M. André Gerin attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur le récent sommet de l'organisation du fonds des Nations-unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) à Rome. Aucun des chefs d'État ou de gouvernement n'avait jugé utile de se déplacer à l'exception de M. Silvio Berlusconi, représentant de la puissance accueillante. L'enjeu pourtant le méritait à tout le moins : le secrétaire général de l'ONU devait indiquer que la seule journée d'ouverture du sommet verrait mourir de faim 17 000 enfants sur la planète. La barre du milliard d'êtres humains affamés est en effet désormais franchie. Les grandes puissances savent se retrouver lorsqu'il s'agit de conjurer la crise financière engendrée par le monopoly capitaliste des banques et des établissements financiers. Elles parviennent à mobiliser, en quelques heures, les milliards d'euros ou de dollars généreusement offerts aux incendiaires boursiers. Mais lorsqu'il en va de la survie de millions d'êtres humains, il n'y aurait plus personne ? Pourtant, la crise a conduit à une augmentation de 100 % du prix du riz, première denrée alimentaire mondiale, en 2008. Le blé, le café, le cacao n'ont pas échappé à cette spirale, qui a eu pour conséquence de priver de nourriture des peuples entiers. Ces derniers se sont vus confisquer leurs cultures vivrières nationales au profit de l'éco-industrie des puissances occidentales. Celles-ci s'approvisionnent ainsi à bas prix, quand les pays pauvres spoliés doivent exporter les denrées alimentaires de base au prix fort. Dans le casino planétaire, 95 % des matières premières sont transformées en produits financiers. En six ans, de 2003 à la mi-2008, les masses investies dans la spéculation en ces domaines sont passées de 13 milliards de dollars à 320 milliards. La FAO estime pourtant qu'une aide structurelle aux agriculteurs des pays du sud pourrait être efficace si les pays développés faisaient passer leur subvention de près de 8 milliards de dollars à environ 44, soit le niveau moyen des années quatre-vingt. Aucune décision de ce type n'a été prise à Rome. Il souhaiterait connaître les engagements de la France en la matière, ce qu'elle compte entreprendre auprès des pays développés. Et comme les chefs d'États ou de gouvernements du G8 seront présents au sommet de Copenhague, à défaut d'avoir honoré celui de Rome, il désire savoir si la France posera la question de l'abandon et du pillage des cultures vivrières des pays du sud au profit des éco-industries occidentales.
En appelant à un partenariat mondial pour l'agriculture et la sécurité alimentaire, le 3 juin 2008, à Rome, le Président de la République a plaidé pour plus de cohérence dans les décisions internationales ayant des impacts sur la sécurité alimentaire mondiale et, particulièrement, celle des pays en développement ; pour la mobilisation de toute l'expertise mondiale sur les défis que pose la nécessité de nourrir 9 milliards d'humains en 2050 et d'éradiquer la faim ; pour plus d'investissements dans l'agriculture et la lutte contre la malnutrition dans les pays en développement. La mobilisation internationale, en réponse à la crise alimentaire de 2008 et à la crise financière de 2009, a été importante. La communauté internationale a été remarquablement réactive, à travers de nouveaux instruments, des mécanismes de décision rapide, la réallocation des crédits, l'instruction de nouveaux projets. Sous la présidence française de l'Union européenne, une facilité européenne additionnelle de réponse rapide à la crise, dotée de 1 milliard d'euros, a été adoptée et mise en oeuvre. Les engagements pris à L'Aquila en juillet 2009 pour trois ans portaient sur plus de 20 milliards de dollars. La France y a pris toute sa part, puisqu'elle a prévu de consacrer plus de 1,5 milliard d'euros à la sécurité alimentaire sur trois ans. Ces engagements concernent notamment l'action de l'agence française de développement (AFD), qui soutient, à hauteur de plus de 323 millions d'euros en 2009, des projets dans le domaine de la sécurité alimentaire. Au niveau multilatéral, la France a augmenté sa contribution au FIDA (35 millions d'euros pour le triennium 2010-2012, contre 23 millions d'euros lors de la reconstitution précédente). Elle a soutenu la réforme de la FAO, organisation dont le mandat est essentiel et qui doit guider la mobilisation internationale. Elle a soutenu résolument la transformation du Comité pour la sécurité alimentaire pour qu'il devienne la plate-forme de dialogue politique dont les acteurs mondiaux ont besoin. Enfin, la France a appuyé les travaux de l'équipe spéciale de haut niveau sur la sécurité alimentaire (HLTF) créée par M. Ban Ki Moon début 2008 et qui réunit 23 agences multilatérales. Cependant, ce nouvel engagement ne sera efficace que s'il est cohérent et coordonné. C'est précisément l'ambition du Partenariat mondial pour l'agriculture, pour la sécurité alimentaire et pour la nutrition, imaginé en 2008. Depuis un an, l'idée a progressé, et en novembre 2009, le sommet mondial sur la sécurité alimentaire de Rome a marqué une étape décisive pour la mise en oeuvre de ce partenariat. Une véritable « assemblée mondiale de la sécurité alimentaire » a été créée, le Comité de la sécurité alimentaire (CSA) reformé, qui réunira désormais, dans une même enceinte, les États, les organisations internationales des Nations unies et de Bretton Woods, les organisations professionnelles et de paysans, les entreprises et les ONG. Pour éclairer ses décisions, il a également été décidé de mettre en place un panel international d'experts. À l'instar du GIEC qui a tiré la sonnette d'alarme du changement climatique, celui-ci doit apporter une nouvelle légitimité aux décisions qui seront prises. Notre pays veut aller plus loin : nous proposons désormais qu'une feuille de route sur deux ans pour la sécurité alimentaire mondiale soit rapidement débattue et adoptée par le CSA. Cette feuille de route visera à consolider les visions prospectives pour une alimentation durable, suffisante et saine à l'horizon 2050 et à donner l'impulsion à des revues conjointes des politiques de sécurité alimentaire, notamment avec un objectif d'intégration des actions aux niveaux national et régional. Elle devra également prévoir des recommandations pour améliorer l'efficacité et la coordination de l'aide. Nous proposons que la feuille de route traite sans attendre de trois questions cruciales : premièrement, la volatilité et l'insécurité des prix agricoles sur les marchés mondiaux ; il faut en analyser les ressorts et trouver des solutions, y compris par de nouvelles régulations, pour y remédier et en limiter les effets, en particulier pour les agriculteurs familiaux qui sont les plus exposés et qui sont les premiers garants, à travers leurs productions vivrières, de la sécurité alimentaire de leurs pays ; deuxièmement, l'importance du développement rural, y compris l'adoption de politiques intégrées d'appui à l'agriculture familiale et à la sécurité alimentaire dans les pays en développement, la réforme agraire et la gestion du foncier agricole pour faire face aux risques de prédation et de spéculation ; troisièmement, enfin, les conséquences du changement climatique. La France s'est clairement positionnée pour une régulation des acquisitions de terres qui prenne en compte l'ensemble des droits des populations (pas uniquement le droit de propriété), même s'ils ne sont pas écrits. Dans de nombreux pays, les exploitants agricoles n'ont pas de titre légalement reconnu et courent le risque de se voir dépossédés de l'accès à leur terre. La FAO, la Banque mondiale et l'Union européenne se sont saisies de cette question et soumettent à la discussion internationale l'idée de disciplines multilatérales sur les acquisitions de terres.
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