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Pierre-Alain Muet
Question N° 72002 au Ministère du des sceaux


Question soumise le 23 février 2010

M. Pierre-Alain Muet attire l'attention de Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la dérive inquiétante des gardes à vue en France. Depuis 2002, leur nombre a progressé de 67 %. En comptabilisant les infractions routières, il s'établirait à 800 000 pour l'année 2009. Cette mesure judiciaire constitue aujourd'hui une zone de non-droit, comme l'expriment de nombreux témoignages de personnes placées arbitrairement en garde à vue pour des infractions mineures. Dans son rapport annuel, la CNDS, commission nationale de déontologie et de sécurité, déplore que le respect de la personne y soit trop souvent ignoré. Un rapport du Sénat de décembre 2009, comparant les différentes législations européennes de la garde à vue, met en évidence trois singularités de la législation française : la possibilité de placer une personne en garde à vue pour une infraction mineure, alors que la plupart des textes étrangers subordonnent ce placement à l'existence d'un délit d'une certaine gravité ; l'absence de dispositions constitutionnelles sur la garde à vue ; et le caractère limité de l'intervention de l'avocat pendant celle-ci. La présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, pratiquée dans six des sept pays cités, permettrait d'éviter certaines pratiques abusives indignes et constituerait une avancée démocratique incontestable. Il souhaite savoir quelles mesures elle entend prendre afin d'améliorer les modalités juridiques et les conditions de la garde à vue en France.

Réponse émise le 23 août 2011

Le projet de loi relatif à la garde à vue a été adopté par le Parlement le 12 avril 2011. Ce texte a été promulgué le 14 avril et est entré en vigueur le 1er juin. Cette très importante réforme poursuit trois objectifs principaux, partagés par le Gouvernement et le Parlement : limiter strictement le recours à la garde à vue, développer les droits de la défense et mettre notre droit en conformité avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles. Afin d'atteindre le premier objectif, la loi adoptée redéfinit les conditions de la garde à vue. Cette mesure ne sera ainsi possible que si la personne est soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement et si une contrainte s'avère indispensable pour remplir l'un des objectifs prévus par l'article 62-2 du code de procédure pénale. Elle ne pourra de même faire l'objet d'une prolongation que s'il est reproché à la personne une infraction punie d'au moins un an d'emprisonnement. Enfin, le législateur a rappelé de manière formelle que le placement en garde à vue ne constitue jamais une obligation, sauf si la personne a été conduite par la force publique dans les locaux des services de police et que les enquêteurs souhaitent l'entendre immédiatement sur les faits. En revanche, il ne figure plus dans le texte adopté les dispositions initiales qui tendaient à créer un régime d'audition libre. Le Gouvernement a pris acte sur ce point de la volonté du Parlement. Conformément au deuxième objectif du projet de loi, le texte adopté accroît aussi de manière importante les droits de la défense de la personne gardée à vue. L'assistance par un avocat au cours de la garde à vue est ainsi élargie sur trois points essentiels : toutes les personnes placées en garde à vue, quelle que soit la nature des faits commis, pourront s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure ; l'avocat aura accès à certains des procès-verbaux de la procédure, et notamment les procès verbaux d'audition de son client ; l'avocat pourra assister à toutes les auditions de la personne gardée à vue. Toutefois, le Gouvernement et le Parlement n'ont pas souhaité altérer l'efficacité de notre procédure pénale, et plus spécifiquement celle de la phase d'enquête. C'est pourquoi, dans un souci d'équilibre, le texte voté permet, de manière exceptionnelle, le report de l'intervention de l'avocat. L'autorité judiciaire pourra en effet différer cette intervention pendant une durée limitée si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête soit pour permettre le bon déroulement d'investigations urgentes, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes. Par ailleurs, la personne placée en garde à vue se verra notifier son droit de garder le silence et le respect de sa dignité sera mieux garanti, notamment à travers l'interdiction des fouilles à corps intégrales pour des raisons de sécurité. L'ensemble de ces modifications législatives permet d'atteindre le troisième objectif de ce texte : garantir la conventionnalité et la constitutionnalité de notre procédure pénale. Il importe de rappeler, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, déclaré le régime des gardes à vue de droit commun contraire à la Constitution par sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 et que, par trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que certaines dispositions encadrant les gardes à vue dérogatoires au droit commun n'étaient pas compatibles avec l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. La loi du 14 avril 2011 intègre dans notre législation pénale l'ensemble des conséquences de ces décisions. Par ailleurs, contrairement à ce qui a pu être avancé par certains, la possibilité d'un report de l'intervention de l'avocat en garde à vue est totalement conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et à la jurisprudence de la cour de Strasbourg. Ces deux juridictions admettent une telle éventualité lorsque celle-ci est justifiée par des circonstances particulières. Le projet de loi adopté a donc permis de trouver un équilibre entre la protection des libertés et les nécessités de l'enquête dans le respect des exigences supra-législatives. Le Gouvernement accompagnera avec vigilance et attention la mise en oeuvre de cette loi qui aura des conséquences importantes tant pour les juridictions, que pour les services d'enquête et les barreaux. Ainsi, d'une part, cette réforme va entraîner une augmentation importante des dépenses liées à la rémunération des avocats au titre de l'aide juridique. Afin de financer ces dépenses supplémentaires, le projet de loi de finances rectificative pour 2011 institue une contribution pour l'aide juridique dont le produit attendu s'élève à 85 Meuros en année pleine. Cette somme, arrêtée sur la base des nouveaux besoins d'assistance découlant du projet de loi transmis au Parlement, permettra de porter à 103 Meuros l'enveloppe annuelle consacrée à l'indemnisation des avocats commis d'office intervenant au cours de la garde à vue. Elle représentera un engagement budgétaire sans précédent de l'État permettant d'allouer aux barreaux une dotation plus de 5 fois supérieure à la dotation actuelle qui s'élève à 18 Meuros. D'autre part, une mission d'audit et de suivi de la réforme va être menée par le ministère de la justice et des libertés et par celui de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Cette mission, à laquelle des parlementaires sont associés, a débuté ses travaux le 18 mai 2011 et permettra de dresser rapidement un constat objectif et documenté de la mise en oeuvre de la loi du 14 avril 2011.

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