M. Alain Bocquet attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les attentes portées par l'intersyndicale des artistes-interprètes sur l'avenir des droits de propriété intellectuelle dans la société de l'information. Alors que le ministère vient d'annoncer le lancement d'une mission de médiation confiée à M. Denis Olivennes, il lui demande notamment quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour intégrer les propositions de la plate-forme commune sur les droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes cosignée par neuf organisations et syndicats professionnels : Adami, SFA-CGT, SIA-UNSA, SNAM-CGT, SNAPAC-CFDT, SNLA-FO, SNACOVA-CFE-CGC, SNAPS-CFE-CGC et UNICAS-CFTC. Ainsi que le soulignent ces signataires, « l'édification de la société de l'information n'a de sens que dans le respect des droits de propriété intellectuelle reconnus aux artistes-interprètes ». Il lui demande quels dispositifs de concertation seront mis en oeuvre et quelles suites elle prévoit d'apporter pour « la juste rémunération de l'utilisation de l'ensemble de leurs prestations enregistrées » et pour « la reconnaissance effective de leur droit moral ».
La possibilité, pour les créateurs, et notamment pour les artistes-interprètes, de vivre des droits d'auteur ou des « droits voisins » issus du produit de leur activité, constitue une préoccupation majeure du Président de la République et du Gouvernement. C'est pourquoi la protection et l'amélioration de la rémunération des artistes interprètes a fait l'objet, au cours de l'année écoulée, d'une série de mesures ou d'initiatives inédite par son ampleur et son caractère global. En premier lieu, le projet de loi « création et Internet », qui a été voté par le Sénat en première lecture le 30 octobre 2008, sans qu'aucune voix s'y soit opposée, constitue un préalable indispensable au respect des droits des artistes-interprètes dans la société de l'information. Il vise en effet à mettre en place un environnement juridique favorable à l'essor de l'offre légale et à sa substitution rapide au piratage, afin que les auteurs, les artistes et les entreprises qui les soutiennent puissent vivre du produit de leur activité. La méthode suivie pour mener à bien ce chantier tire d'abord les leçons du passé. Elle repose en effet sur l'idée que les solutions mises en oeuvre devront faire l'objet d'un très large consensus préalable entre les acteurs de la culture et de l'Internet. C'est dans cette perspective que Denis Olivennes a été chargé par la ministre, en septembre 2007, d'une mission de réflexion et de concertation destinée à favoriser la conclusion d'un accord entre les créateurs, les industries culturelles et les fournisseurs d'accès à Internet. Le résultat de cette mission est un accord signé à l'Élysée le 23 novembre 2007. Cet accord, auxquels sont parties 47 entreprises ou organismes représentatifs de la culture et de l'Internet, est historique car c'est la première fois que le monde de la musique et du cinéma se mettent d'accord sur les solutions pour améliorer l'offre légale et pour lutter contre le piratage, mais aussi la première fois qu'un consensus est créé entre les artistes et les fournisseurs d'accès Internet. Cet accord est équilibré car toutes les parties ont fait un effort et les internautes y trouveront leur compte aussi bien que les artistes et les opérateurs de l'Internet. L'accord comporte deux volets complémentaires. D'une part, l'offre légale sera plus facilement accessible, plus riche, plus souple. Les maisons de disques se sont en effet engagées à retirer les « mesures de protection » bloquantes des productions françaises de leurs catalogues. Cela signifie qu'une musique achetée légalement pourra être lue plus facilement sur tous les types d'appareils. Les films devront être disponibles en « vidéo à la demande » (VOD) au bout de six mois, contre sept mois et demi après leur sortie en salles actuellement. Ensuite, des discussions devront s'engager entre tous les partenaires de la filière cinéma pour aboutir dans un délai d'un an à un raccourcissement de l'ensemble des « fenêtres » de la chronologie des médias. D'autre part, la lutte contre le piratage de masse change de logique : elle comportera une phase préventive et ne passera plus nécessairement par le juge. Elle revêtira ainsi un caractère essentiellement préventif et pédagogique, ce que le droit actuel ne permet pas. En effet, jusqu'à présent, quand les sociétés qui défendent les intérêts des créateurs repèrent un ordinateur pirate, la seule possibilité qui leur est ouverte consiste à saisir le juge en se fondant sur le délit de contrefaçon. Mais la procédure judiciaire et les sanctions encourues (jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende) apparaissent disproportionnées. L'accord prévoit donc la mise en place d'une autorité administrative indépendante, qui sera chargée de prévenir et, en cas de multiples réitérations après avertissement, de sanctionner le piratage des films et de la musique sur Internet. Cette haute autorité sera saisie par les créateurs dont les oeuvres auront été piratées. Elle commencera par adresser aux pirates des messages d'avertissement personnalisés, sous forme de courrier électronique puis de lettre recommandée. C'est seulement si ces avertissements restent sans effet que la haute autorité pourra prononcer la suspension de l'accès Internet de l'abonné en cause, pour quelques semaines ou quelques mois en fonction des faits de l'espèce. Cette dimension pédagogique de la lutte contre le piratage que le cadre juridique actuel, purement répressif, n'offre pas, est pourtant essentielle. En effet, deux études réalisées au printemps 2008 en Grande-Bretagne et en France font ressortir que 70 % des internautes cesseraient de télécharger illégalement dès réception d'un premier message d'avertissement et 90 % à réception du second. Ces estimations sont d'ailleurs cohérentes avec les taux de dissuasion effectivement constatés aux États-Unis, sur certains réseaux câblés où une solution du même ordre a déjà été mise en oeuvre à la suite d'accords passés entre les titulaires de droits et les fournisseurs d'accès à Internet. La mise en place de ce système pédagogique et mesuré, qui fait consensus parmi les acteurs des industries culturelles et d'Internet, suppose bien entendu l'intervention du Parlement. C'est l'objet du projet de loi « création et Internet », qui doit désormais être débattu à l'Assemblée nationale au cours du premier trimestre 2009. Les échanges entre le Parlement, le Gouvernement et les signataires de l'accord de l'Élysée intervenus lors du débat au Sénat ont débouché sur une très forte accélération du calendrier de mise en oeuvre des stipulations de cet accord les plus directement favorables aux consommateurs le retrait des mesures techniques de protection a précédé le vote de la loi, et le raccourcissement de la chronologie des médias devrait être effectif au moment de sa promulgation. Cette approche globale et innovante, initiée par la France voici moins d'un an, s'est entre-temps largement diffusée en Europe. Ainsi, le 24 juillet 2008, un mémorandum inspiré de l'accord de l'Élysée a été signé au Royaume-Uni entre les six principaux fournisseurs d'accès à Internet et les industries culturelles. Le 20 novembre suivant, les 27 ministres de la culture et de l'audiovisuel de l'Union européenne, réunis au sein du Conseil, ont unanimement approuvé des conclusions sur le thème des « contenus créatifs en ligne », qui encouragent la prévention et la lutte contre le piratage et saluent la mise en place par certains États, dont la France, de mécanismes non judiciaires, pédagogiques et progressifs. En deuxième lieu, la question de la rémunération des artistes-interprètes a été traitée de façon directe au cours des derniers mois à travers trois sujets : la rémunération pour copie privée, la « rémunération équitable » et l'initiative française en vue de l'extension de la durée des droits. S'agissant de la rémunération pour copie privée, il convient de rappeler que pour compenser le manque à gagner causé aux artistes-interprètes, aux auteurs et aux producteurs par l'exception pour copie privée - c'est-à-dire la possibilité, pour les particuliers, de réaliser des copies des oeuvres pour leur usage privé - la loi du 3 juillet 1985 a prévu qu'ils soient rémunérés de façon forfaitaire. Cette rémunération pour copie privée n'est donc en aucun cas une imposition ou une taxe, qui transiterait par le budget de l'État ou qui viendrait l'abonder : c'est une ressource purement privée, un mode d'exercice des droits d'auteur et des droits voisins. Son assiette est constituée par tous les supports d'enregistrement, et son barème est fixé en fonction de la capacité d'enregistrement de chaque support et de son utilisation par les acheteurs à des fins de copie privée. Ce sont les fabricants ou les importateurs de ces matériels qui acquittent la rémunération. La rémunération pour copie privée représente, pour la seule filière musicale, un total d'environ 80 MEUR, réparti entre les auteurs (50 %), les artistes-interprètes (25 %) et les producteurs (25 %). La ventilation de la rémunération entre ces différentes catégories d'ayants droit est opérée, après un prélèvement de 25 % qui est utilisé à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes. La rémunération pour copie privée est donc essentielle au financement de la filière musicale et de la création, ainsi qu'à la rémunération des artistes. Afin de prendre en compte la réalité de la copie privée et de rémunérer les créateurs et les entreprises pour ces copies, la rémunération doit être régulièrement étendue aux nouveaux supports de copie qui apparaissent sur le marché. Cela a notamment été le cas, en 2008, pour les disques durs multimédias et les téléphones dotés d'une fonction de baladeur. Les supports assujettis à la rémunération, ainsi que les taux applicables à chaque type de supports, sont décidés par une commission créée par la loi de 1985 composée à parité, d'une part, des représentants des ayants droit (12), d'autre part, des consommateurs (6) et des fabricants et importateurs de supports de copie (6). Cette commission est donc une autorité administrative indépendante, dotée par le législateur d'un pouvoir règlementaire. À la suite de tensions apparues au sein de cette commission au printemps 2008, qui se sont traduites par le refus de siéger des représentants des industriels et de certaines organisations de consommateurs, la ministre de la culture et de la communication et le secrétaire d''État chargé du développement de l'économie numérique ont conjointement défini, après consultation de toutes les parties intéressées, une série de réformes destinées à mieux informer les consommateurs sur la contribution essentielle à la diversité culturelle que constitue la copie privée, et à associer le ministère en charge de la consommation à la désignation des membres de la commission. Ainsi, la rémunération pour copie privée sera affichée séparément du prix de vente des matériels assujettis, et les notices porteront un message explicatif sur les bénéficiaires de ce prélèvement et sur sa contribution à la création et à la diversité culturelle. En outre, la commission sera dotée par l'État de moyens propres, affectés à la réalisation d'études indépendantes sur les usages que font les consommateurs des supports de copie qu'ils achètent. Ce sont en effet ces « études d'usage », qui portent sur les pratiques de copie privée, qui fondent les décisions de la commission quand elle délimite l'assiette et fixe le taux du prélèvement ; elles sont aujourd'hui financées par les membres de la commission eux-mêmes. Enfin, la désignation du président et des membres au sein de la commission ne sera plus réservée au seul ministre de la culture et de la communication : elle sera faite conjointement avec les ministres chargés de l'industrie et de la consommation, et le président sera obligatoirement un magistrat ; pour certaines décisions particulièrement importantes ce président aura la faculté d'exiger une majorité qualifiée des deux tiers des suffrages. La réforme de la commission devrait être mise en couvre à la fin du premier trimestre 2009. S'agissant de la « rémunération équitable », il y a lieu de rappeler que la loi du 3 juillet 1985 a prévu, au bénéfice des artistes-interprètes et de leurs producteurs, le versement de tels droits pour l'utilisation de leurs oeuvres. La rémunération est acquittée par les entreprises qui diffusent de la musique : radios privées (généralistes et musicales) et publiques, télévisions par câble et satellite, sociétés de production audiovisuelle qui incorporent de la musique dans leurs programmes, discothèques et « lieux sonorisés » (hôtels, restaurants, bars qui diffusent de la musique). Cette rémunération est assise sur les recettes d'exploitation des entreprises ou, à défaut, est évaluée forfaitairement. Elle revient pour moitié aux artistes-interprètes et pour moitié aux producteurs. Elle représente un total de près de 60 MEUR dont le tiers acquitté par les radios privées. Les négociations conduites sous l'égide de l'État fin 2007 et en 2008 ont abouti à réactualiser les barèmes applicables aux radios privées et aux radios publiques, inchangés depuis 1993. Le montant versé aux artistes-interprètes et aux producteurs augmentera ainsi de 38 % sur les radios privées et de 30 % sur les radios publiques, ce qui représentera un effort de 9 MEUR par an au total en faveur de la filière. Cette remise à niveau doit se poursuivre en 2009, en envisageant les tarifs applicables aux autres secteurs assujettis et notamment aux « lieux sonorisés » - c'est-à-dire les bars, hôtels ou restaurants qui diffusent de la musique - et qui ne versent pour l'instant qu'une rémunération très modeste à ce titre : quelques dizaines d'euros par entreprise et par an. S'agissant enfin de la durée des droits des artistes-interprètes et des producteurs, l'année 2008 a été marquée par une initiative française très attendue par la filière musicale. En effet, depuis la directive 93/98/CE du 29 octobre 1993, la durée des « droits voisins » des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes a été harmonisée à cinquante ans pour les États membres de l'Union européenne. Or, l'allongement de la durée de la vie des créateurs a aujourd'hui pour conséquence que des pans entiers du fonds de catalogue des années 1950 et 1960, représentant une part très significative du patrimoine national dans le domaine des variétés, tombent progressivement dans le domaine public alors même que les interprètes de ces oeuvres sont encore vivants et que les enregistrements continuent d'être exploités. Compte tenu de la contribution essentielle des artistes-interprètes à la création, il est inéquitable que des artistes qui ont commencé leur carrière très jeunes se voient ainsi privés de toute rémunération au titre de leurs premiers enregistrements. Par ailleurs, la diversité culturelle suppose que les producteurs de phonogrammes puissent rentabiliser, grâce au fonds de catalogue, les investissements qu'ils consentent en faveur de nouveaux talents. En outre, la durée harmonisée des « droits voisins » au sein de l'Union européenne est actuellement sensiblement plus courte que celle qui est prévue par de nombreuses législations étrangères, comme celles des États-Unis, du Brésil, ou encore du Mexique, qui varie de soixante à quatre-vingt-quinze ans. Enfin, la durée des « droits voisins » doit être envisagée au regard de la nécessité de garantir le financement de la filière musicale à l'heure où celle-ci se trouve fragilisée par le piratage massif des oeuvres sur les nouveaux réseaux et doit se préparer, dans ce contexte particulièrement difficile, à la transition vers un nouveau modèle économique pleinement en phase avec le contexte numérique. Pour l'ensemble de ces raisons, qui tiennent tant à l'équité qu'à la préservation de la diversité culturelle et à la compétitivité du marché européen, la ministre de la culture et de la communication a saisi le 15 janvier 2008 la Commission européenne, afin que soit engagée dans les meilleurs délais, au niveau communautaire, une réflexion sur l'extension de la durée légale de protection des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs. Cette initiative a prospéré sous la présidence française de l'Union européenne, puisque les travaux de la commission puis des États membres ont abouti à un projet de directive, qui est sur le point d'être transmis au Parlement européen. Il allonge à quatre-vingt-quinze ans la durée des droits des artistes et des producteurs. Il prévoit en outre des mesures complémentaires en faveur des artistes, notamment sous le principe d'un prélèvement sur les recettes supplémentaires dégagées par les producteurs. Dans ce dossier, la France continuera à jouer un rôle moteur pour favoriser un aboutissement rapide, dans le courant de l'année 2009. En troisième lieu, les partenaires sociaux de l'industrie musicale sont parvenus le 30 juin 2008 à s'accorder sur une nouvelle convention collective pour la filière musicale. Ce texte de consensus a recueilli la signature de toutes les organisations représentatives de salariés et de toutes les organisations patronales. Le champ de la nouvelle convention est particulièrement large, puisqu'elle encadre aussi bien les conditions de travail et de rémunération que le recours à l'intermittence, ou encore le financement et l'accès à la formation professionnelle ainsi qu'à la prévoyance. Ce texte est historique car il vient combler un vide conventionnel de plus de quinze années, moderniser de façon radicale les rapports sociaux dans l'industrie musicale, et contribuer à la diversité culturelle. S'agissant notamment de la rémunération, les musiciens percevront désormais, au-delà du cachet de base, un intéressement au chiffre d'affaires du secteur et un pourcentage des droits perçus par les producteurs. Ce dispositif novateur est sans équivalent en Europe. Un protocole additionnel facilite en outre l'exploitation des enregistrements les plus anciens, dans l'intérêt commun des musiciens et des producteurs. La ministre de la culture et de la communication, en liaison étroite avec son homologue en charge du travail, veillera à faciliter l'entrée en vigueur rapide de ce texte et sa bonne application. Au total, cet ensemble cohérent de mesures témoigne de la prise de conscience des pouvoirs publics à l'égard des préoccupations des artistes-interprètes de la filière musicale et de leurs besoins, dans le contexte particulièrement difficile créé par le piratage des oeuvres en ligne.
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