponse émise le 12 février 2008

Plus d'un Français sur deux a aujourd'hui accès à l'Internet haut débit. Bien plus qu'un phénomène de société, c'est un véritable tournant, qui constitue, pour la diffusion de la culture, une chance extraordinaire, sans précédent depuis l'invention de l'imprimerie. Mais jamais, dans le même temps, les conditions de création de ces oeuvres n'ont été aussi menacées. En 2006, un milliard de fichiers piratés d'oeuvres musicales et audiovisuelles ont été échangés en France. Le marché du disque est le plus atteint, puisqu'il a enregistré une baisse de près de 50 % en volume et en valeur au cours des cinq dernières années, ce qui s'est traduit par un fort impact aussi bien sur l'emploi - avec une baisse de 30 % des effectifs des maisons de production -, que sur la création et le renouveau artistique avec la résiliation de 28 % des contrats d'artistes par les maisons de production et une baisse de 40 % du nombre de nouveaux artistes « signés » chaque année. Mais le cinéma, à chacune des étapes de la filière, commence à ressentir les premiers effets de ce changement des usages. Quant au livre, il ne devrait pas tarder à suivre. Le Président de la République a donc régulièrement exprimé, au cours de la campagne électorale, sa ferme volonté de mettre en place un environnement politique et juridique favorable à l'essor de l'offre légale, notamment dans le domaine du cinéma et à sa substitution rapide au piratage, afin que les créateurs et ceux qui les soutiennent puissent vivre du produit de leur travail. Cette volonté s'est traduite dans la lettre de mission qu'il a adressée le 1er août dernier, avec le Premier ministre, à la ministre de la culture et de la communication : le Président de la République lui a demandé de mettre en place un plan de « protection et de promotion des industries culturelles couvertes par les droits d'auteur et droits voisins », qui s'appuiera notamment sur deux volets : « la montée en puissance d'une offre diversifiée, bon marché et simple d'utilisation » et « la prévention et la répression de la piraterie numérique ». En effet, la lutte contre l'offre illégale et l'amélioration de 1'attractivité de l'offre légale de films (prix, richesse des oeuvres proposées, délai de mise à disposition, souplesse d'utilisation) - ou de musique - sont indissociablement liés si l'on veut faire du piratage un risque inutile. La méthode suivie par le Gouvernement pour mener à bien ce chantier tire d'abord les leçons du passé. Elle repose en effet sur l'idée que les solutions mises en oeuvre devront faire l'objet d'un très large consensus préalable entre les acteurs de la culture et de l'Internet. La ministre de la culture et de la communication a donc chargé Denis Olivennes, le 5 septembre dernier, d'une mission de réflexion et de concertation destinée à favoriser la conclusion d'un accord entre les professionnels du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique et les fournisseurs d'accès à Internet. Le Gouvernement souhaite ensuite tirer parti d'un contexte favorable, dans lequel les intérêts de tous les acteurs convergent. En effet, les fournisseurs d'accès sont aujourd'hui désireux de commercialiser légalement, à travers leurs offres tarifaires les plus récentes, des oeuvres culturelles ; ils sont donc soucieux de dissuader le téléchargement illicite. Pour leur part, les consommateurs souhaitent pouvoir télécharger plus rapidement les films, alors que la « chronologie des médias » française impose un délai de sept mois et demi après la sortie en salle, et souhaitent également pouvoir lire la musique qu'ils téléchargent sur tous les appareils, ce qu'empêchent certaines « mesures techniques de protection » (MTP, encore appelées DRMS - Digital rights management system) implantées sur les oeuvres. De leur côté, les créateurs et les industries culturelles ont compris qu'ils doivent améliorer la richesse, la souplesse d'utilisation et le prix de l'offre légale d'oeuvres sur Internet. La mission conduite par Denis Olivennnes a mené de très nombreuses auditions qui lui ont permis d'entendre les représentants du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique, des internautes et des diffuseurs de contenus (fournisseurs d'accès à Internet, plates-formes de téléchargement, sites de partage comme Youtube ou Dailymotion, etc.). Tous étaient représentés à un très haut niveau. Ces auditions ont été suivies par un cycle de négociations qui s'est voulu très rapide, compte tenu de la situation alarmante des industries culturelles. Le résultat est un accord signé à l'Élysée le 23 novembre dernier en présence du Président de la République et des trois ministres les plus directement concernés - justice, économie, finances et industrie, culture et communication - par 45 syndicats ou entreprises du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique et de l'Internet. Cet accord est historique, car c'est la première fois que le monde du cinéma et celui de la musique se mettent d'accord sur les solutions à mettre en oeuvre pour lutter contre le piratage et pour améliorer l'offre légale, mais aussi la première fois qu'un consensus est dégagé entre les industries culturelles et les fournisseurs d'accès à Internet. Cet accord est très équilibré car toutes les parties ont fait un effort et les internautes y trouveront leur compte aussi bien que les créateurs et les acteurs économiques du cinéma, de la musique et de l'Internet. Il comporte deux volets complémentaires et indissociables. En premier lieu, l'offre légale sera plus facilement accessible, plus riche, plus souple. Ainsi, le téléchargement des films - ce qu'on appelle la « vidéo à la demande » (VOD) - n'est possible aujourd'hui que sept mois et demi après la sortie en salle. Cette « chronologie » a été initialement conçue pour encourager le public à découvrir les films en salles. Mais elle n'est plus adaptée à la réalité de l'Internet : un pirate peut en effet se procurer un film dans les jours qui suivent sa sortie en salles, voire avant pour les films étrangers. L'accord aboutit donc à un raccourcissement des délais de mise à disposition des films pour les internautes, en deux temps. D'abord, dès que le mécanisme de lutte contre le piratage sera en place, le délai de la VOD sera ramené au même niveau que celui du DVD, c'est à dire six mois après la sortie en salles. Ensuite, des discussions s'engageront pour aboutir, dans un délai maximal d'un an, à un raccourcissement de l'ensemble des « fenêtres ». Dans le domaine de la musique, les maisons de disque se sont engagées à retirer les « mesures techniques de protection » des productions françaises de leurs catalogues. Cela signifie qu'une musique achetée légalement sur Internet pourra être lue plus facilement sur tous les types d'appareils, par exemple sur tous les baladeurs. En second lieu, la lutte contre le « piratage ordinaire » changera de logique : elle comportera une phase préventive et ne passera plus nécessairement par le juge. En effet, jusqu'à présent, quand les sociétés qui défendent les intérêts des créateurs repèrent un ordinateur « pirate », la seule possibilité qui leur est ouverte consiste à saisir le juge en se fondant notamment sur le classique délit de contrefaçon. Mais la procédure judiciaire et les peines encourues au pénal - jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende - apparaissent disproportionnées face au « piratage ordinaire ». L'accord prévoit donc la mise en place une autorité administrative indépendante, qui sera chargée de prévenir et de sanctionner le « piratage » des films et de la musique sur Internet. Cette autorité pourrait être l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), qui existe déjà mais dont le rôle est plus restreint. Cette autorité serait saisie par les créateurs dont les oeuvres auront été « piratées ». Elle commencerait par envoyer aux « pirates » des messages d'avertissement qui seraient personnalisés : une phase préventive précéderait donc d'éventuelles sanctions, ce que le droit ne permet pas jusqu'à présent. Si le pirate récidive, l'autorité prendrait alors des sanctions adaptées à la nature du comportement auquel il s'agit de mettre fin : la suspension de l'abonnement Internet, puis sa résiliation. Pour éviter que les « pirates » ne migrent d'un fournisseur d'accès à un autre, un fichier des résiliés, sur le modèle du fichier des interdits bancaires de la Banque de France serait créé. La dimension préventive de ce dispositif est encore accentuée par l'engagement des fournisseurs d'accès Internet d'expérimenter les systèmes de filtrage. Cette solution est en effet la plus prometteuse à terme et les technologies en ce domaine commencent à être efficaces. La mise en place de ce système, qui fait consensus parmi les acteurs des industries culturelles et de l'Internet, suppose bien entendu l'intervention du Parlement. Les services de la chancellerie et du ministère de la culture et de la communication ont d'ores et déjà entamé le travail de rédaction d'un projet de loi qui devrait être déposé sur le bureau de l'une ou l'autre des assemblées dans le courant du mois de mars prochain, de façon que le dispositif de lutte contre le « piratage » - dont le fonctionnement supposera bien entendu la collaboration des différents services compétents en matière de contrefaçon, qu'ils relèvent des ministères de l'intérieur, de l'économie, des finances et de l'industrie ou de la justice - soit effectif à l'automne 2008.

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