M. Claude Bartolone interroge M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants sur la réponse qu'il a faite à sa question écrite n° 74864 du 30 mars 2010. Dans cette réponse datée du 11 mai 2010, il lui indique en effet que les victimes de la manifestation qui s'est déroulée le 26 mars 1962 dans la rue d'Isly à Alger étaient des « manifestants algérois [...] manipulés dans le contexte très particulier des événements du moment ». Il lui demande donc de bien vouloir lui préciser par qui le Gouvernement estime que ces victimes ont été manipulées et, suivant sa réponse, s'il estime que leurs noms ont leur place aux côtés de ceux des citoyens « morts pour la France » entre 1952 et 1962 sur les colonnes du mémorial national de la guerre d'Algérie situé quai Branly à Paris.
La manifestation de la rue d'Isly, le 26 mars 1962, ne peut se comprendre sans que soit rappelé le contexte très particulier dans lequel elle s'inscrit. Le 18 mars 1962, la signature des accords d'Evian, approuvés le 8 avril 1962 en France, par référendum, par 90,6 % des suffrages exprimés, annonce la fin de la souveraineté française en Algérie. L'Organisation de l'armée secrète (OAS), créée en janvier 1961, tente d'inverser le cours de l'histoire et de conserver « l'Algérie française » par la violence. À compter de mars 1962, l'OAS a intensifié son action terroriste pour empêcher l'application du cessez-le-feu proclamé le 19 mars. L'utilisation de la population civile française devient un enjeu crucial. En réaction aux accords d'Evian, des commandos de l'OAS ont pris le contrôle du quartier européen de Bab-el-Oued, à Alger. Le 23 mars au matin, ils tuent sept soldats français qui y effectuaient une patrouille. Le général Ailleret, commandant supérieur en Algérie, riposte immédiatement à l'insurrection par l'envoi des blindés et de l'aviation. À 17 heures, l'OAS est défaite, le quartier est encerclé puis investi par l'armée. La population du quartier est soumise à un oeuvre-feu permanent. Désormais, briser le blocus de Bab-el-Oued grâce à l'appui de la population civile devient, pour l'OAS, la dernière chance de reprendre pied à Alger. Le 25 mars au soir, elle diffuse un tract appelant les Européens d'Alger à manifester le lendemain de façon pacifique pour soutenir la population de Bab-el-Oued. Le contenu apparemment anodin du tract, la mention à deux reprises du caractère pacifique de la manifestation, la référence à un objectif prétendument humanitaire pour justifier la manifestation, et même la référence aux valeurs de la gauche française, sont constitutifs d'une manipulation de la population civile. Distribué dans des milliers de boîtes aux lettres, le tract convainc des gens qui n'appartiennent pas à l'OAS de se joindre à un mouvement aux buts apparemment louables et pacifiques, voire républicains, alors qu'il relève en réalité de la stratégie insurrectionnelle développée par l'OAS. Venus en famille, des milliers de manifestants se sont rassemblés en masse le 26 mars 1962, malgré l'interdiction officielle de la manifestation. Ils sont utilisés par l'OAS à des fins qui ne sont pas exprimées dans le tract du 25 mars : présents au titre d'une action de soutien non violente, ils sont conduits dans les faits à pousser l'armée française à rompre le cessez-le-feu. La présence de francs-tireurs de l'OAS aux abords de la manifestation confirme l'instrumentalisation de la foule par une organisation dénuée de scrupules, tandis que la maladresse des autorités contribue à une issue sanglante, qui aurait peut-être pu être évitée. C'est à ce titre que les victimes de la fusillade qui clôt tragiquement la manifestation du 26 mars doivent être considérées comme innocentes de toute intention criminelle, et que leurs noms peuvent légitimement être inscrits sur la colonne blanche du mémorial du quai Branly. Comme pour chaque cas proposé à l'inscription, les services du ministère s'assurent que les victimes ne sont des activistes ni du FLN, ni de l'OAS. L'inscription des noms de victimes civiles est ouverte à toutes les familles ou associations représentatives qui en font la demande.
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