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François Brottes
Question N° 88089 au Ministère de la Culture


Question soumise le 14 septembre 2010

M. François Brottes attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur les risques liés à la numérisation des archives publiques par des opérateurs privés. Les progrès combinés de la numérisation des documents d'état civil et de l'utilisation d'Internet par les particuliers ont ouvert ces dernières années des perspectives nouvelles en matière de recherche généalogique. L'État et les collectivités, déjà soumis depuis 1978 à l'obligation d'ouvrir les archives publiques relatives à des personnes décédées, ont entrepris depuis quelques années et avec des succès variables de numériser la masse de documents en leur possession. Depuis quelques années, des entreprises privées ont compris le potentiel économique de ces documents et fondé des sites dédiés à la généalogie dont la consultation est payante. Elles exigent aujourd'hui, en s'appuyant sur la loi de 1978 ainsi que sur deux rappels à l'ordre émis par la Commission d'accès aux documents administratifs, que ces documents leur soient transmis à titre gracieux pour qu'elles les numérisent elles-mêmes ou contre rémunération s'ils le sont déjà. S'il a pour résultat d'accélérer la numérisation des archives publiques en France, ce phénomène ne garantit en aucun cas la mise à disposition des collectivités des bases de données ainsi réalisées. Il semble de plus menacer la liberté des particuliers de numériser eux-mêmes les documents d'état civil qu'ils consultent. Enfin, il apparaît qu'une part du grand emprunt pourrait être allouée à ces entreprises privées pour financer les charges de numérisation. En conséquence, il souhaiterait connaître les mesures envisagées par le Gouvernement pour préserver aux archives publiques le caractère de bien commun et s'assurer que la liberté d'organiser des projets d'entraide et de partage sans but lucratif qui peuvent faire concurrence aux sites payants dans le domaine de la recherche généalogique soient préservée. Il voudrait également s'assurer que la dotation du grand emprunt affectée à la numérisation ira bien soutenir les collectivités locales dans la numérisation de leurs archives pour une plus large mise à disposition gratuite au public.

Réponse émise le 19 octobre 2010

La réutilisation des informations publiques soulève de délicates questions d'ordre juridique, économique et éthique. Sur le plan juridique, la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public a ouvert, pour chaque État membre, la possibilité de créer un marché de la réutilisation des informations publiques, tout en excluant de ce marché les établissements culturels, au nombre desquels figurent les services d'archives publics. L'ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 transposant cette directive a ouvert ce marché pour notre pays et l'a encadré par les dispositions des articles 10 à 19 de la loi du 17 juillet 1978, qui fixent le droit applicable à la réutilisation des informations publiques. L'article 11 de cette loi prévoit cependant un régime dérogatoire pour les services d'archives publics, lesquels peuvent fixer des conditions spécifiques de réutilisation. Mais aucun texte ne précise dans quelle mesure et dans quelles limites ces conditions spécifiques peuvent déroger au droit commun de la réutilisation et à d'autres règles de droit applicables à ce domaine, notamment la protection des données personnelles, le droit de la concurrence et le principe d'égalité. Les services d'archives publics sont en train de se doter de licences encadrant leur relation avec les réutilisateurs, qu'il s'agisse de particuliers, d'associations ou de sociétés commerciales. Ces licences fixent notamment les limites de la réutilisation et les redevances qui peuvent, le cas échéant, en constituer la contrepartie. Elles seront déterminées, s'agissant des services territoriaux d'archives, par la collectivité territoriale dont elles dépendent, en application du principe de libre administration. Le service interministériel des Archives de France a diffusé auprès de ces services une note visant à harmoniser les pratiques, dans le respect de ce principe. Sur le plan économique, différentes sociétés privées souhaitent procéder à la réutilisation des documents d'archives publics. L'application d'une redevance à une réutilisation commerciale de ces documents est justifiée et acceptée par la plupart des acteurs économiques souhaitant intervenir sur ce marché. Elle constitue en effet la contrepartie des investissements réalisés par l'État et les collectivités territoriales pour microfilmer ou numériser les documents conservés dans les services d'archives publics. Le montant de cette redevance fait en revanche débat, les acteurs économiques souhaitant que celui-ci soit le moins élevé possible. Le ministère de la culture et de la communication estime néanmoins que le prix de la réutilisation doit refléter la part déterminante que le service public a prise pour rendre possible, par les opérations de microfilmage et de numérisation des documents qu'il a financées, le développement d'une activité économique fondée sur la réutilisation de ceux-ci. Sur le plan éthique enfin, de nombreux élus et acteurs de la société civile, notamment l'association des archivistes français, se sont émus de la constitution par certaines sociétés engagées dans le marché de la réutilisation de bases de données nominatives indexant les documents d'archives réutilisés et interrogeables par toute personne sur Internet. Le croisement des informations figurant dans ces documents, qui peuvent être extrêmement sensibles, pourrait permettre de constituer de véritables profils individuels, sans que le consentement des personnes concernées n'ait été recueilli. Se pose donc la question de l'exclusion du champ de la réutilisation des documents d'archives publiques comprenant des données personnelles sensibles, tels que les actes d'état civils, les recensements de population, ou encore les fichiers de police, alors que ces documents font fréquemment l'objet de demandes de réutilisation en vue d'une indexation nominative diffusée sur des sites commerciaux payants. Dans ce contexte, le ministère de la culture et de la communication, sans refuser le principe d'une réutilisation commerciale des documents d'archives publiques, a recommandé aux services d'archives publics la plus grande prudence vis-à-vis des demandes dont il est saisi, notamment lorsque des données personnelles sont en jeu, et incite ces services à se doter de licences sécurisant toutes les formes de réutilisation. Seule une intervention du législateur pourrait poser un cadre plus contraignant pour la réutilisation de données sensibles au travers d'une modification de l'ordonnance de 2005.

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