M. Patrick Braouezec interroge M. le Premier ministre sur la publication, avec un certain retard et un manque évident de clarté et de transparence, du rapport annuel du ministère de la défense concernant les exportations françaises d'armement. Cette publication est d'autant plus importante qu'elle concerne plusieurs aspects de la politique française d'exportation des armes, dont la prise en compte effective des critères relatifs au respect du droit international humanitaire et des droits humains dans les pays destinataires. La France est le 4e plus important exportateur d'armes dans le monde sur les dernières années, le second dans l'Union européenne. Par ailleurs, la France s'est engagée en faveur du renforcement des mécanismes de contrôle des transferts d'armements depuis de nombreuses années : en initiant avec les Britanniques la première version du code de conduite de l'Union européenne en matière d'exportation d'armements dès 1998 et en faisant en sorte que celui-ci soit adopté en position commune, devenant ainsi juridiquement contraignant, sous la présidence française de l'UE ; en impulsant l'initiative sur le transport aérien au sein de l'arrangement de Wassenaar ces dernières années ; ou encore en rejoignant récemment le groupe des pays qui soutiennent activement, au sein de l'assemblée générale des Nations-unies, la mise en place d'un traité international sur le commerce des armes classiques. Au regard des informations mises à disposition, il y a lieu de s'interroger sur la compatibilité des engagements de certaines forces françaises dans des dispositifs européens et internationaux et de la poursuite d'exportation d'armes françaises vers des zones de conflit ou des États suspectés d'être responsables de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire tels que la Colombie, Israël, la Chine ou encore le Tchad. Il serait bien d'améliorer le rapport annuel : en détaillant davantage les types de matériel livrés ou commandés, ainsi que les garanties effectives obtenues quant à leur utilisation ultérieure ; en y explicitant l'évaluation des différents risques que fait la France, notamment pour les régions et les zones les plus « sensibles », et les contraintes que cela implique pour ses exportations (que ce soit en termes de pays de destination, de type de matériels, ou de garanties supplémentaires nécessaires) ; en y intégrant des exemples détaillés de notifications de refus, en précisant les types de matériels, leur destination et les motifs du refus alors, qu'en 2008, la France a refusé presque deux fois moins d'autorisations d'exporter au regard des critères du code de conduite européen qu'en 2007, atteignant par là son plus bas niveau de refus d'exportations depuis cinq ans ; en y détaillant le dispositif qui est mis en place concernant le suivi dans la durée de l'utilisation effective des armements exportés conformément au certificat d'utilisation finale, notamment dans les pays et régions « à risque ». En conclusion, il aimerait savoir ce que le Gouvernement compte faire pour organiser un réel débat parlementaire sur le rapport 2009, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays européens, et quelles informations il compte mettre à disposition pour assurer l'effectivité d'un contrôle démocratique.
Afin d'assurer un contrôle rigoureux des exportations d'armement, les autorités françaises disposent d'un important dispositif législatif et réglementaire qui est l'un des plus stricts du monde. Le régime juridique général qui s'applique depuis 1939 est la prohibition. Les exportations de matériels de guerre, qui constituent dès lors une exception, font l'objet d'un contrôle en deux phases successives. La première est un agrément préalable donné par le Premier ministre après avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), qui permet à l'industriel de présenter ses matériels et de prendre une commande, préalablement à l'exportation. La seconde, l'autorisation d'exportation, est nécessaire pour que les matériels franchissent la frontière et soient transférés jusqu'au pays destinataire. Cette autorisation est délivrée par le ministre chargé des douanes, après avis conforme des ministères chargés de la défense, des affaires étrangères, de l'économie et des finances, et l'accord du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, sur l'avis de la CIEEMG. L'appréciation du gouvernement français quant à l'opportunité d'une exportation se fonde sur les critères de la position commune 2008/944/PESC du Conseil de l'Union européenne du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires (ex-code de conduite européen). Afin d'éviter le détournement d'équipements militaires vers des utilisateurs non souhaitables, la France est particulièrement attachée au respect, par l'État acheteur, du principe de non-réexportation des matériels vendus. Afin de s'assurer du respect de ce principe, les agréments préalables sont le plus souvent assortis de l'obligation faite à l'industriel d'obtenir de son client un certificat de non-réexportation et de destination finale. Ce document doit être authentifié par nos ambassades, notamment pour les exportations hors de l'Union européenne, afin que soit vérifiée la qualité du signataire engageant la responsabilité de l'État importateur. Au niveau international, la France joue un rôle particulièrement actif pour soutenir le projet de traité sur le commerce des armes, qui prévoit la création d'un instrument global et juridiquement contraignant et dont l'objectif principal sera d'inciter les États à adopter des règles de comportement responsable, transparent et proportionné en matière de transferts d'armes conventionnelles. Cette rigueur et ces ambitions se traduisent dans le dixième rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France en 2008. Rédigé dans un esprit de transparence à l'égard du Parlement, de la société civile et de la communauté internationale, ce document synthétique, clair et didactique, a été publié cette année seulement huit mois après la fin de l'exercice précédent. Le souci d'amélioration constante de cette réactivité sera préservé et poursuivi. En 2008, la France a délivré 6 269 autorisations d'exportation de matériels de guerre (AEMG) vers une centaine de pays. Les AEMG à destination de la Chine (175), d'Israël (104), de la Colombie (10) et du Tchad (8) représentent une part modeste des flux, desquels sont exclus pour une très large part, conformément aux engagements internationaux de la France, les exportations d'armes létales. Le niveau des prises de commandes de la Chine auprès des industriels français est resté globalement stable entre 2007 et 2008 (matériel aéronautique et matériel d'imagerie et de contre-mesures). S'agissant de la Colombie, ses prises de commandes en 2008 ont essentiellement concerné des matériels de la catégorie ML 17 - autres équipements, matériaux et bibliothèques (le terme « bibliothèques » [base de données techniques paramétriques] désigne un ensemble d'informations techniques à caractère militaire, dont la consultation permet d'augmenter la performance du matériel ou des systèmes militaires), ainsi que leurs composants - de la liste commune des équipements militaires de l'Union européenne. Le niveau des prises de commandes d'Israël et du Tchad a nettement diminué en 2008 par rapport à 2007, de moitié pour le premier, passant de 20,4 à 8,4 millions d'euros, et de deux tiers pour le second, passant de 11,6 à 4,1 millions d'euros. Israël, qui n'est que le 39e client de la France en armement sur la période 2004-2008, commande à la France essentiellement de petits composants et du matériel optronique, ce pays disposant de toutes les technologies pour développer ses propres armements. En tout état de cause, la politique française de contrôle des exportations d'armement repose sur le strict respect des engagements internationaux en matière de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération, et en particulier des embargos décidés par les organisations internationales dont la France est membre. L'évaluation des risques à travers l'application de ces critères s'effectue conformément au guide d'utilisation de la position commune précitée telle qu'élaborée et entretenue par le groupe de travail européen COARM, dont l'objectif est de coordonner les exportations d'armes conventionnelles vers les pays tiers. Tout refus préalable d'exportation par le gouvernement français doit par conséquent s'inspirer de la méthodologie exposée dans ce document, élaboré au fil du temps grâce au partage des pratiques nationales en matière de contrôle. À l'annexe 9 du rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France en 2008, figure le nombre de refus français notifiés au cours de cette année, ainsi que les critères ayant motivé les refus. Il apparaît extrêmement délicat d'envisager de donner dans ce rapport des détails sur les notifications de refus ou sur des équipements précis, compte tenu des implications diplomatiques et industrielles de ce type d'informations. À noter que l'organisation de séminaires entre l'administration et les industriels (en particulier les PME) a permis de sensibiliser ces derniers aux positions de la commission interministérielle sur les destinations et les matériels sensibles. Comprenant mieux la position de la commission, les industriels déposent moins de dossiers qui auraient été refusés par celle-ci, ce qui leur permet de ne pas s'engager dans des démarches inutiles et coûteuses en temps et en ressources et contribue mécaniquement à faire baisser le nombre de refus d'exporter. Enfin, le contrôle et le suivi de la destination finale des systèmes d'armes vendues lors de décennies précédentes, y compris dans certaines zones devenues instables, s'exerce pour une large part à travers l'assistance technique et le savoir-faire français en matière de maintenance en condition opérationnelle et de formation.
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