M. Bernard Carayon attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur le port du niqab dans le monde. Il lui demande dans quel pays musulman le port du niqab est prohibé.
La question de l'honorable parlementaire appelle une réponse en deux volets : d'abord des éléments sur ce qu'est le niqab et sur les significations qui s'y attachent, et ensuite la façon dont les différentes législations dans les pays musulmans considèrent le port de ce vêtement. Il n'existe pas de définition islamique stricte pour le niqab ou la burqa. En effet, le Coran ne mentionne pas ce type de vêtements. Il mentionne le djilbab, qui signifie « cape », le khimar, qui signifie « fichu », et le hidjab, dans le sens de « voile » ou « rideau ». En revanche, différentes formes de vêtements voilant les femmes existent dans la tradition bédouine ou paysanne des sociétés musulmanes, remontant parfois aux périodes antéislamiques. Ainsi, l'Afrique du Nord connait le hayik et le sefsari, le Moyen-Orient la abaya et la melaya, et le monde perse (Iran, Afghanistan, etc.) le tchador ou tchadri. S'il est vrai que les femmes musulmanes se voilaient le visage jusqu'à l'époque coloniale, il est difficile d'assimiler cette manière de se vêtir au voile intégral qu'est le niqab moderne. Car dans bien des cas, le tchador, la abaya et le hayik laissaient apparaître les robes et les pantalons des femmes, parfois même leurs cheveux. Dans les trente dernières années, sous l'influence du salafisme, est apparu le niqab, parfois confondu avec la burqa (tenue traditionnelle des tribus pachtounes afghanes, généralement un long voile de couleur bleu ou marron couvrant complètement la tête et le corps, un grillage dissimulant les yeux). Le niqab est une sorte de voile intégral visant à cacher en totalité le visage, le corps et les formes de la femme, ne laissant apparaître qu'une fente pour les yeux. Il s'est progressivement répandu dans les pays arabes, surtout en milieu urbain. Certaines femmes y ajoutent des lunettes de soleil et des gants, voire un masque. Plus qu'un vêtement, le voile intégral est devenu un symbole d'appartenance à la branche la plus conservatrice de l'islam et un signe de ralliement au salafisme. S'agissant du statut juridique du niqab dans les pays musulmans, celui-ci fait débat dans certaines de ces sociétés, mais sans aller jusqu'à faire envisager son interdiction complète. Selon la jurisprudence islamique, le voile intégral n'est pas une obligation à laquelle doivent être soumises les femmes. Le droit chiite et les quatre grandes écoles juridiques sunnites, considérées comme la norme suprême dans l'ordre juridique interne de nombre de pays musulmans, excluent le visage et les mains de l'obligation faite aux femmes d'ôter leurs corps aux regards masculins étrangers. Seul le régime des talibans a imposé le port du voile intégral aux femmes, s'appuyant en cela sur des jurisprudences chariatiques minoritaires contestées et procédant à un amalgame entre les traditions d'une société tribale ultraconservatrice et de prétendues obligations religieuses. À l'inverse, aucun État musulman n'a interdit explicitement le port du voile intégral. En Turquie et en Tunisie, la loi interdit le port du voile à l'école, à l'université et aux agents de la fonction publique. Cette interdiction frappe le hidjab, mais s'applique par extension au voile intégral considéré comme une forme plus radicale de hidjab. Récemment, l'Égypte a connu une grande polémique à la suite de la décision du cheikh d'Al Azhar, Mohammed Sayyed Tantaoui, au mois d'octobre 2009, d'interdire le voile intégral dans les écoles de jeunes filles relevant de son institution. Il fut la cible de vives attaques de la part des Frères musulmans. Conséquence de cette polémique, le gouvernement égyptien semble s'acheminer vers une interdiction du voile intégral dans les écoles et les universités. En Libye, les autorités ont d'ores et déjà interdit le port du voile intégral dans les universités. La question fait également débat dans la société marocaine. À ce stade, l'interdiction complète du port du voile intégral hors des structures et institutions publiques (où le voile est interdit en Tunisie et en Turquie) ne semble pas se poser dans les pays musulmans. Les gouvernements dans ces pays doivent lutter contre le salafisme et contre les formes violentes et radicales de l'islamisme, ce qui les conduit très souvent à essayer de ménager le sentiment religieux de leurs populations. Une telle mesure ne paraît donc pas à l'ordre du jour et pourrait, si elle était envisagée, se révéler contre-productive. Par ailleurs, dans certains pays musulmans, le voile intégral reste extrêmement rare, voire totalement inconnu, ce qui justifie d'autant moins son interdiction.
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