M. André Vallini attire l'attention de M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sur l'unicité d'instance, une spécificité du conseil des prud'hommes. L'article R. 516-1 du code du travail dispose ainsi que « toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent, qu'elles émanent du demandeur ou du défenseur, faire l'objet d'une seule instance, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne se soit révélé que postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes ». Et la jurisprudence prévoit que la partie qui méconnaît cette règle, dite d'unicité d'instance, s'expose à ce que le défenseur lui oppose une fin de non-recevoir. Ce texte qui, à l'origine, avait pour objectif d'éviter plusieurs jugements successifs d'une même affaire a été détourné et maintenant seule la jurisprudence s'applique. Il est donc devenu impossible de faire plusieurs saisines du conseil des prud'hommes pour des dossiers de natures différentes, issus de faits totalement distincts. Cet article du code du travail peut conduire à mettre dans une même saisine des prétentions de nature très différentes et sans aucun lien entre elles, et à priver le salarié d'un niveau d'instance si les nouvelles prétentions doivent être ajoutées lors d'un appel. Il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre afin de modifier cette règle d'unicité d'instance, abusive, aberrante et pénalisante pour les salariés.
En application des dispositions de l'article R. 1452-6 du code du travail, le salarié et l'employeur doivent présenter toutes leurs demandes liées à un même contrat de travail au cours d'une même instance judiciaire. Corrélativement, l'article R. 1452-7 du code du travail autorise la présentation des demandes nouvelles à tout stade de la procédure, y compris en cause d'appel. Cette règle permet de conférer à la juridiction saisie d'un litige entre un salarié et son employeur une connaissance globale de la relation contractuelle, pour en assurer une résolution complète, faciliter, le cas échéant, la démarche de conciliation qui préside à l'intervention du conseil de prud'hommes et permettre la poursuite de la relation de travail dans des conditions sereines, sans multiplication des procédures de part et d'autre. Cette règle ne constitue cependant pas une interdiction générale d'introduire une nouvelle instance. Ainsi, si le fondement d'une demande naît postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes et que celui-ci a déjà statué, le salarié, comme l'employeur, peuvent le saisir de nouvelles demandes. La jurisprudence est également venue circonscrire cette règle. Elle juge, par exemple, que la contestation en justice d'un licenciement est recevable, même en cas de désistement de l'employeur préalable à la demande du salarié en ce sens, en raison du droit du salarié à contester en justice son licenciement (Cass.Soc., 7 juin 06, pourvoi n° 04-43774). Elle précise également, au visa de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que lorsqu'une partie a formé un appel incident avant le désistement par l'autre partie de son appel principal, cet appel incident est recevable malgré l'expiration du délai pour former l'appel principal (Cass. Soc. 14 mars 2007, pourvoi n° 05-43351). Elle a également récemment précisé que lorsqu'un désistement a eu lieu à la suite de la conclusion d'un accord transactionnel, les parties restent recevables à contester cette transaction (Cass. soc. 29 septembre 2010, pourvoi n° 08-43084). La jurisprudence tend donc de plus en plus à n'interdire de nouvelles demandes que lorsque la juridiction initialement saisie a rendu une décision sur le fond, écartant ainsi les effets souvent contestés du principe de l'unicité de l'instance. En outre, le champ d'application pratique de l'unicité de l'instance est limité : il concerne, par hypothèse, presque exclusivement les cas dans lesquels le contrat de travail doit se poursuivre après l'instance prud'homale. Or, l'essentiel des demandes présentées devant les conseils de prud'hommes concerne des contrats de travail qui ont été préalablement rompus, pour lesquelles une demande ultérieure fondée sur le contrat de travail sera de fait exclue : en 2009, ces demandes représentaient 94 % des saisines des conseils de prud'hommes. Enfin, la spécificité de l'instance prud'homale tend à s'estomper au regard de la récente jurisprudence de la Cour de cassation instaurant un principe de concentration des moyens, qui impose aux parties de révéler tous les fondements juridiques de leurs demandes lors d'une première instance, leur interdisant, sur le fondement de l'autorité de la chose jugée, d'introduire une nouvelle action aux mêmes fins (Cass. ass. plén. 7 juillet 2006, pourvoi n° 04-10672, Civ. 2e, 10 juin 2010, pourvoi n° 09-67172). Il apparaît donc que le droit commun de la procédure civile tend à rejoindre la procédure prud'homale, dans le sens d'un accroissement de la loyauté des débats, de la pacification des relations sociales et de l'efficacité procédurale. Dans ces conditions, le principe de l'unicité de l'instance peut être désormais compris comme l'application particulière au procès prud'homal des règles générales régissant le procès civil. Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement n'envisage pas d'abroger cette règle.
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