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Jean-Marc Roubaud
Question N° 7266 au Ministère de la Culture


Question soumise le 16 octobre 2007

M. Jean-Marc Roubaud appelle l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur le piratage. Les professionnels du cinéma et de la musique ont décidé de peser davantage dans le domaine du piratage. Douze syndicats professionnels du disque, du cinéma et de la télévision se sont prononcés pour une solution combinée, comprenant des messages d'avertissement puis des sanctions, comme une amende ou une suspension de l'abonnement. En outre, ils appellent à la mise en place par les fournisseurs d'accès Internet de solutions techniques de régulation de trafic. En clair, un filtrage des échanges P2P. Ces mesures, estiment-ils, sont la condition préalable et indispensable au succès des offres légales. En conséquence, il lui demande de lui faire savoir si le Gouvernement envisage de mettre en place les solutions proposées ci-dessus.

Réponse émise le 10 février 2009

La lutte contre le piratage et l'amélioration de l'attractivité de l'offre légale de films ou de musique sur Internet - qu'il s'agisse du prix de cette offre, de la richesse des oeuvres proposées, de leur délai de mise à disposition du public ou de leur souplesse d'utilisation - sont indissociablement liées. La méthode suivie par le Gouvernement pour mener à bien ce chantier tire d'abord les leçons du passé. Elle repose en effet sur l'idée que les solutions mises en oeuvre devront faire l'objet d'un très large consensus préalable entre les acteurs de la culture et de l'Internet. C'est dans cette perspective que Denis Olivennes a été chargé, en septembre 2007, d'une mission de réflexion et de concertation destinée à favoriser la conclusion d'un accord entre les créateurs, les industries culturelles et les fournisseurs d'accès à Internet. La mission a mené de très nombreuses auditions qui lui ont permis d'entendre les représentants du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique, des internautes et des entreprises qui diffusent des contenus culturels sur les réseaux numériques : fournisseurs d'accès à Internet, plates-formes de téléchargement, etc. Tous étaient représentés au plus haut niveau. Ces auditions ont été suivies par un cycle de négociations qui s'est voulu très rapide, compte tenu de la situation alarmante des industries culturelles. Le résultat est un accord, signé à l'Élysée le 23 novembre 2007 en présence du Président de la République par les trois ministres les plus directement concernés - respectivement en charge de la culture et de la communication, de la justice, de l'économie et de l'industrie - et par 47 entreprises ou organismes représentatifs du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique et de l'Internet. Cet accord est historique, car c'est la première fois que le monde du cinéma et celui de la musique s'accordent sur les solutions à mettre en oeuvre pour lutter contre le piratage et pour améliorer l'offre légale, mais aussi la première fois qu'un consensus est dégagé entre les industries culturelles et les fournisseurs d'accès à Internet. Il est d'ailleurs envisagé d'en étendre et d'en développer les stipulations avec les acteurs du Web 2.0, notamment les sites de partage de contenus vidéo comme Dailymotion et Youtube. Une mission vient d'être confiée à cet effet au professeur Pierre Sirinelli, dans le cadre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Elle doit rendre ses conclusions au printemps 2009. L'accord de l'Élysée est très équilibré car toutes les parties ont fait un effort, et les internautes y trouveront leur compte aussi bien que les créateurs et les acteurs économiques du cinéma, de la musique et de l'Internet. En effet, l'accord traite les deux volets complémentaires que sont le développement de l'offre légale et la lutte contre la piraterie. En premier lieu, l'offre légale sera plus facilement accessible, plus riche, plus souple. Ainsi, pour le cinéma l'accord aboutit à un raccourcissement des délais de mise à disposition des films, en deux temps. D'abord, dès que le mécanisme de lutte contre le piratage sera en place, le délai pour accéder aux films dans le cadre des services de vidéo à la demande (VOD) sera ramené au même niveau que celui du DVD, c'est-à-dire six mois après la sortie du film en salles. Ensuite, des discussions s'engageront pour aboutir, dans un délai maximal d'un an, à un raccourcissement de l'ensemble des « fenêtres » de la chronologie des médias pour se rapprocher des pratiques moyennes constatées en Europe. Pour ce qui concerne la musique, les maisons de disques signataires de l'accord de l'Élysée se sont engagées à retirer les mesures techniques de protection (ou DRM) « bloquantes » de toutes les productions françaises dans un délai maximal d'un an après la mise en place du dispositif de lutte contre le piratage. En second lieu, cette lutte changera de logique : elle ne passera plus nécessairement par le juge et revêtira un caractère essentiellement préventif et pédagogique, ce que le droit actuel ne permet pas. En effet, jusqu'à présent, quand les sociétés qui défendent les intérêts des créateurs repèrent un ordinateur pirate, la seule possibilité qui leur est ouverte consiste à saisir le juge en se fondant sur le délit de contrefaçon. Mais la procédure judiciaire et les sanctions encourues (jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende) apparaissent disproportionnées. L'accord prévoit donc la mise en place d'une autorité administrative indépendante, qui sera chargée de prévenir et, en cas de multiples réitérations après avertissement, de sanctionner le piratage des films et de la musique sur Internet. Cette Haute Autorité sera saisie par les créateurs dont les oeuvres auront été piratées. Elle commencera par adresser aux pirates des messages d'avertissement personnalisés, sous forme de courrier électronique puis de lettre recommandée. C'est seulement si ces avertissements restent sans effet que la Haute Autorité pourra prononcer la suspension de l'accès Internet de l'abonné en cause, pour quelques semaines ou quelques mois en fonction des faits de l'espèce. Cette dimension pédagogique de la lutte contre le piratage que le cadre juridique actuel, purement répressif, n'offre pas, est pourtant essentielle. En effet, deux études réalisées au printemps 2008 en Grande-Bretagne et en France font ressortir que 70 % des internautes cesseraient de télécharger illégalement dès réception d'un premier message d'avertissement et 90 à réception du second. Ces estimations sont d'ailleurs cohérentes avec les taux de dissuasion effectivement constatés aux États-Unis, sur certains réseaux câblés où une solution du même ordre a déjà été mise en oeuvre à la suite d'accords passés entre les titulaires de droits et les fournisseurs d'accès à Internet. La mise en place de ce système pédagogique et mesuré, qui fait consensus parmi les acteurs des industries culturelles et d'Internet, suppose bien entendu l'intervention du Parlement. C'est l'objet du projet de loi « Création et Internet », qui a été adopté par le Sénat le 30 octobre 2008 et qui doit être débattu à l'Assemblée nationale au cours du premier trimestre 2009. Il convient de souligner que les échanges entre le Parlement, le Gouvernement et les signataires de l'accord de l'Elysée intervenus lors du débat au Sénat ont débouché sur une très forte accélération du calendrier de mise en oeuvre des stipulations de cet accord les plus directement favorables aux consommateurs : le retrait des mesures techniques de protection et le raccourcissement de la chronologie des médias devraient être effectifs dès le vote de la loi, ou même le précéder. S'agissant des mesures techniques de protection la décision de Warner, annoncée le 5 janvier 2009, vient s'ajouter à celle, de même nature, prise par Universal Music France au mois d'octobre 2008, tandis que le catalogue d'EMI et celui de plusieurs labels indépendants étaient proposés sans DRM sur une plateforme légale depuis 2007. C'est donc l'essentiel de l'offre numérique de musique téléchargeable à l'acte qui sera disponible sans verrous pour les internautes français avant même le vote définitif de la loi. S'agissant de la chronologie des médias, la consultation à laquelle le CNC vient de procéder auprès des professionnels démontre que les délais de sortie des films en DVD et en VOD pourraient être ramenés à quatre mois dès le vote de la loi. Cette approche globale et innovante, initiée par la France voici moins d'un an, s'est entre-temps largement diffusée en Europe. Ainsi, le 24 juillet 2008, un memorandum inspiré de l'accord de l'Élysée a été signé au Royaume-Uni entre les six principaux fournisseurs d'accès à Internet et les industries culturelles. Et le 20 novembre suivant, les 27 ministres de la culture et de l'audiovisuel de l'Union européenne, réunis au sein du Conseil, ont unanimement approuvé des conclusions sur le thème des « Contenus créatifs en ligne », qui encouragent la prévention et la lutte contre le piratage et saluent la mise en place par certains États, dont la France, de mécanismes non judiciaires, pédagogiques et progressifs. Il est important d'insister sur le fait que le choix d'avoir confié la lutte contre le piratage à une autorité administrative indépendante, qui, contrairement au juge, pourra faire de la pédagogie au lieu de se borner à prononcer des sanctions, ne soulève par lui-même aucun obstacle au regard de la garantie des droits et libertés, aussi bien au niveau constitutionnel que dans l'ordre juridique européen. Le Conseil constitutionnel a en effet confirmé à de multiples reprises la possibilité, pour une autorité non judiciaire, de traiter des données personnelles, dès lors que la procédure suivie est encadrée par le législateur et qu'elle vise à assurer le respect d'autres exigences constitutionnelles, ce qui est précisément le cas ici avec la défense du droit de propriété et du droit moral des créateurs sur leurs oeuvres. En outre, la composition, les procédures et le fonctionnement de la Haute Autorité instituée par le projet de loi « Création et Internet » sont à la fois assortis de multiples garanties et adaptés aux besoins de la défense des objectifs à valeur constitutionnelle qui sont poursuivis. Ainsi, la Haute Autorité sera seule à pouvoir se procurer sur l'abonné en infraction, auprès des fournisseurs d'accès à Internet, les données personnelles, nom et coordonnées, strictement nécessaires à l'envoi des messages d'avertissement. Cette Haute Autorité qui s'interpose donc entre les protagonistes, ayants droit, fournisseurs d'accès et abonnés pour préserver le secret de la vie privée, marque l'originalité de l'approche française, plus protectrice que d'autres expériences étrangères où les internautes sont directement aux prises avec les titulaires de droit où les fournisseurs d'accès. De plus, au sein de la Haute Autorité, c'est une commission qui présente toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance qui traitera les dossiers : elle sera exclusivement composée de hauts magistrats et disposera d'agents publics dont l'absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables à leur recrutement. Enfin, le projet de loi ne permet la collecte d'aucune information nouvelle sur les internautes. En effet, toutes les données nécessaires pour mettre en oeuvre le mécanisme de prévention géré par la Haute Autorité sont celles qui sont d'ores et déjà relevées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires. Cette collecte se fait selon des modalités autorisées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Simplement, le juge ne sera plus le seul destinataire possible des constats ainsi dressés : la Haute Autorité sera également compétente pour les utiliser, afin de mettre en oeuvre le mécanisme de prévention créé par la loi. Bien entendu, toutes les décisions faisant grief prises par la Haute Autorité pourront faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le juge judiciaire. S'agissant d'éventuels dispositifs de filtrage, ou de reconnaissance des contenus sous droits, les parties signataires de l'accord de l'Elysée se sont engagées à mettre en place une expérimentation conjointe pendant une période de deux ans. C'est la raison pour laquelle le projet de loi « Création et Internet » ne prévoit aucune disposition contraignante relative à cette question. Toutefois, le texte amendé par le Sénat impose que la Haute Autorité exerce une mission de suivi de l'expérimentation à laquelle devront se livrer les parties, de façon à garantir que ce volet important de l'accord de l'Elysée soit effectivement mis en oeuvre.

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