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Patrick Braouezec
Question N° 28620 au Ministère des Affaires étrangères


Question soumise le 29 juillet 2008

M. Patrick Braouezec interroge M. le ministre des affaires étrangères et européennes à propos de la compétence universelle. Celui-ci a appelé en mai dernier à ce que la France se dote de la compétence universelle afin qu'elle puisse poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis hors de son territoire et même si les victimes ne sont pas françaises. Cette compétence n'est, pour l'instant, pas possible au regard de notre loi nationale. Le concept de « compétence universelle », fondement même d'une communauté internationale qui assume pleinement sa responsabilité à l'égard des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, est le seul qui puisse garantir à l'ensemble des peuples de ne pas vivre pas dans une jungle mais dans une société civilisée régulée par des déclarations et des pratiques normatives qui seules permettent d'assurer la paix et la sécurité internationales. Mais cela ne peut se faire que si l'ensemble des nations, membres de la communauté internationale, reconnaît cette compétence universelle et accepte le travail et les conclusions d'un tribunal international indépendant établi par l'Assemblée générale des Nations unies. A l'heure actuelle, le travail d'un tel tribunal est trop souvent remis en question, justement parce que certains États ne se sentent pas concernés par cet acquis fondamental qu'est la compétence universelle. Ainsi, en 2004, le tribunal international de La Haye, dans son avis à propos de la construction illégale du mur par l'État israélien, avait fait une série de recommandations, à commencer par la destruction du mur de l'Apartheid, le paiement de réparations à l'ensemble des Palestiniens dont les terres et les maisons ont été illégalement détruites pour sa construction. Cet avis historique n'a malheureusement jamais été suivi d'effet par la communauté internationale. Implanter les normes concernant la compétence universelle dans notre droit permettrait dans ce cas précis, de faire pression sur l'État d'Israël pour qu'il respecte les recommandations du tribunal international de La Haye et qu'il se plie au respect des normes internationales valables pour l'ensemble des nations appartenant à la communauté internationale. En conséquence, il aimerait savoir ce que le gouvernement compte faire pour que la France se dote de la compétence universelle afin qu'elle puisse poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis hors de son territoire.

Réponse émise le 23 septembre 2008

L'honorable parlementaire a souhaité interroger le ministre des affaires étrangères et européennes afin de savoir ce que le Gouvernement entendait entreprendre pour que la France se dote d'une compétence universelle aux fins de pouvoir poursuivre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis hors de son territoire. Cette question appelle les quelques rappels et précisions qui suivent. Sur le fond, l'introduction d'une compétence dite « universelle » - qui constitue une exception au principe de territorialité du droit pénal - viserait à permettre aux juridictions françaises de poursuivre et juger les auteurs de crimes commis à l'étranger, par un étranger contre des étrangers. Sur ce point, il est utile de souligner au préalable que les critères de compétence de droit commun s'appliquant à nos juridictions sont déjà très larges comparativement à ceux appliqués par de nombreux États et ont considérablement réduit jusqu'ici l'intérêt d'introduire une telle compétence. Il est en effet rappelé que ces critères prévoient à la fois la compétence territoriale traditionnelle de nos juridictions mais également compétence personnelle active (l'auteur d'un crime commis à l'étranger est un de nos ressortissants), comme passive (la victime est française). Par ailleurs, on ne peut ignorer les difficultés concrètes que présentent pour les juges de telles affaires compte tenu de la complexité des instructions et des enquêtes judiciaires concernant des faits commis à l'étranger (preuves difficiles à réunir, témoins éloignés, inefficacité des commissions rogatoires internationales et risques de créer de faux espoirs suscités auprès des victimes...). En pratique, depuis le début des années 90, certains pays, au sein de l'Union européenne notamment mais peu nombreux au demeurant, ont fait le choix de l'introduction d'une clause compétence universelle générale dans leur droit pénal. Mais, outre que les difficultés pratiques et politiques rencontrées lors de sa mise en oeuvre par leurs juges nationaux ont conduit ces Etats à revenir rapidement partiellement en arrière, ces expériences étrangères font actuellement l'objet d'un examen critique dont il est encore trop tôt pour faire le bilan, notamment dans un contexte où ces clauses sont de plus en plus ouvertement critiquées et contestées par certains pays. Par ailleurs, il est à relever que la France n'est à l'heure actuelle pas dépourvue d'un tel dispositif. Elle a déjà fait le choix d'établir une compétence élargie ou compétence dite « quasi-universelle » pour ses juridictions dans certains cas, conditionnant toutefois sa mise en oeuvre à la présence de la personne soupçonnée sur le sol français. Ainsi, aux termes de la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 et de la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions des résolutions du Conseil de sécurité instituant les tribunaux pénaux internationaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda, les auteurs ou complices de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre (commis sur le territoire de l'Ex-Yougoslavie depuis le 1er janvier 1991 et sur le territoire du Rwanda ou d'États voisins par des citoyens rwandais entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994) peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises s'ils sont trouvés en France. Deux affaires concernant des Rwandais accusés de génocide ou de complicité de génocide sont en cours devant nos juridictions sur ce fondement après avoir été transférées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le droit pénal français prévoit par ailleurs, aux termes des engagements pris par la France dans le cadre de certaines conventions internationales le stipulant explicitement, une clause de compétence quasi-universelle pour connaître d'actes criminels tels que la torture (cf articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale) lorsque l'auteur présumé se trouve sur le territoire français. Plusieurs recours contre des étrangers soupçonnés d'être les auteurs de crimes contre l'humanité ont ainsi pu être introduits devant nos juridictions par ce moyen. Parmi les développements à venir, il est à relever qu'une convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui a été portée par la France aux Nations unies, a été signée à New York le 6 février 2007. Elle prévoit que les États parties doivent prendre les mesures nécessaires pour établir leur compétence aux fins de connaître d'un crime de disparition forcée. Une compétence extra-territoriale pourra ainsi être mise en oeuvre s'agissant de ce crime dès l'entrée en vigueur de cette convention. Enfin, un projet de loi portant adaptation de notre droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale est actuellement en cours d'examen parlementaire. Aucune disposition du statut de la Cour n'impose la mise en oeuvre d'une compétence quasi-universelle. Une réflexion a néanmoins été engagée sur ce point à l'occasion de la première lecture du projet de loi au Sénat. De fait, le texte adopté par les sénateurs le 10 juin dernier prévoit d'insérer un nouvel article au code de procédure pénale afin d'introduire une compétence extra-territoriale de nos juridictions, sous certaines conditions, notamment de présence en France, contre les auteurs de crimes relevant de la compétence de la Cour, à savoir le crime de génocide, le crime contre l'humanité et les crimes de guerre. Ce projet de loi devrait être examiné par l'Assemblée nationale dans le courant de ce semestre. Si les députés retiennent cet amendement, pourra être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour.

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