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Pierre Morel-A-L'Huissier
Question N° 48579 au Ministère de la Famille


Question soumise le 12 mai 2009

M. Pierre Morel-A-L'Huissier attire l'attention de Mme la secrétaire d'État chargée de la famille sur l'étude, faite par des psychanalystes, annonçant que la crise économique actuelle pourrait avoir pour conséquence une chute importante du taux de natalité ces prochaines années. Il lui demande de bien vouloir lui indiquer son avis sur ce sujet.

Réponse émise le 29 septembre 2009

Formellement, le taux de natalité rapporte le nombre des naissances d'une année à la population et dépend donc fortement de la structure par âge de la population. Pour analyser les comportements féconds, il est préférable de suivre des indicateurs qui « neutralisent » l'effet de l'âge de la population, comme les taux de fécondité, qui rapportent des naissances à une population de femmes en âge de procréer. Il s'agit donc ici d'effets sur la fécondité (comportement d'avoir des enfants) plutôt que sur la natalité (nombre de naissances observées). L'expérience de la France dans les années 1993-1994, marquée par un record de basse fécondité, associée à une récession économique, incite à penser qu'il existe des liens entre fécondité et conjoncture économique. Elle montre aussi que ces liens peuvent être différents à court terme et long terme et illustre la difficulté à relier conjonctures économique et démographique (partie 1). Les liens entre fécondité et revenus ou emploi sont en effet complexes, tant les éléments pouvant potentiellement influer sur la fécondité sont variés : facteurs financiers mais aussi psychologiques, rôle joué par les valeurs de la société et aspirations des individus, ainsi que la plus ou moins grande facilité à articuler vie familiale et vie professionnelle et l'effet des politiques familiales, qui peuvent atténuer certains des effets listés. Une présentation rapide des théories de la fécondité (partie 2) permet d'apporter des éléments de réponse et discussion sur l'impact potentiel de la crise économique actuelle sur la fécondité (partie 3). Premièrement, l'indice conjoncturel de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme, pour une génération fictive de femmes ayant pendant toute leur vie féconde les taux de fécondité par âge observée une année donnée) a connu son niveau le plus bas en 1993-1994, année de récession en France. Il a fortement décru ces années-là pour atteindre 1,66 enfant par femme, alors que la baisse était modérée avant et a fortement remonté ensuite (cf. chiffres de Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE] sur l'évolution de l'indice conjoncturel de fécondité depuis 1940 en France métropolitaine). Le rapport du Conseil d'analyse économique de 2002 sur la démographie et l'économie propose l'analyse suivante de la basse fécondité en France en 1993-1994 : « Tout indique que cette chute est liée à la crise économique de 1992-1993, crise à la fois d'ampleur mondiale et de courte durée, dont il faut chercher la cause dans le contrecoup économique de l'unification allemande de 1990-1991. [...] Nombre d'observateurs ont été frappés par le parallélisme qui s'observait en France ces années-là entre la courbe des créations d'emploi, celle du moral économique des ménages mesuré par INSEE et celle de l'indice conjoncturel de fécondité, décalé des 9 mois de grossesse, auxquels on peut ajouter quelques mois pour tenir compte des délais moyens de conception. Certes cette conception ne s'est observée que l'espace d'un demi-cycle (une descente, suivie d'une montée) et elle ne tarde pas à recevoir un démenti si l'on tente de suivre les courbes sur une plus longue période. Le parallélisme observé dans les années 1992-1994 n'est donc pas suffisant pour affirmer que la conjoncture démographique épouse systématiquement les variations de la conjoncture économique, mais il suggère fortement qu'une récession économique à l'échelle mondiale peut amener les couples à différer par précaution leurs projets de fécondité dans l'attente de jours meilleurs, et ce de façon simultanée dans les pays intéressés. » Deuxièmement, diverses théories de la fécondité ont été développées. Même si elles demeurent critiquées et ne permettent pas d'expliquer en totalité les évolutions ou différentiels de fécondités effectivement observées (MacDonald, 2002), elles n'en demeurent pas moins utiles pour mettre en évidence des facteurs pouvant jouer. L'arbitrage « coût/revenu » ou la théorie du « choix rationnel ». Selon la théorie économique traditionnelle, les individus (ou les familles) maximisent des utilités sous contraintes budgétaires. La décision d'avoir un enfant ou un enfant supplémentaire ne peut être prise que si les avantages psychologiques, sociaux et culturels attendus de cet enfant dépassent les coûts économiques escomptés par l'agrandissement de la famille (coût de la naissance et de l'éducation) (Dumont, 2004). Dans ce cadre, les politiques familiales influent sur les choix des individus, en diminuant le coût relatif de l'enfant. Cette théorie pourrait expliquer en partie la plus forte fécondité en France, par rapport à d'autres pays européens. Elle est également mise en avant pour expliquer en partie les différentiels de fécondité selon le milieu social. Deux effets sont alors observés : un effet substitution, et un effet revenu. « Lorsque le salaire féminin augmente, le prix du temps augmente également. Ainsi, pendant qu'elle s'occupe de son enfant, une femme ne peut valoriser son temps pour gagner de l'argent sur le marché du travail, et la perte est d'autant plus importante que son salaire est élevé (la majeure partie du coût en temps de l'enfant étant supportée par les femmes). Par un effet de substitution, on observe une baisse de la fécondité d'autant plus grande que l'enfant est plus coûteux. Cet effet est donc plus fort pour les femmes appartenant à des catégories socioprofessionnelles élevées. Par ailleurs, les femmes poursuivant une carrière pourraient choisir de limiter leur fécondité pour mieux se consacrer à leur vie professionnelle. En aidant les femmes à concilier vie familiale et vie professionnelle, la politique familiale française tend à minimiser ces deux effets : l'État compense (en partie) la perte en temps et minimise la baisse de fécondité induite par l'activité féminine pour toutes les femmes, et plus particulièrement pour les cadres » «Mais un salaire élevé a aussi pour conséquence de desserrer les contraintes budgétaires qui limitent le nombre d'enfants de la famille : c'est l'effet revenu. Pour les femmes, cet effet est en général compensé par l'effet de substitution ; pour les hommes, c'est l'effet revenu qui domine et la fécondité augmente avec la progression dans l'échelle sociale. En contribuant à réduire le coût monétaire de l'enfant en plus grande proportion pour les catégories modestes, la politique familiale française amoindrit les différences de fécondité liées aux revenus masculins. » (Ekert-Jaffé et al., 2002.) L'aversion au risque ou l'évitement du risque : les coûts et avantages d'avoir des enfants se situent largement dans le futur (Dumont, 2004 et MacDonald, 2002). La décision d'avoir un enfant est donc prise dans l'incertitude et dépend aussi de la confiance en l'avenir. «La théorie de l'évitement du risque implique que l'on investisse dans la sécurité économique (formation, présence continue sur le marché du travail, allongement de la durée du travail, épargne) plutôt que d'accepter l'insécurité qui accompagne la naissance d'enfants (réduction temporaire du revenu, incertitude quant à la possibilité de retrouver un emploi, hausse des dépenses de consommation). » (MacDonald, 2002.) On observe notamment que les femmes au chômage retardent l'arrivée du premier enfant (Meron et Widmer, 2002), attendant peut-être d'avoir une situation financière et une insertion sur le marché du travail plus stable. Ainsi, d'après les derniers résultats de l'enquête permanente sur les conditions de vie de 1998, «72 des femmes de moins de 25 ans jugent « très important » pour une femme le fait d'avoir un travail stable avant d'avoir un premier enfant » (Toulemon et Leridon, cités dans Meron et Widmer, 2002). Les valeurs postmatérialistes : la théorie des valeurs postmatérialistes cherche à expliquer la faible fécondité en Europe occidentale par un changement des valeurs au profit de l'accomplissement individuel, de la satisfaction des aspirations personnelles par exemple (Dumont, 2004, et MacDonald, 2002). À la « quantité » d'enfants est préférée la « qualité » des enfants. Par exemple, les parents les plus éduqués souhaitent que leurs enfants fassent des études plus longues, afin de leur assurer la meilleure position sociale possible, quitte à en limiter le nombre. « Cela explique que les classes moyennes ont moins d'enfants que les ouvriers. En revanche, les catégories les plus aisées ont suffisamment de moyens pour ne pas limiter le nombre de leurs enfants » (Ekert et al., 2002). La combinaison des effets revenu, substitution et qualité produirait la courbe dite en «J » inversé de la fécondité, selon la catégorie socioprofessionnelle des hommes. Les hommes en haut de l'échelle sociale ont plus d'enfants que les classes moyennes, mais moins que les ouvriers (Toulemon, 2003). L'égalité des sexes : cette théorie a été développée pour expliquer la faible fécondité observée dans certains pays occidentaux. Selon MacDonald (2002), « l'idée maîtresse de la théorie de l'égalité des sexes est que, dans les pays développés d'aujourd'hui, la faiblesse de la fécondité peut être expliquée en termes de décalage entre les niveaux d'égalité des sexes observables dans différentes institutions sociales. » (...) « Dit plus simplement et dans des termes similaires à ceux qu'ont employés Chesnais (1996, 1998) et Esping-Andersen (1996), si les femmes bénéficient à peu près des mêmes opportunités que les hommes dans les domaines de l'éducation et de l'emploi, mais si ces opportunités sont sensiblement réduites du fait de la présence d'enfants, alors, en moyenne, les femmes vont limiter le nombre de leurs enfants, de sorte que la fécondité sera durablement maintenue à un niveau très bas. Alors que, dans tous les pays avancés, l'égalité des sexes a progressé dans les institutions centrées sur l'individu, le modèle de l'homme pourvoyeur de ressources reste la base des institutions sociales tournées vers la famille. Plus la société adhère à un système familial traditionnel, plus le degré de divergence entre les institutions sociales est fort, et plus la fécondité est faible. Ceci peut expliquer pourquoi les niveaux de fécondité les plus bas du monde se rencontrent dans les pays d'Europe du Sud et dans d'autres sociétés, telles que le Japon, où règne un modèle familial traditionnel à domination masculine ». Désormais, c'est dans les pays occidentaux où les femmes participent le plus au marché du travail que la fécondité est la plus élevée (Brin, 2005). Troisièmement, la présentation succincte des théories de la fécondité et l'expérience de 1993-1994 montrent la difficulté de prédire l'effet de la crise économique actuelle sur la fécondité, à court terme et à long terme. Si la dégradation de la situation de l'emploi ou des revenus de certains pourrait les inciter à reporter, comme cela semble avoir été le cas en 1993-1994, leur projet de fonder ou d'agrandir une famille dans l'attente d'un avenir moins incertain (aversion pour les risques) ou de conditions d'emploi plus favorables (aversion pour le risque et effet revenu moindre ou incertain), il n'est pas possible d'évaluer si un tel effet serait temporaire ou durable (effet sur le rythme de constitution de la descendance - arrivée des enfants plus tard - ou effet sur le niveau de la descendance - nombre d'enfants finalement mis au monde moindre) et s'il serait de forte ou de faible ampleur (report de la première naissance seulement, ou aussi de l'agrandissement des familles - report ou annulation des projets, etc.). De plus, les théories de la fécondité montrent que les arguments financiers, s'ils ont un impact potentiel sur la fécondité, ne sont pas les seuls à intervenir. Les comportements de fécondité sont liés à un ensemble complexe de facteurs, économiques mais aussi sociaux, psychologiques et culturels : les avantages psychologiques à devenir parent, l'influence du milieu social et des aspirations individuelles jouent en effet également. Enfin, les politiques familiales jouent en faveur d'une atténuation des différentiels de revenus, en réduisant notamment les charges financières liées aux enfants. Dans ce contexte, l'effet de la crise sur la fécondité, à court et long terme, n'est pas déterminé. L'impact sur la fécondité ne sera négatif, tout du moins à court terme, que si les désavantages induits par la crise économique s'avèrent plus importants que les éléments jouant en faveur de la fécondité. Déterminer les effets de la crise actuelle sur la fécondité est également complexe, parce qu'on ne peut exclure des phénomènes inverses, avec un effet potentiellement positif de la crise sur la fécondité qui pourraient atténuer ou contrebalancer les effets négatifs cités précédemment, si par exemple, en période de difficultés économiques, des personnes se réfugiaient dans les valeurs familiales.

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