M. André Gerin attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les inquiétudes suscitées par le projet de réforme de la carte judiciaire. Celui-ci déboucherait sur la suppression d'un nombre important de tribunaux de grande instance, chaque département étant appelé à accueillir un seul tribunal dans sa ville préfecture. Il s'agit, nous dit-on, de concentrer les moyens pour une plus grande efficacité, d'instaurer, en particulier, la collégialité des instructions afin de ne plus connaître d'affaire d'Outreau. L'expérience montre qu'une telle centralisation ne rend pas notre justice plus efficace, comme en témoignent les tribunaux pour enfants trop peu nombreux sur le territoire, et par conséquent engorgés, ou encore les tribunaux administratifs. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. L'éloignement des TGI constitueront, en outre, un obstacle pour les victimes, qui hésiteront à les saisir en raison de l'incommodité à s'y rendre. De la même manière, et pour les mêmes raisons, les transferts des prévenus détenus mobiliseront en permanence les gendarmes et les policiers qui, durant ce temps-là, ne seront pas sur le terrain. Dans les affaires criminelles, nous connaissons l'importance pour la justice, de sa proximité, de sa réactivité, de sa connaissance du terrain. Il s'agirait donc d'une rupture tout à fait préjudiciable en la matière. Nous sommes en droit de nous demander si derrière des objectifs a priori louables mais contredits par les faits eux-mêmes, ne se dissimule pas la volonté de faire subir à la justice un traitement comparable aux hôpitaux publics soumis à une implacable rigueur budgétaire. Déjà avec la loi organique sur les lois de finances en place depuis deux ans, les magistrats sont sous contrôle financier. Chacun de leurs actes d'investigations est plafonné. Le précédent garde des sceaux, ministre de la justice, invitait les magistrats à devenir des « managers ». Cette conception libérale appliquée à l'une des missions essentielles de l'État ne peut pas déboucher sur une justice humaine et efficace mais bien davantage sur une justice inégalitaire, à l'opposé des principes républicains qui la fondent. Il souhaite donc connaître ses intentions la matière. Il lui suggère de reconsidérer les mesures en contradiction avec les objectifs mêmes qui les motivent.
La garde des sceaux, ministre la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que la réorganisation des juridictions est une nécessité pour garantir au justiciable une justice de qualité et aux magistrats, fonctionnaires et professions judiciaires des conditions dignes de travail. La réforme de la carte judiciaire, maintes fois évoquée, est devenue aujourd'hui impérieuse et urgente pour répondre tant aux obligations de la loi qu'à la nécessité d'améliorer le fonctionnement des juridictions. En effet, après le drame d'Outreau, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté la loi du 5 mars 2007 qui vise à éviter l'isolement des juges, à encadrer les jeunes magistrats et à renforcer la collégialité en instituant les pôles de l'instruction. Ces pôles de l'instruction, dès le 1er mars 2008, imposeront des formations collégiales de deux juges d'instruction pour l'instruction des crimes et des délits les plus graves ou les plus complexes. Ils concerneront toutes les affaires soumises à l'instruction à partir du 1er janvier 2010, avec des formations collégiales de trois juges d'instruction. La mise en place de ces pôles de l'instruction impose une réorganisation territoriale, cent dix-neuf tribunaux de grande instance sur cent quatre-vingt-un ne disposant au maximum que de deux juges d'instruction. De plus, dans les juridictions de petite taille, les magistrats sont appelés à connaître de nombreux contentieux très divers (affaires correctionnelles, affaires familiales, affaires de surendettement...). Cette pluralité des fonctions ne permet pas d'acquérir une compétence optimale dans des domaines de plus en plus techniques, avec une procédure de plus en plus exigeante. Ces petites juridictions connaissent également des difficultés d'organisation et de fonctionnement, dès qu'il y a une absence pour congés ou pour formation. Pour répondre à ce constat, la réforme de la carte judiciaire a été engagée au mois de juin, avec l'ouverture d'une phase de concertation avec l'ensemble des élus et des acteurs judiciaires. Les chefs de cour ont procédé à des consultations de terrain, en vue de concilier l'organisation de la justice avec les contraintes locales, dans une logique d'amélioration du fonctionnement de la justice et d'aménagement du territoire. L'ensemble des magistrats, personnels des greffes, avocats, avoués, huissiers de justice ainsi que toutes les personnes qui concourent au fonctionnement de la justice ont pu s'exprimer et ont été entendus. Les préfets ont, en présence des chefs de cour, rencontré les élus afin d'entendre leurs propositions et de mieux appréhender les contraintes territoriales. Les consultations ainsi menées ont permis la rédaction par les chefs de cour de contributions et l'élaboration de propositions de réorganisation de la carte judiciaire, qui ont été adressées à la Chancellerie fin septembre 2007. L'examen approfondi de ces propositions a permis d'élaborer des schémas de réorganisation de la carte judiciaire, cour d'appel par cour d'appel, présentés sur le terrain pour être débattus avec l'ensemble des acteurs concernés. Les projets de décret ont reçu un avis favorable du conseil de l'organisation judiciaire et du comité technique paritaire des services judiciaires. Ils ont été transmis au Conseil d'État.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.