M. Jean-Yves Le Bouillonnec attire l'attention de Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur l'arrêt « Dayanan c/ Turquie » (n° 7377/03) rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) le 13 octobre 2009 et sur ses conséquences pour les droits des gardés à vue. Actuellement, si une personne gardée à vue peut s'entretenir avec un avocat pendant une demi-heure dès la première heure de sa détention, son interrogatoire par les services de police peut débuter avant qu'elle ne s'entretienne avec son avocat. Par ailleurs, cet entretien est reporté à la quarante-huitième heure de garde à vue pour les affaires concernant le proxénétisme, l'extorsion de fonds aggravée, l'association de malfaiteurs ou le vol en bande organisée, et à la soixante-douzième heure pour les affaires liées au terrorisme et au trafic de stupéfiants. Cette situation apparaît contraire à la convention européenne des droits de l'Homme. En effet, dans l'arrêt précité, la CEDH a précisé que « l'absence d'avocat lors de la garde à vue viole le droit de tout accusé à être défendu par un avocat » et que, par conséquent, « un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat ». À la lumière de cet arrêt, les interrogatoires qui se déroulent sans la présence d'un avocat et les dérogations au « droit de s'entretenir avec un avocat dès la première heure » pour certains crimes et délits sont manifestement contraires à l'article 6 de la CEDH qui prévoit notamment qu'un accusé « a droit à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ». Dans le cadre de son rapport sur la rénovation des codes pénal et de procédure pénale remis au Président de la République le 1er septembre dernier, la commission présidée par Philippe Léger ne met pas un terme à ces dérogations et maintien le principe selon lequel le gardé à vue peut être interrogé sans la présence de son avocat. Si les propositions de ce rapport devaient être retenues par le Gouvernement, la France continuerait donc de violer la CEDH au risque d'être de nouveau condamnée par la cour de Strasbourg. À cet égard, il souhaite connaître ses intentions concernant les propositions de la commission et lui demande notamment d'agir au plus vite pour mettre en conformité notre procédure pénale avec la jurisprudence de la Cour européenne.
La Cour européenne des droits de l'homme, notamment dans les arrêts Salduz c/Turquie du 27 novembre 2008 et Dayanan c/Turquie du 13 octobre 2009, a affirmé le droit pour toute personne, dès lors qu'elle est privée de liberté, à pouvoir s'entretenir avec un défenseur. Le droit français en vigueur pour les infractions de droit commun satisfait à cette exigence précise puisqu'il autorise le gardé à vue à s'entretenir confidentiellement, dès le début de la garde à vue, avec un avocat. Dans un arrêt du 20 mars 2007, la Cour de cassation a admis la conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour admet que le principe peut connaître des restrictions pour des raisons impérieuses. En ce qui concerne les cas particuliers et particulièrement sensibles du terrorisme et de la criminalité organisée, leur spécificité justifie incontestablement un régime de garde à vue différent, permettant d'assurer réellement l'efficacité des investigations. L'existence de dispositions spécifiques en la matière n'est nullement propre au droit français : le Royaume-Uni et l'Espagne, par exemple, qui sont les deux pays d'Europe les plus menacés par le terrorisme, sont dotés de législations tout à fait similaires à la nôtre. En tout état de cause, la restriction au principe de l'accès à un défenseur ne doit pas porter une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, ce qui est le cas si les déclarations faites sans l'assistance d'un avocat sont le seul support d'une condamnation. Le projet de réforme du code de procédure pénale répond à la volonté d'améliorer l'assistance apportée par l'avocat à la personne gardée à vue. En effet, le projet prévoit expressément qu'en matières criminelle et correctionnelle aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pu bénéficier de l'assistance d'un avocat. De plus, dès le début de la garde à vue, l'avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des auditions de son client dès que ceux-ci auront été réalisés. Enfin, si les auditions sont prolongées au-delà de vingt-quatre heures, ce qui est possible dans un certain nombre de cas sur autorisation du procureur de la République, le gardé à vue pourra être assisté par son avocat lors des auditions durant toute la durée de la prolongation. L'avocat du gardé à vue pourra alors poser des questions et faire des observations. Ces dispositions constituent ainsi une amélioration notable des droits de la défense dans le cadre de la garde à vue.
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