Le Pr Dominique Belpomme, cancérologue réputé à l'hôpital Georges-Pompidou, dans son rapport sur les conséquences de l'usage massif des pesticides en Martinique et en Guadeloupe, n'hésite pas à parler d'îles « empoisonnées ». En effet, il y a eu usage massif de pesticides tels que le chlordécone, le paraquat (interdit très récemment) et plusieurs dizaines d'autres pesticides qui sont utilisés dans des conditions plus qu'opaques. Il précise qu'on a pu démontrer que toutes les femmes enceintes et que tous les enfants qui naissaient étaient contaminés au chlordécone. On le retrouve dans le cordon ombilical. Cela constitue une véritable bombe à retardement : outre un risque de cancer, ces enfants peuvent aussi devenir stériles. Depuis 1979, on sait au niveau international que ce pesticide est un produit excessivement toxique. Bizarrement, c'est en France qu'on l'a utilisé le plus longtemps. D'autant que si on est à peu près certains que des cancers sont liés aux pesticides, il y a une maladie dont on sait qu'elle est causée par le chlordécone. Ce sont les myélomes. Plusieurs dizaines de patients sont actuellement victimes de cette espèce de leucémie des os, ils ont tous été empoisonnés par le chlordécone. Certains sont même décédés. Selon le Pr Belpomme, il y a eu, au bas mot, une insuffisance des pouvoirs publics dans la prise en compte des risques sanitaires liés à l'utilisation des pesticides. La France a interdit le chlordécone en 1990 sur tout son territoire sauf... aux Antilles. Pourquoi ? Il rappelle au passage que le ministère de l'agriculture n'a pas tenu compte de l'avis de sa propre commission de toxicologie qui demandait depuis longtemps l'interdiction du paraquat (une autre bombe à retardement). Or, ce dernier est au moins aussi redoutable que le chlordécone. Compte tenu des conséquences directes de l'utilisation pendant des années des pesticides sur la santé des Antillais, le principe de précaution doit prévaloir. Mme Chantal Robin-Rodrigo demande à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports quelles mesures urgentes elle compte prendre pour accompagner les personnes contaminées dans leur parcours de soin, et enfin prendre les mesures d'urgence nécessaires pour accompagner les agriculteurs en termes de prévention du cancer.
La pollution par le chlordécone des sols et de la chaîne alimentaire mobilise les services de l'État, ainsi que les experts nationaux dans les différents domaines concernés (agronomie, épidémiologie, évaluation du risque), depuis plusieurs années déjà. Ainsi, dans le domaine de la santé, plusieurs études longues ont été réalisées ou sont en cours, afin d'identifier le risque éventuel pour la santé de l'exposition à ce pesticide organochloré. En particulier, l'exposition alimentaire a été évaluée selon une méthodologie internationale préconisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) en se fondant sur des enquêtes et analyses de grande ampleur. Les études ESCAL (Martinique) et CALBAS (Guadeloupe) réalisées en 2004 et 2005 auprès de 2 650 individus âgés de plus de 3 ans renseignent sur les habitudes de consommation et d'approvisionnement de la population martiniquaise et de celle de la région de Basse-Terre en Guadeloupe ; les enquêtes RESO Martinique et Guadeloupe réalisées entre 2005 et 2007 renseignent sur les niveaux de contamination des aliments disponibles dans les circuits de distribution antillais, à travers le dosage du chlordécone dans 1 600 échantillons. Des limites de protection ont été établies et des mesures de contrôle ont été prises pour protéger le consommateur des expositions aiguës et chroniques. Grâce à ces travaux, analyses et aux mesures en découlant, la consommation des aliments commercialisés ne comporte aucun risque. Néanmoins, afin de poursuivre et de renforcer encore ces travaux, un plan d'action chlordécone 2008-2010 en Martinique et en Guadeloupe a été annoncé par le Premier ministre lors de son déplacement aux Antilles en janvier 2008 afin de renforcer les actions et mesures concernant cette contamination. Le professeur Didier Houssin, directeur général de la santé, est chargé de coordonner l'action des services gouvernementaux pour la mise en oeuvre de ce plan. Les objectifs de ce plan d'action sont de renforcer la surveillance de la santé de la population et la connaissance des problèmes cliniques et environnementaux liés au chlordécone ; de continuer à réduire l'exposition de la population au chlordécone ; de proposer des mesures d'accompagnement en agriculture et d'améliorer la surveillance des sols et des produits des jardins familiaux. La communication sera développée pour que la population antillaise puisse accéder à toutes les informations utiles dans le domaine des pratiques agricoles ou de la consommation des aliments. Ce plan comprend, en particulier, un volet visant à diminuer l'exposition et mieux connaître les effets sur la santé. Le Gouvernement a voulu aller plus loin afin de réduire l'exposition de la population et restaurer la confiance des consommateurs. II a engagé une politique de qualité de la production alimentaire. Ainsi, au nom du principe de précaution, des valeurs de LMD (limites maximales de résidus) inférieures aux seuils maximaux tolérables de contamination des aliments établis par l'AFSSA ont été fixées : en ce qui concerne les denrées végétales, les valeurs limites seront : de 20 µg/kg pour les denrées cultivables sous climat tropical ou tempéré (agrumes, fruits tropicaux, tous les légumes, laitues, maïs, canne à sucre...) ; de 10 µg/kg pour les autres denrées (blé, riz, pommes, poires et fruits à noyaux, betterave sucrière...) ; pour les denrées animales, qu'elles soient d'origine terrestre ou aquatique, la valeur limite sera fixée à 20 µg/kg. Les plans de contrôle et de surveillance ont été renforcés dès début 2008, en particulier en ce qui concerne les denrées d'origine animale. Toutes les informations permettant d'assurer les consommateurs de la qualité des denrées commercialisées doivent être présentées sur les lieux de vente. Un soutien des programmes à destination des jardins familiaux est prévu afin d'accélérer ces actions de proximité. Il s'agit d'évaluer les risques liés aux pratiques de culture et d'élevage familial sur les sols contaminés et de prodiguer des conseils agronomiques et des conseils sur la consommation et les modes de préparation des aliments afin de réduire l'exposition. Les actions du plan visent également à mieux connaître les effets sur la santé par la poursuite des recherches sur l'impact potentiel du chlordécone, notamment en ce qui concerne le cancer de la prostate (étude « Karu prostate ») et les issues de grossesse (étude « Ti-Moun ») et la mise en place ou le renforcement de registre des cancers et des malformations congénitales dans les deux départements. Un comité scientifique piloté par l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a été installé en mars 2008. Par ailleurs, le plan prévoit de produire, d'ici fin juin 2009, des recommandations d'actions éventuelles à mener pour la population des travailleurs actuels ou anciens. Enfin, en ce qui concerne les pesticides autres que le chlordécone, il est prévu de poursuivre les opérations de récupération et d'élimination des stocks de paraquat et de mieux caractériser l'exposition du consommateur au paraquat et autres résidus de pesticides. Le montant financier consacré à ce plan s'élève à plus de 33 millions d'euros sur 3 ans. Une évaluation de l'état d'avancement des 40 actions du plan sera réalisée chaque année.
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